Face à des archivistes inquiets d'une révision des méthodes de collecte, la ministre de la Culture a annoncé une "débat de société" à partir du mois d'avril dont les résultats seront présentés dans un an.
C'est peu dire que la parole de Françoise Nyssen était attendue par les archivistes. Trois mois après la fuite d'un document de travail ministériel évoquant une révision de la collecte d'archives et la création d'une catégorie dite "d'archives essentielles", la ministre de la Culture s'est exprimée devant une centaine d'archivistes, d'historiens et de généalogistes réunis au Conseil économique, social et environnemental.
"Nous ne ferons pas d'économie sur notre mémoire" a déclaré d'emblée Françoise Nyssen qui, à aucun moment de son intervention, n'a repris l'expression "archives essentielles". Pour autant, la ministre reprend l'esprit du document de travail et estime que les règles actuelles de collectes d'archives publiques posent un certain nombre de problèmes. Françoise Nyssen pense notamment au "décalage" entre la réglementation et "les réalités du terrain".
A ses yeux, d'autres facteurs doivent mener les archivistes à repenser leurs méthodes : la numérisation du patrimoine documentaire français et l'élargissement de la collecte aux archives privées (partis politiques, associations...). Face à cette nouvelle donne, Françoise Nyssen plaide pour "un débat de société" rassemblant bien au-delà de la stricte communauté archivistique. Ce débat se déroulera dès le mois d'avril 2018 sur une plateforme ouverte aux archivistes qui pourront y déposer leurs contributions.
Autre instance de concertation, une sous-commission rassemblant archivistes et historiens sera installée au sein du Conseil supérieur des archives dont le président, Jean-Louis Debré, était présent lors des débats.
Françoise Nyssen a précisé que les résultats de ce débat seront présentés "dans un an".
Enchevêtrements, redondances et manques
Les propos de la ministre de la Culture ont-ils convaincu les archivistes ? Tous conviennent de difficultés rencontrées avec les actuelles méthodes de collecte. Mireille Jean, directrice des Archives départementales du Nord, évoque "des enchevêtrements, des redondances et des manques". En cause, les multiples réformes administratives qui obligent les services d'archives départementales à collecter des fonds provenant de centaines de producteurs. Sont ainsi sur-représentés les fonds judiciaires et policiers qui, à eux seuls, représentent 60 % des archives collectées depuis 1940 par les Archives départementales du Nord.
Constat partagé par Françoise Banat-Berger, directrice des Archives nationales, dont les fonds consacrés à la justice et à la police, équivalent à 100 km linéaires sur les 300 hm linéaires que conservent les Archives nationales. Selon le registre des entrées récemment publié par les archives nationales,"en 2017, ce sont plus de 4,7 kilomètres linéaires de documents sur support traditionnel (papiers, photographies ou calques) et 4,7 To de documents électroniques ou audio-visuels qui sont entrés par la voie ordinaire des versements en provenance de la Présidence de la République, des ministères et des opérateurs nationaux".
Est-ce trop ? Est-ce juste ? N'est-ce pas assez ? Françoise Banat-Berger se pose la question : "à côté de quoi passe-t-on notamment dans les archives numériques ?"
Qui va organiser l'oubli ?
Du côté de l'Association des archivistes français, on note qu'il existe une demande de transparence : "si on ne joue pas la carte de la transparence, notre travail risque de générer des inquiétudes" estime Céline Guyon, vice-présidente de l'AAF. Le prochain Forum des archivistes qui se tiendra en 2019 portera justement sur le thème la transparence.
Les syndicats, en revanche, sont vent debout contre le projet gouvernemental. La CGT estime que "la destruction a déjà commencé avec le dépôt légal" et demande "l'arrêt de toute réévaluation-élimination des archives définitives".
Les propos de la ministre n'auront pas non plus convaincu les généalogistes. "Le concept d'archives essentielles a provoqué notre stupeur et notre perplexité" explique Thierry Chestier, président de la Fédération française de généalogie ; "nous sommes hostiles au remplacement de l'original papier par une copie numérique. l'Etat a une vision comptable des choses...".
L'historienne Annette Wieviorka, pour sa part, consent que "certes on ne peut pas tout conserver" mais s'interroge : "qui a la tâche d'organiser l'oubli ?"