Convergence des métiers de l'infodoc : les professionnels témoignent

La convergence des métiers, vue par le dessinateur Yves Barros. Archimag

 

Qui mieux que les archivistes, les bibliothécaires et les documentalistes pour parler de leur métier ? Qui mieux qu’eux pour confirmer ou démentir le mouvement de convergence qui semble prévaloir depuis quelques années ? Archimag vous a donné la parole et vous a interrogés au mois de septembre dernier via son site Archimag.com, avec la question « archivistes, bibliothécaires, documentalistes : observez-vous une convergence de vos métiers ? » Vos réponses ne se sont pas fait attendre. De Paris, de Grenoble, de Nouvelle-Calédonie, mais aussi d’Algérie ou du Bénin, elles attestent d’une convergence ou d’un rapprochement des métiers. Voici vos témoignages.

Sommaire du dossier sur la Convergence des métiers :

 

Aurélia Houdayer, bibliothécaire jeune diplômée
"sur la question du numérique, il est pour moi indéniable que les métiers de bibliothécaire et d'archiviste convergent"
En novembre 2011, j'ai obtenu le concours de bibliothécaire territorial et je venais d'entrer à l'Enssib dans l'un des masters du document numérique. Pour ma seconde année de master - la première est commune à trois spécialités -, j'ai choisi la spécialité archives numériques parce que, dans cette spécialité, certains points abordés sont communs aux bibliothèques et aux archives et notamment la question de la conservation du document numérique, sa pérennité, la question aussi des formats, des schémas de métadonnées pour en donner accès aux usagers. Dans cette spécialité, nous avions des cours donnés par des archivistes (Siaf, Archives nationales) et des bibliothécaires (BNF).

Sur la question du numérique, il est pour moi indéniable que les métiers de bibliothécaire et d'archiviste convergent car ils font face aux mêmes problèmes concrets : quel format choisir pour numériser ? Quelles métadonnées ? Comment aider l'internaute usager dans sa recherche tout en limitant le bruit ?

un projet commun de SIGB et portail

J'ai terminé mon M2, en juin 2013, par un stage de quatre mois à la direction de la culture d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) qui pilote un projet de système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB) et portail commun aux bibliothèques, aux archives et aux musées du territoire. J'ai travaillé sur l'intégration des archives à ses outils. Pour le moment, il n'est question que du catalogage du fonds documentaire des archives, mais la direction de la culture a voulu que j'explore la possibilité d'une recherche fédérée, c'est-à-dire dans les différents systèmes informatiques, à la fois dans le SIGB, dans le logiciel de gestion des archives et le logiciel professionnel utilisé par les musées. Cela se fait déjà : BNPM, BNSA, Mémoire vive, Portail Gassendi, le portail allemand BAM .

Avec des projets collaboratifs comme celui-là, archivistes et bibliothécaires (services d'inventaire, d'archéologie, musées) travaillent de concert et les différences s'estompent peu à peu.

Pour moi, qui ai acquis une double compétence bibliothéconomie et archivistique grâce à mon master à l'Enssib, il n'y a pas beaucoup de différences entre le métier d'archiviste et de bibliothécaire. Leur métier est d'être des médiateurs - d'autant plus dans le numérique - et de faire en sorte que les documents qu'ils conservent et les usagers se rencontrent. La différence, à mon avis, se ferait surtout au sein du métier d'archiviste, entre archiviste "pur", qui traite des archives anciennes, et records manager.


Claire-Marie Sauvignet, documentaliste
"j’ai observé des points de convergence des métiers de documentaliste dans une entreprise de haute technologie et bibliothécaire dans l’enseignement supérieur"
Ayant été documentaliste dans une entreprise de haute technologie et bibliothécaire dans l’enseignement supérieur, j’ai observé des points de convergence de ces deux métiers, mais qui restent pourtant très distincts. Selon ma propre expérience professionnelle, d’une quinzaine d’années pour le moment, les convergences que j’ai observées sont alors :

- la maîtrise impérative de l’anglais de la profession information specialist ou librarian, ainsi que de l’anglais technique du secteur pour lequel on travaille ;
- l’accueil et la formation des publics aux ressources électroniques et à la méthodologie de recherche bibliographique ;
- la promotion de nos services en interne ;
- la maîtrise de bases de données scientifiques et de journaux électroniques, être au fait des bouquets de ressources électroniques des grands éditeurs du secteur pour lequel on travaille ;
- visiter les salons (salon du livre, Documation, i-expo…), visiter d’autres structures similaires et collègues de notre réseau professionnel ;
- la diffusion de news et produits documentaires via un intranet ;
- la valorisation des tâches effectuées par chaque membre de l’équipe ;
- la centralisation et la gestion par une agence des abonnements aux revues papier ;
-le recours au service très efficace du prêt entre bibliothèques (PEB) ;
- enfin, malheureusement en terme de contrats de travail, une précarisation et des recrutements rares et très sélectifs, ainsi que peu de turn-over donc peu d’opportunités pour s’essayer à différents lieux de travail et niveaux de postes.

Dans ce témoignage, je n'ai pas évoqué les différences et les spécificités de chaque métier que j'ai vues au fil de mes nombreuses et diverses expériences professionnelles.


Sophia Lee, documentaliste-archiviste à la province Sud, vice-présidente de l’association Apidoc en Nouvelle-Calédonie
Un parcours s’appuyant sur la documentation et les archives
J'ai découvert la documentation lors de mon premier poste à l’Institut de la statistique en remplaçant le documentaliste, en congé maladie pendant plusieurs mois (1983). Plus poussée que forcée, ce travail fait de rencontres, de services et d'échanges m'a plu. Aussi ai-je cherché à comprendre et apprendre en autodidacte. Faisant également "office de" documentaliste dans mon deuxième poste à la ville de Nouméa (VDN), en 1989, j'ai finalement décidé de reprendre mes études dans ce domaine, poussée par le besoin de me professionnaliser pour être à la hauteur de la tâche pour la première commune du Territoire. C'est donc par le biais d'une formation Serda « passeport pour la documentation » que j’ai réellement découvert le monde de l'information et notamment sa dimension internationale.

stratégie professionnelle

Mon statut de fonctionnaire m’a permis de me mettre en disponibilité pour suivre une formation de deux ans (2001-2003) en DUT à l'IUT de Grenoble. Le programme de formation que je suivais ne pouvant m’accompagner pour la licence en documentation, mais ne pouvant me résoudre à rentrer en Nouvelle Calédonie avec seulement un DUT - je serais restée une technicienne -, j'ai décidé par pure stratégie professionnelle de changer de parcours en m'inscrivant en licence d’archives au département archives et médiathèque de Montauban.

Ma licence d'archiviste en poche, j’ai été recrutée sur titre en tant qu’attachée de conservation. Depuis, dix ans et trois mutations plus tard, je suis maintenant responsable de la documentation à la province sud : dans le secteur juridique et d’administration générale, mon équipe de quatre personnes est chargée d’installer un centre documentaire pour l’ensemble des agents de la province Sud.


G. Eurydoce Désiré Godonou, archiviste en stage de fin de formation à la préfecture de Porto-Novo (Bénin)
"une conviction de la convergence naturelle des métiers d'archivistes, de bibliothécaires et de documentalistes"
Je pense que ces métiers sont intimement liés. Dans bon nombre d'institutions au Bénin, on parle d'ailleurs de « service du pré-archivage et de la documentation ». Les deux divisions (pré-archivage et documentation) collaborent pour donner accès à une information complète.

Mes expériences de stage à la direction des archives nationales du Bénin et au service du pré-archivage et de la documentation de la préfecture de Porto-Novo renforcent en moi une conviction : celle de la convergence naturelle des métiers d'archivistes, de bibliothécaires et de documentalistes.


Joëlle Chorot, business and scientific information service manager chez STMicroelectronics
"nous sommes amenés ensemble à gérer des documents avec des objectifs communs"
Si je me place du point de vue de la gestion de la documentation interne pour une entreprise, je pense que les métiers d'archivistes et de documentalistes convergent car en effet nous sommes amenés ensemble à gérer des documents avec des objectifs communs : assurer l'accès à cette documentation de façon durable à des fins de gestion de la connaissance de l'entreprise et de ses experts, et de conformité avec les normes de gestion des enregistrements.


Martine Allègre, responsable bibliothèque, Grenoble Ecole de management
"la finalité des activités archivistiques, documentaires et bibliothéconomiques est la servuction"
Il y a convergence dans la mesure où nous travaillons tous pour des utilisateurs, publics, clients et nous devons toujours avoir en mémoire la notion de service. La finalité des activités archivistiques, documentaires et bibliothéconomiques est la « servuction », c’est à dire la production de services à destination des utilisateurs.

dépasser les images d’Epinal

Pour ne parler que de l'activité archives, quand dépassera-t-on enfin les représentations classiques des archives, les images d'Epinal pour parler enfin d'archives vivantes ? Idem pour les métiers de la bibliothèque.

Ensuite, les activités peuvent se différencier bien évidemment selon les environnements et la part d'activités de back et front office, et surtout du fait du renforcement des spécialisations métier qui demandent de plus en plus de formations et de haut niveau de compétences.


Mohamed Chaib, enseignant-chercheur au département de bibliothéconomie de l’université d’Alger 2
"l'informatique finira par imposer un accord !"
Je suis enseignant à l'université d'Alger 2 au département de bibliothéconomie qui forme des archivistes, des documentalistes et des bibliothécaires avec un tronc commun et ce depuis 1976. La base de ces métiers a toujours été la même. On peut les considérer comme les médiateurs de l'information documentaire. Il s'agit pour les trois métiers de collecter, décrire et mettre à disposition. La différence au départ était les supports et un peu la nature de l'information.

vers des systèmes intégrés

Actuellement, on tend vers des systèmes intégrés car l'utilisateur à besoin qu'on lui réponde par une information et non par un document. D'ailleurs, en Algérie, même les statuts de la fonction publique ont prévu le corps des documentalistes-archivistes. C'est aussi une solution économique pour les petites entreprises qui font du 2 en 1, voire du 3 en 1, dans certains cas.

La convergence ne date pas d'aujourd'hui, elle se met en place par petites touches, malgré les résistances des puristes, qu'ils soient conservateurs des archives ou des bibliothèques. Je crois que l'informatique finira par imposer un accord !


Bienvenu A., directeur de bibliothèque à Cotonou, Benin
"Les tâches peuvent être différentes selon le poste, mais les techniques et les approches sont les mêmes"
Nous pouvons dire que les métiers d'archivistes, de bibliothécaires et de documentalistes convergent. Les anglophones ont déjà réglé la différence entre bibliothécaires et documentalistes. En fait, il n'y en a pas selon moi. Les tâches peuvent être différentes selon le poste, mais les techniques et les approches sont les mêmes. Tandis que les francophones regardent le documentaliste comme plus proactif, je pense qu'aucun bibliothécaire ne peut plus survivre s'il se cache derrière son comptoir et ne va pas au-devant de l'usager. Cela est encore plus vrai dans nos institutions du Sud où les services d'information ont besoin d'une plus grande visibilité.

l’exemple du Québec

Quant aux archives, les types de documents sur lesquels l'archiviste intervient ont leurs spécificités quoique l’on puisse avoir affaire avec des monographies à certain niveau donné. Ce n'est peut-être pas pour rien que les Archives nationales du Québec sont devenues Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BanQ).


Camille Tête-David, documentaliste pour Euroscript Services, en prestation pour EDF Ciden
"il serait bon de s'inspirer des techniques des autres"
Je trouve que nos métiers sont de plus en plus proches. Mais nous avons une approche différente, sur le délai d'effectivité de notre travail.

On gère de l'information, mais d'un côté, on voit sur le court, moyen ou long terme. Nos métiers sont complémentaires et il serait bon de s'inspirer des techniques des autres.


 

Marie-Laure Duval, documentaliste chez Louis Berger
"la convergence des différentes branches des métiers de l'information est un gage de performance et de productivité"
Je travaille au sein du service documentation d'un bureau international de conseil en ingénierie, économie et aménagement, depuis bientôt trois ans. Dans la pratique, mes fonctions ne se limitent pas à la définition stricto sensu du métier de documentaliste. Une partie de mon activité concerne bien la recherche d'information, la veille, l'alimentation de bases de données, mais je suis également en charge de l'archivage de la société et l'un des projets du service est de redévelopper une bibliothèque technique de référence. Par ailleurs, comme mon entreprise n'a pas de service de communication, je m'occupe également du site internet et il nous a été demandé de concevoir et de mettre en place des procédures de production et de gestion des outils marketing (les plaquettes publicitaires notamment).

réflexion en termes de besoins

Plusieurs raisons me semblent expliquer le cumul de ces fonctions. D'une part, le management et les DRH ne maîtrisent pas nécessairement les subtilités entre les fonctions de documentalistes, archivistes et bibliothécaires. D’autre part, les entreprises, notamment de taille moyenne comme la mienne, n'ont pas toujours la possibilité de recruter une personne pour chacun de ces postes. Et, surtout, il m’apparaît que l'organisation ne réfléchit pas en termes de postes, mais plutôt en termes de besoins. Or, les besoins actuels d'une entreprise sont la gestion des différents types d'information ainsi que la conception et la maîtrise des procédures et flux associés. L'organisation recherche alors qui est le mieux placé pour mener à bien toutes ces missions et, dans le cas de ma société, la réponse a été les documentalistes qui ont su montrer au fil du temps leur expertise dans ces domaines et qui ont ainsi vu leurs fonctions se diversifier. Mais il est vrai que ce n'est pas toujours le cas. Je n'ai ainsi pas d'homologue dans les autres filiales de la holding à laquelle ma société appartient : les activités dont le service documentation a la charge dans mon entreprise y sont alors dispersées entre des ingénieurs, des assistants, des communicants, des informaticiens, etc. 

La convergence des différentes branches des métiers de l'information me semble être un gage de performance et donc de productivité pour l'entreprise. Ainsi, par exemple, lorsqu'un ingénieur monte une proposition ou rédige un rapport, il a besoin qu'on lui fournisse les informations issues des bases de données que nous alimentons, mais également d'anciens documents archivés et de documents techniques de référence qui lui permettront d'enrichir son livrable. Le fait qu'une personne maîtrise la gestion de tous ces aspects informationnels fait gagner du temps à l'utilisateur qui se tourne vers un interlocuteur unique et la qualité de service en est améliorée.

formation suffisamment ouverte

L'intitulé de mon poste est documentaliste, mais je me vois plutôt comme une professionnelle de la gestion de l'information. D'ailleurs, ma signature en anglais qui indique information manager me paraît mieux représenter la réalité de mon métier. 

Néanmoins, les métiers de documentaliste, archiviste ou bibliothécaire, bien qu'ayant des points de convergence, ont des spécificités propres ce qui nous demandent d'élargir nos compétences. La formation me semble donc être le facteur clé pour devenir un gestionnaire de l'information efficace. La formation initiale doit être suffisamment ouverte pour permettre d’être sensibilisé aux nombreux domaines de la gestion de l’information. La formation généraliste dans l'ingénierie documentaire que j’ai suivie m'a ainsi permis de m'adapter aux demandes informationnelles diverses et d'être force de proposition. Mais la formation continue est également indispensable pour mieux répondre aux besoins précis de l'entreprise. J'ai ainsi suivi une formation spécifique sur le records management et l’archivage afin de m'aider à mettre en place une politique et des procédures dans ce domaine.


Léon S. Djogbenou, bibliothécaire à la médiathèque de l'Institut français du Bénin à Cotonou
"avoir les outils nécessaires pour gérer l'information documentaire à un poste de bibliothécaire, archiviste ou documentaliste"
Archiviste de formation, je travaille en tant que bibliothécaire depuis près de huit ans maintenant à la médiathèque de l'Institut français du Bénin. D'ailleurs la pratique dans mon pays révèle que mon cas est loin d'être isolé : beaucoup de bibliothécaires, archivistes ou documentalistes sont employés à des postes pour lesquels ils n'ont pas un diplôme spécifique de base. Les autorités de l'institution chargée de former ces spécialistes ont bien compris cette réalité de terrain et pour permettre aux diplômés d'avoir beaucoup plus de chance d'être embauchés, elles ont intégré dans les modules, des cours en tronc commun à toutes les spécialités. Ainsi chaque professionnel a les outils nécessaires pour gérer l'information documentaire à un poste de bibliothécaire, archiviste ou documentaliste.

le fond du travail

Certes, les outils utilisés et les méthodes de travail ne sont pas toujours les mêmes que l'on soit bibliothécaire, archiviste ou documentaliste ; les outils et méthodes variant suivant les publics desservis et les objectifs qui ne sont pas les mêmes selon qu'il s'agit d'une bibliothèque, d'un centre de documentation ou d'un service d'archives. 

Cependant le fond du travail reste le même, c'est-à-dire rechercher, traiter et diffuser l'information à des publics définis.

 

Les podcasts d'Archimag
Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.