Les réseaux sociaux concurrencent de plus en plus l'information produite par les médias traditionnels. Cinq journalistes se sont coupés du monde pour ne s’informer qu’avec Facebook et Twitter. Une expérience que peuvent également méditer les documentalistes et les veilleurs.
Du premier au cinq février dernier, cinq journalistes se sont isolés dans un gîte du Périgord pour une aventure inédite. Coupés des médias traditionnels – presse écrite, radio, télévision, dépêches d’agences –, ils n’ont eu accès qu’à deux sources d’informations : Facebook et Twitter. Objectifs de la mission : quelle valeur accorder à l’information véhiculée par les réseaux sociaux ? Un journaliste peut-il prendre au sérieux ce qui se dit avec seulement 140 signes ? Comment se construit l’information en dehors des canaux ordinaires de diffusion ?
Ces cinq journalistes, tous francophones, travaillent au sein de France Inter, France Info, Radio Canada, la Radio suisse romande (RSR), et la Radio télévision belge francophone (RTBF). Pour Nicolas Willems (RTBF), cette expérience « a mis en avant les nombreux avantages des réseaux sociaux : la fonction d’alerte, la possibilité de dénicher des contacts et d’interroger les contributeurs pour obtenir des précisions et des éclairages sur les informations qui circulent ». Le journaliste belge considère cependant que le flux continu de posts et de tweets généré par Facebook et de Twitter pose des problèmes de tri et de vérification de l’information. Il constate également ce que tout internaute peut constater : les réseaux sociaux sont très chronophages… Pour Nour-Edine Zidane (France Inter), « l’info recueillie sur les réseaux sociaux semble coller à l’actualité. Mais il est toujours aussi difficile de traiter une matière non vérifiée et non hiérarchisée ». De fait, au fur et à mesure de leur huis clos médiatique, il apparaît que les cinq journalistes ne sont passés à côté d’aucune information vitale. Leurs sources d’informations ont fidèlement retranscrit l’actualité qu’ils lisaient… dans les médias traditionnels. Comme le reconnaît le journaliste de Radio Canada, Janic Tremblay, « je n’ai jamais vraiment eu l’impression d’être coupé du reste du monde ». Il semble également qu’ils n’ont pas été intoxiqués par des manoeuvres de désinformation.
Pourtant, à y regarder de plus près, les cinq journalistes ont pu voir à quel point les réseaux sociaux ressemblent parfois à un café du commerce numérique. Les petites phrases et les chamailleries politiciennes, tant critiquées quand elles sont diffusées par des médias traditionnels, trouvent ici une caisse de résonance inédite. De l’aveu même de Sébastien Muller (France Info), « les petites polémiques franco-françaises [Quoi ? Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux se détestent ?] sont à la une de Twitter, quand sur France Info ou TF1 l’on parlera bien plus de la grève SNCF ».
reflet de l’internaute
Pour intéressante qu’elle paraisse, cette expérience n’a pas manqué de susciter quelques critiques. L’annonce plusieurs jours à l’avance de ce Huis clos sur le net a probablement modifié le comportement de certains internautes. Tout détenteur d’un compte Twitter sait en effet s’il est suivi par un journaliste ; il est alors tentant de vouloir influer un média à forte v i s i b i l i t é démuni de ses sources traditionnelles d’informations. Surtout, les réseaux sociaux sont un reflet de la personnalité de l’internaute. Les journalistes isolés dans le gîte du Périgord ont constitué leurs contacts en fonction de leurs centres d’intérêt. Cette expérience en dit plus sur eux-mêmes que sur la qualité, bonne ou mauvaise, des informations relayées par Facebook et Twitter.
À l’heure du bilan, journalistes et professionnels de l’infodoc resteront sur leur faim. Il est impossible d’ignorer les réseaux sociaux, en particulier dans le domaine de la veille, mais il est tout aussi difficile de les prendre pour argent comptant.