Le Centre Pompidou et la Bibliothèque publique d'information célèbrent cette année leur quarantième anniversaire. Christine Carrier, directrice de la BPI, revient sur les origines de cet établissement novateur et dévoile le chantier de rénovation qui débutera en 2018.
Le Centre Pompidou et la BPI célèbrent cette année leur 40ème anniversaire. Quelle était la philosophie générale du projet BPI en 1977 ?
Le projet d'un centre culturel pluridisciplinaire remonte à la fin des années 1960 et il faut se rappeler ce qu'était la lecture publique à cette époque. Après la fermeture d'une salle de lecture du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France, un constat s'est imposé : il manque à Paris une très grande bibliothèque de lecture publique. Le projet du Centre Pompidou étant pluri-disciplinaire (arts plastiques, cinéma, musique, spectacles...), le président de la République George Pompidou a décidé d’y créer un grand lieu de lecture publique.
La BPI a-t-elle trouvé son public immédiatement ?
Oui, dès son ouverture, la BPI a vu arriver un public très important. Ce fut un succès immédiat tout comme le Centre Pompidou d'ailleurs. Malgré la polémique relative à l'architecture du bâtiment, il y a eu de la curiosité puis un engouement immédiat car ce qui se passait à l'intérieur ne se voyait nulle part ailleurs. Ainsi, à la BPI, les usagers purent accéder librement à des centaines de milliers de documents sans avoir à remplir une fiche. Sur plus de 10 000 m², la bibliothèque proposait en accès libre une très grande diversité de documents : des livres bien sûr mais aussi de la presse, du cinéma, des documentaires, de la musique... Dès son ouverture, la BPI a intégré différents formats de documents pour que le public puisse s'informer en lisant, en regardant du cinéma documentaire, en écoutant de la musique... Dès 1977, la conception de la BPI était celle qui prévaut aujourd'hui dans le monde des bibliothèques. Il y a quarante ans, ce projet était très novateur et d'une ampleur exceptionnelle.
J'ajoute un point important : dès son ouverture, la BPI était ouverte à tous sans distinction de diplôme ou de lieu de résidence et avec des horaires élargis (soirée, week end, jours fériés).
A ce jour, que représentent les collections de la BPI ?
La bibliothèque propose 400 000 documents physiques, une collection de 3 000 films documentaires et de très nombreuses ressources numériques qui se présentent sous la forme d'une centaine de bouquets. Sans oublier une importante offre musicale.
Les apprentissages sont dans l'ADN du Centre Pompidou : que peut-on apprendre à la BPI ?
L'offre d'apprentissages est en effet dans l'ADN de la bibliothèque. En cela, nous étions précurseurs en proposant à la fois des savoirs académiques et des savoirs pratiques notamment avec une offre d'apprentissage des langues étrangères et de la langue française. Cet apprentissage linguistique est plébiscité par les usagers notamment le "français langue étrangère" qui est très utilisé par le public étranger. Plus récemment, des ateliers de conversation en langues étrangères et en langue française ont été proposés et mélangent des publics très différents. Il est donc possible d'apprendre une langue étrangère en auto-formation et de compléter cet apprentissage par des ateliers pratiques de conversation.
Par ailleurs, nous avons lancé des ateliers pratiques qui répondent aux besoins des usagers : bureautique, recherche documentaire (du niveau débutant au niveau avancé), recherche d'emploi, réalisation d'un CV, préparation à un entretien d'embauche, création d'une auto-entreprise... Certains de ces ateliers sont animés par des professionnels de l'insertion. Ces ateliers rencontrent un très grand succès et sont régulièrement ajustés pour répondre aux besoins des usagers.
Ces ateliers de médiation font-ils de la BPI un learning center ?
En termes de services, la BPI est en effet une bibliothèque qui apporte toute une série de propositions et de services comme le ferait un learning center. Ces services vont de la documentation académique à la documentation pratique et jusqu'aux services offerts aux usagers. Depuis 2010, les équipes de la Bibliothèque publique d'information ont transformé la relation aux publics pour créer des propositions qui répondent aux besoins des usagers.
En 2013, le sociologue Serge Paugam consacrait un ouvrage aux pauvres à la bibliothèque et notamment à la BPI. Que sait-on du public qui fréquente la bibliothèque ?
Tous les trois ans, nous réalisons une enquête sur notre public. Avec environ 4 500 usagers par jour, la BPI est une mini-société. Comme dans toute société, il y a des gens plus défavorisés que d'autres qui se mélangent avec les autres usagers. C’est un vrai lieu de mixité sociale. Plus généralement, la moitié de notre public (51 %) vient de Paris intra-muros et 43 % résident en banlieue, 4 % viennent de l'étranger et 2% sont originaires d'autres régions françaises.
Le public est constitué de très nombreux étudiants mais cette fréquentation varie selon le jour de la semaine. Du lundi au samedi, le public est extrêmement mélangé avec une moitié d'étudiants. En revanche, le dimanche, le public est constitué à 70 % d'étudiants ! D'une façon générale, le public de la BPI est plutôt féminin (52 % de femmes et 48 % d'hommes) et jeune : les moins de 25 ans représentent 57 %. Une majorité (56 %) dispose d'un Bac + 2. Enfin, ce public est français à 65 %, étranger à 27 % et à double-nationalité à 8 %.
Les usagers se plaignent souvent des files d'attente notamment le dimanche. Comment améliorer cette situation ?
Rappelons d'abord que la BPI est ouverte tous les jours sauf le mardi (qui est le jour de fermeture du Centre Pompidou) et le 1er mai. Nous offrons donc une très grande amplitude horaire ce qui génère une très forte attractivité de notre établissement. Ensuite, nous avons contribué au développement de l'application Affluences qui a permis de gérer les temps d'attente à la BPI et s’est ensuite développé pour d'autres bibliothèques. Les usagers peuvent ainsi choisir une bibliothèque plutôt qu'une autre selon le temps d'attente ou les taux d’occupation indiqués par Affluences. Aujourd'hui, il n'y a plus de grandes files d'attente en semaine et on attend rarement plus de vingt minutes pour trouver une place à la BPI.
Reste le problème du dimanche ou très peu de bibliothèques sont ouvertes surtout dans le domaine universitaire. Ce problème se pose également lors des périodes de vacances universitaires. Je me tourne donc vers mes collègues des bibliothèques universitaires pour faciliter l'accès dominical aux bibliothèques à Paris et en Ile-de France.
Quels sont les chantiers de la BPI ?
La BPI est engagée dans un vaste projet de rénovation de ses espaces afin de remplir ses missions dans de meilleures conditions. Nous avons obtenu du ministère de la Culture les moyens nécessaires pour rénover ces espaces et être plus proches du projet scientifique que la BPI est en train de mener. Ce projet scientifique est organisé autour des médiations, de la collaboration avec le public, et de l'ouverture des collections vers des thématiques liées aux loisirs (bande dessinée, roman graphique, séries TV...) Pour autant, la bibliothèque poursuivra son rôle d'accueil académique.
Nous allons également renforcer notre action culturelle en proposant des expositions dans un lieu dédié au sein de la BPI. De même, nous espérons disposer d'un espace de rencontres pour accueillir des débats et des conférences. Nous souhaitons réinstaller un lieu de rencontre au cœur de la bibliothèque et au plus près du débat d'idée.
Cette rénovation nous permettra enfin de retrouver la fluidité et la mixité du public de l'ensemble du Centre Pompidou. L'entrée à la BPI se fera désormais par la piazza et le public pourra de nouveau emprunter la "chenille" pour pénétrer dans la bibliothèque au niveau 2 du bâtiment. Ainsi le public du musée sera mis en contact avec la proposition de la bibliothèque. Les travaux devraient démarrer fin 2018 pour s'achever en 2020. Un jury choisira le projet architectural au début du mois de mai 2017. Je précise que la bibliothèque restera ouverte pendant les travaux.
+ Repères
40 années d'innovations documentaires
Il faut remonter une douzaine d'années avant l'inauguration du Centre Pompidou pour trouver trace de le genèse de Bibliothèque publique d'information. Dès 1963, Etienne Dennery, directeur des Bibliothèques et de la lecture publique, décide de créer des salles de lecture publique dans le quartier des Halles. Quatre ans plus tard, le ministre de l'Education nationale Alain Peyreffitte approuve la création d'un grand établissement de lecture publique. En 1969, le président Georges Pompidou propose de créer sur le plateau Beaubourg un grand centre culturel multidisciplinaire : "je voudrais passionnément que Paris possède un centre culturel (...) qui soit à la fois un musée et un centre de création (...) La bibliothèque attirerait des milliers de lecteurs qui du même coup seraient mis en contact avec les arts."
Sous l'autorité de Jean-Pierre Seguin, qui sera le premier président de la BPI, les concepteurs de la future bibliothèque se rendent en Suède, aux Etats-Unis et au Canada pour recueillir des informations sur les établissements les plus novateurs. Après un chantier monumental qui durera cinq ans, le Centre Pompidou est inauguré par le président Valery Giscard d'Estaing et la BPI ouvre ses portes au public le 2 février 1977. D'emblée, cette offre offre documentaire bouleverse les habitudes : les visiteurs y trouvent des livres, des diapositives, des disques, des micro-films, des vidéos ainsi que des méthodes d'auto-apprentissage pour s'initier aux langues. Au total, 270 000 documents sont proposés en accès libre. Les enfants ne sont pas oubliés avec un espace de 200 m² dédié aux collections jeunesse. La BPI s'étend sur 15 000 m répartis sur trois niveaux sans mur ni cloison.
Bases de données, Minitel, Internet
"Le succès fut immédiat, dépassant largement les prévisions les plus optimistes qui prévoyaient 4000 personnes par jour. Il en vint le triple" rappelle la BPI.
En 1979, les bases de données font leur entrée dans la bibliothèque et des minitels sont installés à partir de 1984. Les premiers postes d'accès gratuit à internet font leur apparition en 1995. Depuis, la BPI continue d'explorer les nouvelles offres de services documentaires : bibliothèque numérique, ateliers dédiés à la vie pratique, expositions...