La ministre de la Santé souhaite parvenir à l’ouverture de 40 millions de dossiers médicaux partagés d’ici à cinq ans. Un pari qui sera difficile à tenir.
Quinze ans après sa création, le dossier médical partagé (DMP) sera-t-il un jour utilisé par les patients ? Pour Agnès Buzyn, la réponse est “oui”. La ministre de la Santé vient d’annoncer la généralisation du DMP et compte désormais sur l’engouement des assurés sociaux : “le dossier médical partagé, premier carnet de santé numérique, doit devenir une évidence pour tous les Français”. Agnès Buzyn se montre très optimiste avec un objectif de 40 millions de dossiers ouverts d’ici cinq ans ! Réussira-t-elle là où une demi-douzaine de ses prédécesseurs ont échoué depuis Philippe Douste-Blazy à l'origine du projet en 2004 ? Rien n’est moins sûr.
Au mois d’octobre dernier, moins de deux millions de DMP avaient été ouverts. C’est peu pour un projet lancé en 2004. A l’époque, Philippe Douste-Blazy voyait les choses en grand : “demander à tous les médecins de mettre en commun tout ce qu’ils ont sur chaque malade (c’est) possible en trois mois”. Et promettait une économie de 3,5 milliards d’euros par an. Bien entendu, rien de cela ne s’est produit.
Au contraire. En 2012, la Cour des comptes épinglait le DMP et les 500 millions d’euros déjà dépensés pour… 160 000 dossiers créés. La juridiction de la rue Cambon pointait même de sérieuses faiblesses de conception : “ ces défaillances attestent aussi d’une absence particulièrement anormale et préjudiciable de stratégie”.
Des médecins réticents
Il faut attendre 2016 et un coup de rein du gouvernement pour remettre le DMP sur les rails. Grâce à une incitation financière (1 euro par DMP ouvert), les pharmaciens se sont transformés en VRP du DMP. Et les Caisses primaires d’assurance-maladie ont été, elles aussi, invitées à en ouvrir. Neuf départements pilotes ont pu bénéficier de ce traitement de faveur avec à la clé une réelle augmentation du nombre de dossiers médicaux partagés.
Mais le plus dur reste à venir. Il sera très difficile d’atteindre 40 millions de dossiers alors que rien n’oblige les assurés à ouvrir un DMP. D'autant plus, certaines associations estiment que la confidentialité des données de santé n’y est pas garantie.
Les médecins, quant à eux, sont loin d’être acquis au dossier médical partagé. A leurs yeux, l’outil souffre d’une ergonomie approximative qui, au final, leur fait perdre du temps. Chiffre inquiétant : seulement 18 % des médecins des neuf départements pilotes ont utilisé le DMP...
DMP, mode d’emploi
Depuis le 6 novembre 2018, toute personne bénéficiant d’un régime de sécurité sociale peut disposer d’un dossier médical partagé. Précision importante : seuls les professionnels de santé autorisés et la personne concernée peuvent le consulter. Le DMP est disponible pour les assurés des régimes suivants : Régime Général, Cavimac, ENIM, MGP, MNH, Solsantis, Harmonie Fonction Publique, CANSSM, LMDE.
L’ouverture d’un DMP est relativement laborieux. Sur le site sécurisé https://www.dmp.fr/, l’assuré est d’abord invité à saisir son numéro de sécurité sociale. Un code à 12 caractères lui est alors envoyé par courriel (dans un délai d’une vingtaine de minutes). Ce code doit ensuite être saisi ainsi qu’une série de renseignements (numéro de carte vitale, numéro de téléphone ou adresse électronique) avant de recevoir un code d’accès à usage unique (à utiliser dans les 10 minutes). L’assuré doit alors saisir de nouvelles informations avant d’accéder à son dossier médical personnalisé.
Une fois ouvert, le DMP mentionne les antécédents médicaux (allergies, pathologies…), les résultats d’examens (radio, analyses biologiques…) ainsi que les comptes rendus d’hospitalisation. L’historique de soins des 24 derniers mois est automatiquement alimenté par l'Assurance Maladie. Et un courriel ou un SMS est envoyé à l’assuré dès qu’un document est déposé dans son carnet numérique.
Pour les promoteurs du DMP, son déploiement permettra d’éviter d’éviter les contre-indications médicamenteuses et les doublons d’examen. Il devrait également améliorer les échanges entre la médecine de ville et les hôpitaux.
La question de la confidentialité des données médicales a souvent été avancée pour expliquer le faible engouement des Français pour DMP. Pour l’Assurance Maladie, “le dossier médical partagé est hautement sécurisé”. L’assuré peut à tout moment bloquer un professionnel de santé, supprimer une autorisation et même demander la fermeture de son DMP.