Le Mémorial de la Shoah de Drancy vient d’ouvrir ses portes sur les lieux mêmes du camp d’internement qui fut la plaque tournante de la déportation des Juifs de France. Un lieu de mémoire et de transmission.
Sur les 76 000 Juifs de France qui furent déportés vers les camps d’extermination nazis, 63 000 passèrent par Drancy. Entre mars 1942 et août 1944, le camp de Drancy, au nord de Paris, devint la plaque tournante de la déportation des Juifs de France. D’abord conçu comme un camp de transit, il fut transformé en camp de déportation et gagna rapidement un nom : "l’antichambre de la mort"…
C’est pour perpétuer ce souvenir que la Fondation pour la mémoire de la Shoah vient d’inaugurer le Mémorial de la Shoah de Drancy. "De tous âges, de toutes origines, de toutes nationalités, de toutes conditions sociales, ils n’avaient qu’un point commun, ils n’allaient être frappés que pour une seule raison : ils étaient juifs. Cela suffisait pour qu’on les envoie à la mort", a souligné le Président François Hollande lors de l’inauguration du Mémorial le 21 septembre dernier.
Rien ne prédestinait pourtant Drancy et sa cité de la Muette à devenir un camp de déportation. Lors de sa création en 1931, la cité de la Muette visait une noble ambition : offrir un habitat collectif bon marché inséré dans un projet architectural et urbain moderne. Mais les bâtiments peinent à attirer les habitants. En 1937, le ministère de la Guerre décide de louer les immeubles pour y loger la Garde républicaine mobile.
Trois ans plus tard, alors que l’Allemagne nazie s’empare de Paris, la Wermacht réquisitionne l’ensemble des logements pour en faire un camp de détention provisoire destiné aux prisonniers de guerre français et anglais. Des barbelés et des miradors sont alors érigés et des chemins de ronde sont balisés autour de l’ancienne cité de la Muette. En août 1941, une grande rafle anti-juive vise Paris : 4 230 hommes sont transférés au camp de Drancy où ils croupissent dans des conditions d’hygiène misérables.
Administré par le préfet de police, le camp est en réalité dirigé par les nazis, en particulier Theodor Dannecker, le chef du service des affaires juives de la Gestapo auquel succéderont Heinz Röthke et Aloïs Brunner.
lettres, dessins, objets
Le premier grand convoi de prisonniers quitte Drancy pour Auschwitz-Birkenau le 22 juin 1942. Trois semaines plus tard, la rafle du Vél d’Hiv vise hommes, femmes et enfants juifs. Ces derniers sont séparés de leurs parents lors de leur arrivée à Drancy. Le camp est désormais confronté à un problème de surpopulation en raison du nombre d’arrestations menées en zone sud. En proie à la faim, aux maladies et aux humiliations, les internés s’entassent à 85 par chambrée. Des conditions de survie épouvantables qui n’empêchent pas les prisonniers de faire acte de volonté de vivre. Des lettres, des dessins et des objets sont confectionnés comme des ultimes témoignages de leur sort funeste. Certains de ces témoignages sont exposés au Mémorial de Drancy.
La vie du camp alterne entre accalmie et répression. Le marché noir se développe avec la complicité des surveillants, l’enseignement pour les enfants est autorisé à certaines périodes, le courrier est permis puis interdit… Des internés entreprendront de creuser un tunnel, mais leur manœuvre est découverte. La sanction est immédiate : ils sont déportés.
En juillet 1943, Aloïs Brunner prend la direction du camp et renvoie les gendarmes français à l’extérieur du camp. Il décide de faire reposer l’administration du camp sur les internés eux-mêmes pour mieux les opposer et met en place un classement des déportés en différentes catégories : déportable (B), protégé (C), etc. Un prisonnier pouvait passer de l’une à l’autre de ces catégories à tout moment…
destruction des archives
Alors que les forces alliées gagnent du terrain sur l’Allemagne pendant l’été 1944, la dernière grande rafle se déroule du 21 au 25 juillet dans les foyers pour enfants de l’Union Générale des Israélites de France. 250 enfants sont acheminés à Drancy puis déportés vers Auschwitz.
Le 17 août 1944 marque la fin de la catastrophe : le dernier convoi part de Drancy pour Buchenwald. Au préalable, Aloïs Brunner a ordonné la destruction des archives du camp. "Il n’existe qu’une centaine de photographie du camp de Drancy, souligne Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah de Paris et de Drancy ; il s’agit pour l’essentiel de clichés réalisés par la propagande nazie montrant des prisonniers souriants et en bonne santé…".
Après la Libération de Paris, le camp de Drancy connaîtra un sort singulier. Il sera utilisé pour la détention d’individus suspectés de collaboration comme Sacha Guitry, la cantatrice Germaine Lubin ou encore le président du conseil municipal de Paris Pierre Taittinger.
Les premières commémorations lancées à l’initiative d’anciens internés rescapés auront lieu dès 1946. Les clôtures barbelées et les miradors sont démantelés et la cité de la Muette retrouve progressivement sa vocation première en accueillant de nouveaux locataires. Elle a été classée monument historique en 2001.
centre de documentation
Le site qui accueille aujourd’hui le nouveau bâtiment dessiné par l’architecte suisse Roger Diener fait face au monument commémoratif réalisé par le sculpteur et ancien interné de Drancy, Shlomo Selinger. Un peu plus loin, un vestige de voie ferrée mène au « wagon du souvenir », en réalité une voiture à bestiaux dans laquelle étaient entassés les prisonniers.
Doté d’un centre de documentation (voir encadré), de salles pédagogiques et d’espaces d’exposition, le Mémorial de la Shoah de Drancy porte la mémoire vive des derniers rescapés encore en vie.
+ repères
la Shoah, une catastrophe documentée par 30 millions de pièces
Le centre de documentation du Mémorial de la Shoah de Drancy propose des fonds documentaires consacrés à l’histoire du camp drancéen. Situé au premier étage du bâtiment, il offre une sélection d’ouvrages, de photographies de films et d’archives numérisées provenant des collections du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC).
Considéré comme le plus important centre d’archives sur la Shoah en Europe, le CDJC possède un fonds documentaire composé de plus de 30 millions de pièces, d’une photothèque de 90 000 images, d’une bibliothèque de 50 000 ouvrages et de nombreux films d’archives. Ces collections ont été utilisées notamment par la justice française et internationale à l’occasion du procès de Nuremberg (1945-1946) et du procès de Klaus Barbie (1987).
www.memorialdelashoah.org