Droit : défendre l'e-réputation des élus

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La réputation numérique ou e-réputation se gère. Mais quels sont les moyens d’action offerts pour faire cesser le trouble d’une mauvaise image ou d’une image erronée sur internet ? Les personnalités politiques sont une population particulièrement exposée.

les fondements juridiques

droit au respect de la vie privée

Le droit au respect de la vie privée de chacun trouve sa source dans l’article 9 du code civil : "Chacun a droit au respect de sa vie privée". Un élu, par exemple, doit distinguer les atteintes au respect de sa vie privée et les messages concernant son image en tant que personnalité publique.
Pendant de nombreuses années, la vie privée des hommes politiques a été considérée en France comme un domaine interdit. Mais depuis peu et encore plus ces dernières années avec l’avènement des réseaux sociaux, la tendance est que les hommes politiques dévoilent de plus en plus leur vie privée à la presse et aux médias. L’érosion de la distinction entre le privé et le public dans la sphère politique est avérée. Twitter et Facebook permettent une présentation de soi individualisée, en image, et une manifestation de ses relations sociales.
Mais lorsque la vie privée est divulguée indépendamment de la volonté de la personne publique, il peut lui être opposé la liberté d’expression ou encore le droit à l’information. Le juge cherchera un équilibre et privilégiera la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime (cassation 1ère, 9/07/2003).

séquestre, saisie et autres mesures

Les moyens d’action ont été introduits à l’article 9 du code civil qui, en son alinéa 2 donne pouvoir aux juges de "prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée". La seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation (cassation 1ère , 5/11/1996). Toute personne a droit au respect de sa vie privée, quel que soit son rang, sa naissance, ses fonctions exercées présentes ou à venir (cassation 1ère chambre 23/10/1990).
Le juge des référés est compétent pour prendre toutes mesures de nature à faire cesser tout trouble manifestement illicite. Il pourra entreprendre une mesure double :
- prendre toute mesure conservatoire de manière à faire cesser effectivement le trouble
- en l’absence de contestation sérieuse sur le droit à réparation, eu égard au préjudice souffert, accorder une provision à valoir sur la totalité du dommage, la victime se réservant la possibilité d’agir au fond.

droit à l’image

L’atteinte au respect dû à la vie privée et l’atteinte au droit de chacun sur son image constituent des sources de préjudices distincts ouvrant droit à des réparations tout aussi distinctes (cassation 12/12/2000).

des moyens d’action spécifiques 
1 – la LCEN
L’article 6 de la loi pour la confiance en l’économie numérique de 2004 (LCEN) impose à l’hébergeur de contenus sur internet de retirer les contenus illicites qui lui sont notifiés. Encore faut-il respecter la procédure prévue et commencer par adresser une mise en demeure de l’hébergeur (1). Tant que l’hébergeur n’a pas été notifié de l’illégalité du contenu posté, il ne peut être tenu pour responsable.
Cette loi autorise ainsi la justice à demander à l’hébergeur de communiquer les adresses IP pour identifier les auteurs de contenus ou de supprimer du contenu litigieux. Les hébergeurs sont tenus de détenir et conserver les données (nom, prénom, adresse postale, adresse IP, etc.) de quiconque a contribué à la création du contenu sur les services dont ils sont prestataires.
Par exemple, lorsqu’un hashtag (mot-clé) sur Twitter porte atteinte à un groupe ou une personne, quels sont les moyens d’action juridique possibles ? Récemment cette question s’est posée pour le cas du mot-clé #UnBonJuif puisque plusieurs associations ont décidé, après tentative de conciliation avec Twitter, de porter plainte :
- contre l’hébergeur
Twitter ne possédant pas de bureaux en France, elle sera soumise au droit américain. Si elle avait été hébergée en France, la LCEN permettrait de contraindre Twitter de communiquer les adresses IP et faire supprimer des contenus illicites. Les données d’identification du créateur du mot-clé litigieux, et des émetteurs de tous les tweets affiliés, pourront être demandées à Twitter après une décision de justice et la responsabilité de Twitter pourrait être engagée sur le fondement de la négligence prévue à l’article 1383 du code civil selon lequel "chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence".
A la suite d’une telle décision de justice, Twitter aurait le choix de coopérer ou non, comme elle l’a fait en bloquant un compte néonazi en Allemagne récemment (octobre 2012). En cas de refus, la procédure de l’exequatur permet de demander à la justice américaine de faire appliquer une décision française sur son territoire.
- contre l’émetteur du contenu
Il suffit de prouver que l’infraction a été commise en France, donc que les tweets ont été postés en France pour que la loi pénale leur soit applicable. L’émetteur du contenu litigieux peut invoquer la liberté d’expression lorsque lui sera reproché le délit d’injure raciale prévu et sanctionné par la loi du 29 juillet 1881 par six mois d’emprisonnement et 22 500 euros d’amende et celui de l’incitation à la haine raciale punie d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
- contre le fournisseur d’accès
La justice française pourrait aussi demander à des FAI de mettre en œuvre un blocage par nom de domaine pour empêcher leurs abonnés d’accéder à partir du territoire français à des sites illicites comme elle a pu le faire auparavant.

2 - la loi informatique et libertés
Il existe aussi une obligation à la charge du responsable d’un traitement automatisé de données de définir la durée de conservation des données (art. 6 de la loi informatique et libertés), ainsi qu’un droit d’opposition au bénéfice de la personne dont les données sont collectées (art. 38 de la loi informatique et libertés).
Le droit à l’oubli (2) repose donc sur des règles de droit.

la captation de données informatiques

La loi du 14 mars 2011, dite Loppsi 2, a créé une nouvelle mesure d’enquête : la captation électronique. Afin de lutter contre la cybercriminalité, la loi prévoit la possibilité pour la police, sur autorisation du juge des libertés, de la mise en place "d'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d'accéder en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour l'utilisateur d'un système de traitement automatisé de données ou telle qu'il les y introduit par la saisie de caractères".
De plus, la Loppsi 2 a introduit en droit français le nouvel article 226-4-1 dans le code pénal qui sanctionne expressément le délit d’usurpation d’identité en ligne d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Le second alinéa du texte précise que "cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne".
Concrètement, il est possible d’agir sur le fondement de ce texte dès lors qu’il y a utilisation sur internet, sans l’accord de la personne concernée, d’informations permettant de l’identifier. Des dommages et intérêts peuvent de plus être octroyés à la personne dont l’image a été dénaturée (3).

les moyens de prévention

régler les paramètres de confidentialité

L’élu peut gérer les réglages des paramètres de confidentialité : par exemple sur Facebook, retreindre l’accès de la page à ses "amis", ou sur Twitter bien distinguer entre profil privé et public.
Par ailleurs, il peut faire appel à une société de gestion de l’e-reputation. Les entreprises de service de gestion de l’e-réputation connaissant un véritable succès. De plus en plus de personnes s’adressent à ces entreprises pour leur demander de "nettoyer"» leur réputation sur internet. Ces entreprises peuvent mettre en œuvre deux principales actions :
- contacter l’hébergeur du site afin de lui demander de retirer les contenus illicites
- faire émerger un flot d’informations neutres ou positives pour noyer les informations préjudiciables.
Ces techniques connaissent des limites. En effet, il arrive souvent que les liens gênants continuent à apparaître sur internet.

plainte en ligne sur le site de la Cnil

Lors de manquements sérieux au respect de la loi informatique et libertés, la Cnil a le pouvoir de prononcer des sanctions administratives ou financières. Dans ce cas, elle se réunit en formation contentieuse pour prononcer les sanctions prévues à l’article 45 de la loi informatique et liberté. Elle a également la possibilité de dénoncer au procureur de la République les infractions à la loi dont elle a connaissance.

le risque de pérennité de l’information

Sur internet et sur les réseaux sociaux, les capacités de conservations de données sont renforcées et les informations restent visibles de façon permanente. En pratique, le droit à l’oubli reste très compliqué à mettre en place. En effet le problème des informations sur ces moyens de communication est qu’elles sont dupliquées à plusieurs endroits. Il est très difficile de retirer les contenus partout où ils sont cités.
A titre d’illustration, citons le TGI de Montpellier qui, en 2010, avait ordonné à Google de désindexer des liens URL. Or les images dont le tribunal de Montpellier avait ordonné le retrait en 2010 sont restées visibles sur internet par le biais du moteur de recherche Google.

Danièle Véret
[Avocat à la Cour]

(1) Cassation Civ.1ère 17 février 2011.
(2) « La prescription des faits qui ne sont plus d’actualité » (Gérard Lyon-Caen).
(3) Article 9 du code civil.

Les podcasts d'Archimag
Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.