E-réputation: comment être intouchable

E-réputation : comment être intouchable archimag

 

De buzz en buzz, l’e-réputation fait son chemin. Désormais, elle concerne autant les entreprises, les marques ou les personnalités de tous horizons que les individus. Chacun devient attentif à la façon dont il est perçu en ligne. Renforcer les éléments positifs, étouffer, voire gommer les éléments négatifs, anticiper : ces pratiques deviennent systématiques. Elles s’appuient maintenant sur des méthodes, des outils, des compétences. Gérer et promouvoir une e-réputation est une activité à part entière. A confier de préférence à des professionnels.

 

Sommaire du dossier:

 

La première édition du Grand prix de l’e-réputation a récemment désigné Rama Yade, vice-présidente du Parti radical et ancienne secrétaire d’Etat, femme la plus influente d’internet (1). Si les personnalités politiques se soucient depuis longtemps de leur image, elles sont loin d’être les seules. En ligne, la tendance s’est exacerbée et généralisée. Dirigeants d’entreprise et salariés, étudiants ou chercheurs d’emploi, futurs créateurs d’entreprise : tout le monde a conscience que l’identité numérique, ça se soigne, l’e-réputation, ça se gagne.

La gestion de l’image de soi a pris son essor tout d’abord avec le développement des blogs et des nouvelles plateformes d’échange. Puis les réseaux sociaux ont émergé. Ils facilitent la mise en ligne de contenus et d’informations par des utilisateurs qui ne mesurent pas toujours les conséquences à long terme d’actions a priori anodines. Pourtant le moindre détail peut avoir des incidences négatives : photos désobligeantes, informations confidentielles ou personnelles, opinions politiques ou religieuses, commentaires déplacés… On se souvient du phénomène des « licenciements Facebook » de salariés qui avaient publié des critiques véhémentes à l'égard de leur entreprise.

le marché des données personnelles

Actuellement, il semble difficile de supprimer intégralement des contenus. Le moteur de recherche Google ne permet pas de consulter des pages en cache : des traces subsistent souvent. Des informations personnelles sont parfois conservées à l’insu de l’internaute, faute d’avoir bien lu les conditions générales d’utilisation. Les mises en garde régulières de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), voire les critiques des parlementaires européens quant aux non-respect des règles de droit européen par Facebook et Google restent sans effet. Les données personnelles deviennent un enjeu clef, un marché pour les industries publicitaires. Jay Bhatti et Jaideep Singh ont d’ailleurs lancé Isearch, d’abord baptisé Spock.com, un moteur de recherche prétendant pouvoir retracer les six milliards d’êtres humains de la planète à partir d’une requête nominative (2).

Désormais, il s’agit pour les usagers de mieux saisir les opportunités offertes par le numérique afin de gérer de manière active leur identité numérique et, surtout, leur réputation. 

réputation, notoriété, influence

La Cnil définit l’e-réputation comme l’« image numérique d’une personne sur internet. [Elle] est entretenue par tout ce qui concerne cette personne et qui est mis en ligne sur les réseaux sociaux, les blogs ou les plateformes de partage de vidéos » (3). Olivier Ertzcheid la décrit comme « l’image qu’une organisation, qu’une entreprise ou qu’un individu va arriver à donner de lui au travers des résultats visibles dans les moteurs de recherche et les réseaux sociaux » (4). Cette bonne image renvoie à la notion de notoriété définie par le petit Larousse comme le « caractère de ce qui est notoire, connu d’un grand nombre de personnes ». La tendance est également de la relier avec l’influence. Le web apparaît dès lors comme le principal carrefour de l’influence. Pour les candidats à la présidentielle de 2012, c’est un passage obligé, chacun a ouvert des comptes Facebook ou Twitter. Jusqu’à en abuser ? Le « dopage numérique » est pointé du doigt et nourrit la controverse (5).

Dans une société où l’hyper-exposition domine, être visible sur le web s’avère nécessaire, si bien que certaines entreprises sont tentées par l’achat de fans. De nombreuses marques, dont la célèbre boisson à la pulpe d’orange, font appel à des agences ou start-up spécialisées dans l’achat de fans ou followers. Boostic ou Acheter des fans Facebook proposent des packs à partir de 99 euros pour 1 000 « j’aime » sur Facebook ou 50 followers sur Twitter pour 9,90 euros (6). Ces sites vantent les avantages de leurs services pour le référencement de leurs clients, les algorithmes de Google tendant de plus en plus vers la prise en compte de la popularité sociale. De plus ces« fake friends » (faux amis) apporteraient de la légitimité à leurs souscripteurs, grâce à eux plus visibles et plus forts. 

erreurs irréparables

« Il faut environ vingt ans pour construire une réputation et seulement cinq minutes pour la ruiner ! » Cette phrase de l’homme d’affaires américain Warren Buffett est encore plus vraie sur le web. Le cas du député démocrate Anthony Weiner en est une preuve. En mai 2011, il envoie en lien à l’une de ses « followeuses » une photo de lui en caleçon. La polémique le contraint de démissionner.

Les réseaux sociaux sont de fabuleux moyens de communication, encore faut-il savoir en faire bon usage. Les erreurs peuvent être irréparables, surtout pour les personnalités notamment politiques. Les exemples sont nombreux : le ministre Eric Besson et son message privé raté (DM fail) sur Twitter (« Quand je rentre je me couche. Trop épuisé. Avec toi ? »), celui du socialiste Paul Quilès saluant la victoire de François Hollande aux primaires du PS sur Twitter quelques minutes avant les résultats, ou bien encore Nadine Morano, ministre de l’Apprentissage, dont les gaffes sur Twitter ont fait douter même de son identité réelle ses collègues du gouvernement (7) !

La réputation – étymologiquement évaluation – est ce à quoi l’on confère de la valeur. Une valeur qui provient des autres. On ne peut totalement contrôler son image tant ce sont les autres qui nous attribuent ou non de la crédibilité. D’où la question de l’influence et la volonté des publicitaires et des politiques de cerner avec justesse les acteurs susceptibles d’impulser des tendances ou de diffuser des idées. Pendant longtemps, les plus prisés furent les blogueurs. Désormais, la présence active sur les réseaux sociaux est aussi recherchée. Au point que des outils de mesure de réputation et d’influence sont récemment apparus, parvenant même à obtenir des investissements assez importants pour poursuivre leur développement.

C’est notamment le cas de Klout et de PeerReach. Chacun des deux possède une approche différente de la mesure de l’influence dans les médias sociaux. Klout se concentre sur la popularité des internautes à travers l'ensemble des plateformes sociales, tandis que PeerReach base son algorithme sur l'évaluation de la compétence d'un individu par domaine d’expertise. Si ces systèmes présentent certains intérêts, les résultats sont à relativiser, ne s’appuyant pas sur des indices scientifiques. Peut-on d’ailleurs réellement évaluer l’influence d’une personne à l’aune de sa seule présence numérique ? Quel crédit accorder à l’indice de Klout censé mesurer la valeur d’une personne ? Le site va jusqu’à organiser des soirées réservées aux personnes dont l’indice est supérieur à soixante (8)

stratégie de marque

Si beaucoup d’entreprises sont conscientes de leur réputation sur le web depuis plusieurs années, cette question tend à concerner de plus en plus les individus. Ils se soucient non seulement de leur identité personnelle, mais aussi et de façon croissante de leur identité professionnelle.

Le personal branding émerge ; il consiste à se demander comment faire pour gérer sa marque personnelle dans la vie réelle et sur le web. L’application de préceptes marketing pour les individus suscitent néanmoins plusieurs interrogations, voire des critiques (9). Toutefois, certaines stratégies peuvent s’avérer efficaces, en particulier au niveau politique. L’actuel président des Etats-Unis en est un parfait exemple. Lorsque Barack Obama annonce sa candidature, en février 2007, il est inconnu du grand public. Pourtant, il va savoir se vendre en mettant en place une stratégie de marque personnelle. La marque Obama possède aujourd’hui une charte graphique, un logo et un slogan.

Toutefois ces stratégies sont surtout valables pour les entreprises. A travers la personnalité d’un de leurs dirigeants, elles modèlent une certaine image auprès des clients. Par exemple, l’entrepreneur français Michel-Edouard Leclerc cultive son image de « défenseur des consommateurs ».

Avec les requêtes nominatives sur les moteurs de recherche, il appartient de plus en plus aux individus de construire leur espace social afin qu’il leur soit favorable. En 2010, en France, 89 % des recruteurs avouent effectuer des recherches en ligne sur les candidats, 14 % en ayant déjà éliminé un sur la base des résultats obtenus.

placer l’internaute au centre

Dans l’immensité du web, les rumeurs risquent de se diffuser à grande échelle. Vouloir contrôler totalement sa réputation ou son image relève de l’illusion. L’imprévu est toujours possible.

Le point de départ pour surveiller son e-réputation est d’établir un constat en tentant de mesurer l’information qui circule sur sa propre personne ou sur son entreprise. Il s’agit clairement d’un processus de type veille image. En cela, les méthodes ne sont pas complètement nouvelles. Cependant, la méthodologie et la procédure supposent un travail préparatoire pour développer les moyens d’accroître sa notoriété et sa légitimité sur les réseaux, ainsi que des moyens pour réagir en cas de communication de crise.

Le buzz marketing ou bourdonnement est une technique utilisée par les entreprises pour communiquer de façon positive autour d’elles ou de leurs nouveautés. Cette méthode place l’internaute au centre d’un processus communicationnel, ce qui permet à la fois d’éviter des coûts élevés de diffusion publicitaire et de mieux cibler le public intéressé par le produit dont on vante les mérites.

bad buzz

Toutefois, cet instrument de communication requiert le respect de certaines règles ; il peut parfois fonctionner à rebours : on parle de bad buzz. Ce dernier désigne une campagne orchestrée ou spontanée qui critique de manière virulente l’action d’une entreprise. Les informations vérifiées ou falsifiées se propagent généralement au travers des réseaux sociaux, en premier lieu Twitter et Facebook, ceci de manière extrêmement rapide.

La marque Petit Bateau en a fait les frais. En juin 2011, elle provoque un tollé sur sa page de fans Facebook. La raison ? Une nouvelle ligne de bodies pour enfants où sont mentionnés des termes jugés à connotation sexiste par ses clients. Les bodies destinés aux petites filles comportent des termes comme « jolie » ou « douce », tandis que ceux des petits garçons utilisent les mots « courageux » ou « fort »… Le débat est initié par les fans de sa page Facebook. La marque décide de ne pas y prendre part et reste en retrait. Une stratégie de communication qui n’est pas toujours la meilleure à adopter en temps de crise.

Autre illustration du bad buzz, celui qu’a connu l’hypermarché Cora, de Mondelange (Moselle), le 24 septembre 2011. Une caissière est accusée de vol, convoquée au commissariat et en voie d’être licenciée par son employeur : elle a récupéré un ticket de réduction abandonné par un client après son passage en caisse. Après la divulgation de cette affaire par les médias, le web s’est embrasé, notamment sur le réseau social Twitter où la mention « Cora » a connu dans la journée un pic de 1 363 tweets ! « Cora » et « Mondelange » ont même figuré quelque temps parmi les termes les plus utilisés sur Twitter, en France. Face à une telle mobilisation des internautes, l’enseigne a publié, sur son compte Facebook, un communiqué indiquant que la caissière ne serait pas licenciée.

outils de monitoring

La crainte d’une mauvaise publicité, d’un bad buzz, oblige désormais les entreprises à redoubler d’attention, surtout en sachant que 66 % des internautes français consultent les avis sur des produits ou des services avant d’acheter et que 88 % se disent influencés par ces recommandations dans leurs achats aussi bien positivement que négativement (10). Les entreprises doivent apprendre à se prémunir face à ces risques virtuels. Ainsi, elles sont de plus en plus nombreuses à investir dans des outils de monitoring afin de déceler les informations dangereuses à leur encontre et de prévenir l’arrivée imminente d’un bad buzz. Ces outils surveillent une globalité de sites. Ils reposent sur l’analyse de mots-clés se rapportant à telle entreprise, tels produits ou services. De façon méticuleuse, ils scannent le développement des termes récurrents, en s’appuyant fortement sur les réseaux sociaux, lieu où les bourdonnements sont les plus forts.

Depuis 2006, la start-up canadienne Radian6 développe une plateforme de monitoring du même nom, avec pour caractéristiques : puissance d’analyse des contenus, large couverture de données, facilité d’extraction des données brutes, qualité et possibilité de personnalisation des résultats, commodité pour la collaboration entre utilisateurs… L’outil Alterian collecte et analyse des données émanant du web, en temps réel. A l’aide d’un paramétrage spécifique, il met en évidence, sous forme de graphiques, les informations stratégiques nécessaires à l’entreprise.

essor des community managers

Avec ces nouvelles problématiques, la profession de community manager se développe. Son rôle est en plein essor au sein de l’entreprise. Il y occupe une place clé, étant rattaché soit au service marketing, soit au service produit. Ses missions principales sont de modérer et animer les discussions, internes et externes à l’entreprise, au travers de blogs, de forums ou de sites internet. Il aide au déploiement de la renommée de l’entreprise, de la marque, en s’insérant dans les réseaux sociaux. Ainsi, il peut être amené à créer une page Facebook, Myspace, Linkedin, Twitter ou YouTube afin d’ancrer son entreprise dans les différentes communautés du web.

Le community manager doit intégrer des codes de communication particuliers, afin de susciter la curiosité et l’envie chez les internautes auprès de qui il est en permanente relation. Il doit savoir expliciter ses dires avec de courtes phrases, sans lésiner sur l’utilisation de la ponctuation, de l’émotion, de jeux de mots et de l’humour. Il n’est pas dans l’obligation de se concentrer sur des textes écrits ; il peut utiliser des vidéos pour transmettre un message, l’impact visuel étant plus fort.

Toujours en interaction, cherchant à attirer la sympathie, il ne doit pas hésiter à prendre part aux conversations initiées par les abonnés de la page qu’il supervise. Il peut très bien citer le nom des utilisateurs de cette même page ou tout au moins leur répondre, ce qui leur offre la légitimité qu’ils attendent et est un gage de fidélité.

Limite de cette démarche, la communication sur les réseaux ne peut remplacer une organisation et un suivi qualité optimal, ni se substituer à une mauvaise politique industrielle. Réseau de grandes entreprises françaises, le Cigref vient de publier un rapport, en février dernier, intitulé Etude des risques et opportunités liés à l'e-réputation des entreprises. Son objectif n’est pas uniquement de mettre en garde les entreprises sur les risques qu’elles encourent, mais de montrer les opportunités qu’offre la gestion d’une bonne e-réputation. Le philosophe Nietzsche reconnaissait déjà à son époque qu’« il est plus facile de s’arranger avec sa mauvaise conscience qu’avec sa mauvaise réputation »…

un processus à mettre en place

La première étape pour surveiller son e-réputation est d’établir un constat : ce que l’on dit sur soi ou son entreprise. Le web 2.0 et les médias sociaux offrent la possibilité à l’ensemble des internautes de donner leurs opinions sur des produits, marques ou personnes… Ces prises de parole peuvent être en faveur ou en défaveur d’une entité. Il apparaît essentiel pour une organisation ou une personnalité de mettre en place une veille image pour repérer les signaux faibles et forts afin d’anticiper une crise d’image (rumeurs, bad buzz…) et réagir à temps de la manière la plus adaptée (cellule de crise, communiqués de presse…).

Il faut ensuite définir les grands ensembles à surveiller, liés à l’entreprise, en mettant en place un corpus de mots-clés facilitant la recherche. Le choix des sources est primordial : forums, listes de discussion, réseaux sociaux, blogs, sites médias, journaux papier, magazines… Il est essentiel de récolter des informations issues de nombreux supports. Evidemment, il ne faut pas se limiter à un seul forum et penser que ce qu’il s’y dit de la marque est représentatif. La diversité des sources assure la fiabilité de l’analyse.

Le traitement des données fournit des indications et des tendances, sur lesquelles l’entreprise peut s’appuyer pour mesurer sa visibilité, mettre en place une stratégie de communication, et optimiser sa présence sur le web.

(3) L’e-réputation en questions. 24 août 2011 : www.cnil.fr/en-savoir-plus/fiches-pratiques/fiche/article/le-reputation-en-questions/

(4) Olivier Ertzcheid. Veille et e-réputation. Billet du 2 janvier 2012 sur Affordance.info :affordance.typepad.com/mon_weblog/2012/01/veille-et-e-reputation.html

(5) Olivier Cimelière. Facebook, Twitter : halte au dopage numérique des comptes et des profils !, Billet du 19 février 2012 sur les Blog du communiquant 2.0 :www.leblogducommunicant2-0.com/2012/02/19/facebook-twitter-halte-au-dopage-numerique-des-comptes-et-des-profils/

(6) à www.boostic.fr: www.acheterdesfansfacebook.com

(7) Notamment Valérie Pécresse qui l’interpelle sur Twitter avec un « C’est bien toi, Nadine ? ».

(8) Quelques soirées de ce type ont eu lieu récemment, notamment aux Etats-Unis.

(9) Voir notamment l’article. Olivier Le Deuff. Personal branding : on solde. Billet du 6 janvier 2012 sur Le Guide des Egarés :

à www.guidedesegares.info/2012/01/06/personal-branding-on-solde/

(10) Chiffres de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), dans son 7e baromètre sur les comportements d’achats des internautes (juin 2011) :www.fevad.com

Les podcasts d'Archimag
Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.