Nous nous sommes déjà penché sur les questions de droit de l’image en général (1). Vu l’importance de la matière et son enjeu stratégique dans toute activité de communication documentaire ou d’information, nous détaillons, au cours de cet article et d’un suivant (2), la question exclusive du droit à l’image des personnes physiques.
Le droit à l’image des personnes physiques constitue l’écueil le plus délicat dans la gestion juridique des images, quels qu’en soient le mode et le support de publication. Cependant, il n’est pas toujours obligatoire de demander l’autorisation des personnes pour exploiter leur image, il s’en faut de beaucoup.
1. une pluralité d’aspects juridiques
Aucun texte juridique spécifique ne protège en tant que tel le droit à l’image des personnes. Ce droit se rattache aux fondements juridiques de la protection de la personne humaine, donc sur des bases juridiques très solides, mais très générales. Ce sont notamment :
- un des droits directs de la personnalité : contrôler son image ;
- un autre droit direct : le droit à l’honneur ;
- l’éventuelle présomption d’innocence ;
- le droit au respect de la vie privée.
Mais il est encore d’autres aspects juridiques à prendre en compte lorsqu’il s’agit de publier une image présentant des personnes :
- les délits d’information de la loi sur la liberté de la presse (loi de 1881) ;
- la protection des données à caractère personnel ;
- la responsabilité civile.
En sens inverse, le droit à l’information vient souvent contrecarrer le droit de s’opposer à l’exploitation de son image.
un droit très jurisprudentiel
La généralité des textes juridiques régissant le droit à l’image des personnes physiques est nécessairement complétée et précisée par la jurisprudence. C’est donc celle-ci qu’il faut suivre pour identifier les principes qui régissent la matière.
un aspect générique à ne pas négliger : image, légende et commentaire
Le cinéaste Jean-Luc Godard a posé une phrase devenue célèbre : « Ce n’est pas une image juste, c’est juste une image ». Très souvent la dénaturation d’information ou la présentation tendancieuse résident non pas dans l’image publiée, mais dans le commentaire ou la légende qui l’accompagne et induit le public à interpréter l’image dans le sens suggéré par le commentateur. La présentation d’une image se nomme classiquement légende : encore faut-il que cette légende n’altère pas trop la réalité…
Il importe donc autant de veiller aux images publiées qu’à la neutralité de leur présentation.
2. le droit au contrôle de son image
les bases juridiques
Le droit à l’image des personnes est avant tout un des droits de la personnalité, encore appelé attribut de la personnalité : droits dits extrapatrimoniaux (non liés à des biens ou à un intérêt économique), attachés à l’individu et le protégeant en tant que tel.
le contrôle de son image en pratique
Le contrôle de son image connaît certaines limites. Il est donc des cas où l’autorisation de l’intéressé est nécessaire et d’autres où l’on peut s’en passer. Ce droit de la personne sur son image ne joue que :
- si la personne peut être reconnue (Paris 14e ch., 6 juin 1984, TGI Paris, 1ère ch., 2 juin 1993, 21 février 1974 et 29 juin 1994) ;
- si la personne est l’objet principal de la photo (Paris, 11 février 1987).
Le principe d’autorisation de l’intéressé est pleinement exercé et sanctionné par les juges en cas de non-respect, lorsque l’utilisation de l’image de la personne est commerciale. Cela recouvre notamment le cas suivants :
- des personnes qui font profession de leur image (mannequins) ;
- des personnes qui acceptent de poser pour la promotion ou la publicité de produits (nommés modèles, différents des mannequins dont c’est la profession) ;
- des personnes qui se trouvent dans un lieu privé ou public et dont l’image va se trouver principalement exploitée pour promouvoir le lieu (exemple d’une personne prise en train d’admirer un objet dans un musée).
Dans les deux premiers cas, des contrats sont signés systématiquement. Dans le dernier cas, il est prudent de solliciter l’accord écrit s’il s’agit d’un lieu public. En revanche si c’est un lieu privé, l’accord est indispensable, autant pour la personne concernée que pour l’occupant du lieu (dont c’est le domicile).
3. le droit au respect de sa vie privée
les bases juridiques
Le droit à l’image est protégé par un deuxième droit de la personnalité : la protection de la vie privée, garantie par l’alinéa 1er de l’article 9 du code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».
le respect de la vie privée en pratique
Comment la vie privée se définit-elle ? Il y a scène de la vie privée dès l’instant qu’une personne se trouve dans une situation qui relève de son intimité. Les notions de vie privée et d’intimité de la vie privée d’une personne recouvrent notamment :
- sa vie sentimentale ;
- ses relations amicales ;
- sa situation de famille ;
- ses ressources et moyens d’existence ;
- ses loisirs.
Vie privée ne doit pas être confondue avec lieu privé : il peut y avoir atteinte à l’intimité de la vie privée dans un lieu public. En 2008, l’ancienne candidate à l’élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal, a fait condamner Paris-Match à 6 000 euros de dommages-intérêts et 2 000 euros de frais de justice pour avoir publié des photos d’elle en prière dans une église en Italie (ordonnance de référé, TGI Paris, 29 mai 2008).
Dès lors, notre conseil est le suivant : sur le point d’exploiter l’image d’une personne se trouvant dans un lieu public, toujours se poser la question de savoir si celle-ci se trouve objectivement dans une situation de vie privée.
4. le droit à l’honneur
les bases juridiques
Parmi les droits de la personnalité, on trouve également celui de sa protection morale : le droit à l’honneur.
le droit à l’honneur et les images
Nous avons pu rencontrer ces questions de droit à l’honneur dans un cas de figure délicat. Le responsable d’un service d’archives départementales s’est abstenu de transmettre pour publication la photo historique du maire d’une commune entre 1940 et 1945, qui le représentait serrant la main du Maréchal Pétain : tous les maires de France avaient été convoqués à Vichy pour y rencontrer de le chef de l’État du moment. Mais face aux dérives de commentateurs tentés de réécrire l’histoire avec les yeux du XXIe siècle, cette photo pouvait nuire à la mémoire de la personne ainsi qu’à la réputation de sa famille.
On pourrait citer plus généralement les hypothèses de certaines photos de personnes, en vue ou non, les présentant dans une situation ridicule, pour ne pas dire peu honorable.
Notons qu’une autre notion d’atteinte à l’honneur est régie par le double délit de diffamation et d’injure (voir en partie deux les délits d’information).
5. la présomption d’innocence
les bases juridiques
Également rattaché aux droits de la personnalité, la présomption d’innocence est garantie par de nombreux textes internationaux :
- article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- article 11, alinéa 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’Onu signée le 10 décembre 1948 ;
- article 6, 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe du 4 novembre 1950.
En ce qui concerne le droit français, la présomption d’innocence est aménagée par l’article 9-1 alinéa 1er du code civil : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence ».
la présomption d’innocence et les images
Toutes les fois où une image permet de supposer la culpabilité d’une personne alors qu’elle n’est pas définitivement condamnée, celle-ci ne peut être exploitée - publiée - sans l’accord exprès - et écrit - de l’intéressé. Ceci est lié au point suivant.
6. les personnes menottées ou détenues
les bases juridiques
Dans la droite ligne de la présomption d’innocence, l’ordonnance du 19 septembre 2000, article 3, a ajouté un article 35ter à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cet article interdit « sans l'accord de l'intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire » et l’assortit d’une amende de 15 000 euros.
en pratique
Il convient donc soit d’avoir l’accord (très hypothétique) de l’intéressé, soit de rendre invisible sur l’image le port des menottes (recadrage ou floutage), ou de s’abstenir de représenter toute situation permettant de déduire ou de faire croire que la personne est détenue.
Didier Frochot
www.les-infostrateges.com
(1) Voir Archimag, décembre-janvier 2007, n°200, avril 2010, n°233 et Guide pratique Archimag Droit de l’information 2010, n°40.
(2) La deuxième partie de cet article a été publiée dans notre numéro 262 de mars 2013.