La France compte une trentaine de formations en intelligence économique… et de nombreux diplômés chômeurs. Les écoles spécialisées misent sur le caractère opérationnel de leur enseignement afin de former des professionnels aguerris au vrais enjeux informationnels des entreprises.
Au mois de novembre 2010, France 2 diffusait un reportage consacré au chômage qui frappe les jeunes. Un étudiant diplômé d’un Master 2 en intelligence économique de l’Université Lyon 3 y apparaissait dans un emploi très éloigné du management stratégique de l’information : il faisait le ménage dans les chambres d’un hôtel Formule 1… Faute d’un poste en relation avec son niveau d’étude, il était contraint, comme d’autres, d’occuper un emploi mineur en attendant des jours meilleurs.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher une sérieuse polémique entre partisans et détracteurs de l’intelligence économique. Certains n’hésitant pas à dénoncer l’IE comme « une fumisterie intellectuelle et une secte académique qui mène au chômage ». D’autres dénonçant le trop grand nombre de formation ou l’indigence des cours dispensés. Une chose est sûre : le gisement d’emploi en intelligence économique reste ténu en France où la discipline IE peine à être prise au sérieux en dehors des grandes entreprises cotées au CAC 40.
Pour Benoît de Saint-Sernin, directeur général de l’Ecole européenne d’intelligence économique (EEIE), ces controverses sont inévitables : « Je comprends ces polémiques car il y a eu pendant trop longtemps de sérieuses lacunes dans les formations en intelligence économique. Ces formations ont généré des diplômés qui parlent beaucoup, mais qui sont incapables d’agir et de mener un vrai travail d’intelligence économique ».
Aux yeux du directeur général de l’EEIE, la grande lessive a commencé parmi les formations en intelligence économique : « Un auto-nettoyage au terme duquel il restera moins de dix formations en France, peut-être trois ou quatre… »
l’entreprise et ses besoins réels d’information
C’est à la lumière de ces insuffisances que Benoît de Saint-Sernin a fondé l’EEIE dont la pédagogie comporte un module méthodologie de 450 heures (protection du patrimoine de l’entreprise, acquisition de l’information, influence et contre-influence) et, surtout, un module professionnalisant de 1 200 heures pendant lesquelles les étudiants mènent des missions en intelligence économique comme consultants de cabinets d’IE. « Ce module professionnalisant est l’ADN de notre établissement, insiste Benoît de Saint-Sernin ; ce que les étudiants apprennent le lundi et le mardi, ils le mettent immédiatement en œuvre le reste de la semaine en répondant aux besoins réels des entreprises en matière d’information. L’EIEE est une école pratique, professionnalisante et opérationnelle ». Cerise sur le gâteau, les étudiants sont rémunérés à hauteur d’environ 1 200 euros mensuels.
Côté placement, l’Ecole européenne d’intelligence économique annonce un taux d’embauche particulièrement élevé : 85 % de ses diplômés sont recrutés dans les deux mois qui suivent leur remise de diplôme. Le salaire annuel net de ces nouveaux professionnels se situe dans une fourchette de 30 000 à 42 000 euros. Il convient cependant de préciser que ce taux de 85 % portait sur une seule promotion (celle de 2011), cette dernière étant composée de jeunes diplômés et de cadres envoyés par leur entreprise ou l’Etat.
Au total, la durée de la formation au sein de l’EEIE s’élève à 1 645 heures (cours et cas pratiques) pour un coût de 10 500 euros.
environ 550 diplômés chaque année
La France compte une trentaine de formations en intelligence économique et environ 550 diplômés par an estime Charles Pahlawan, directeur adjoint de l’Ecole de guerre économique : « Environ deux tiers de ces diplômés ne trouvent pas d’emploi dans l’IE en raison d’un manque de pratique et de réseaux insuffisants. D’ailleurs, lors de la rentrée 2011, cinq formations en intelligence économique n’ont pas ouvert… ». Fondée en 1997 par Christian Harbulot, l’EGE s’est bâtie sur le socle du fameux rapport d’Henri Martre Intelligence économique et stratégie des entreprises, publié trois ans plus tôt. L’école forme chaque année une centaine de personnes soit en formation initiale (10 000 euros) soit en formation professionnelle continue (entre 8 500 et 10 000 euros).
Les étudiants sont soumis à un rythme soutenu : 750 heures de cours et 700 heures de travaux pratiques au cours desquelles ils planchent sur des cas pratiques tels que la stratégie de pénétration du marché automobile européen par la Chine. Au total, les étudiants travaillent sur une vingtaine de retours d’expérience en une année. Parmi les commanditaires de ces études, on compte quelques poids lourds comme EADS, Carrefour ou le ministère des Finances.
En ce qui concerne le placement de ses élèves, l’EGE mise sur son réseau d’entreprises. Elle peut également compter sur la vitalité de l’association AEGE qui regroupe les diplômés des différentes promotions. A l’origine du Portail de l’IE, l’AEGE organise régulièrement des conférences de haute tenue.
Pour Charles Pahlavan, une formation se mesure également à son corps enseignant : « Il est important de trouver de bons formateurs qui ne soient pas que des beaux parleurs. La majorité de nos formateurs sont des consultants ainsi que quelques universitaires. Cela correspond à notre vision opérationnelle de l’intelligence économique ».
développer la culture de l’intelligence économique
Au-delà de ces deux écoles spécialisées, le monde universitaire se met également à l’IE. La prestigieuse université de Paris-Dauphine a lancé il y a un an une chaire « Intelligence économique et stratégie des organisations » avec le concours de trois grands groupes : Sanofi, Sogeti et Total. Au programme, une sensibilisation des futurs dirigeants d’entreprise aux enjeux de l’intelligence économique, des travaux de recherche, ainsi que des méthodes pour appliquer ces enseignements.
La création de cette chaire vise un dessein selon Olivier Buquen, délégué interministériel à l’intelligence économique : « Notre objectif est que tous les étudiants diplômés aient suivi un ou plusieurs modules de formation à l’intelligence économique pour que nos cadres et nos ingénieurs développent cette culture. Si l’on veut inscrire ce sujet dans le long terme, il faut agir dès les études supérieures ». Un budget annuel de 225 000 euros a été alloué à la nouvelle chaire pour une période de quatre années.
Le gouvernement a par ailleurs annoncé son intention de sensibiliser tous les étudiants de niveau licence aux principes d’intelligence économique : veille, protection du patrimoine informationnel, stratégies d’influence, etc. Quant aux étudiants de master, ils pourront opter pour un module IE en deuxième année de master. Ce travail d’évangélisation devrait voit le jour à partir de la rentrée 2013.
+ repères
en Suisse, l’intelligence économique en cycle long et en cycle court
C’est au mois de janvier 2010 que la Haute école de gestion de Genève (HEG) a décidé d’intégrer l’intelligence économique dans ses programmes. Deux formations sont proposées aux étudiants : un master d’études avancées (MAS) complet sur deux ans et un certificat d’études avancées (CAS) sur une période de sept mois. Au programme du master, des modules consacrés à la sécurité et à la stratégie des entreprises, à la protection des données, à la propriété intellectuelle, aux techniques d’influence et au lobbying. La formation courte, quant à elle, propose des cours consacrés aux outils et techniques de veille ainsi qu’à la mise en place d’une prestation de veille.
Ces deux formations s’adressent aux cadres et dirigeants d’entreprise ainsi qu’aux personnes travaillant dans le domaine de l’information ou de la documentation. Le coût de ces formations est d’environ 5 000 euros (6 000 francs suisses) pour le certificat d’études avancées et d’environ 15 000 euros (17 500 francs suisses) pour le master d’études avancées.