Pour une bonne gestion juridique de photothèque

Droits attachés aux photos. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. nicolasnova

 

Nombreuses sont les collectivités ou les entreprises qui disposent de fonds photographiques d’une exceptionnelle richesse, mais qu’elles sont totalement incapables d’exploiter, faute d’avoir correctement géré les aspects juridiques et bien géré les droits attachés aux photos. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

L’expérience montre souvent que les photothèques, si bien gérées soient-elles sur le plan de la conservation et de la gestion des photographies et autres images, n’étaient absolument pas armées en vue d’une bonne exploitation juridique des contenus. Même s’il est souvent trop tard pour "rattraper le coup" pour le passé, surtout si on n’a jamais pris la peine de faire signer des contrats aux photographes, quelques pistes pourront aider pour l’avenir à tenir un fonds avec plus de rigueur documentaire et juridique.

1. les aspects juridiques à prendre en compte

1.1 la cession des droits d’exploitation du photographe

Il ne suffit pas de savoir qu’un photographe a réalisé des photos pour le compte de l’entreprise, encore faut-il connaître quel périmètre d’exploitation il lui a cédé : pour quelle utilisation, quelle durée, etc.

Rappelons qu’un auteur ne cède jamais son œuvre ; il cède uniquement une tranche de droits d’exploitation sur celle-ci, qui doit être soigneusement consignée et délimitée dans l’acte de cession, à peine de nullité de la cession, comme l’exige l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle : mention des droits d’exploitation cédés (représentation, reproduction, exposition…) ; domaine d’exploitation de ceux-ci (étendue et destination, lieu d’exploitation, durée). Ne pas s’être ménagé un tel acte crée déjà un risque de flou qui n’a rien d’artistique et peut mener tout droit au contentieux. Plus grave : ne pas conserver l’acte associé aux photos qu’il concerne rend pratiquement inexploitables dans l’avenir les images stockées, dès lors qu’il est impossible de savoir quels droits l’entreprise détient sur celles-ci.

1.2. le droit d’auteur des créateurs d’objets présents sur les photos

Deuxième couche de droit d’auteur à prendre en compte sur des images : celle des droits des auteurs dont les créations sont présentes sur les images. Nous renvoyons pour plus de précisions à d’autres développements sur cette question (1). La jurisprudence a mis fin à des abus de la part de certains créateurs, à l’occasion de l’affaire dite de la Place des Terreaux à Lyon. La Cour de cassation a considéré dans ce contentieux que les cartes postales représentaient la place, à titre principal, les créations des artistes Drevet et Buren n’en étant que l’accessoire, les déboutant de leur demande d’intéressement à la vente de cartes postales (1ère chambre civile, 15 mars 2005). En d’autres termes, lorsque les photos ne représentent pas l’œuvre d’un auteur (plasticien, sculpteur, architecte) comme objet principal, il n’y a pas lieu de demander d’autorisation, ni de verser une rémunération. Mais a contrario, si le sujet principal de la photo est le bâtiment de l’architecte, la sculpture ou l’aménagement du plasticien, ou toute autre œuvre, l’autorisation va de soi.

Dans un cas comme dans l’autre, les photos mettant en scène des œuvres d’auteurs doivent être conservées en liaison avec l’autorisation ou au contraire avec la mention que l’autorisation n’a pas été demandée en raison du caractère accessoire de l’œuvre dans le cadre de l’image.

1.3. le droit à l’image des personnes présentes sur les photos

Plus épineuse est la question de la présence de personnes sur les photos (ibid.) : si l’autorisation des personnes pour publier les photos les représentant était nécessaire (ce qui n’est pas toujours le cas, heureusement), il faut conserver ces autorisations, en lien avec les photos concernées. 

À supposer que cette précaution ait été prise, bien garder à l’esprit que l’exploitation de l’image d’une personne, droit de la personnalité a priori inaliénable, ne peut être consentie, selon la jurisprudence, que pour un court délai : trois ans ou la durée du support envisagé lors de l’autorisation (une plaquette, un site web...). De sorte que dans bien des cas, au bout de quelques années, même en ayant soigneusement conservé les autorisations, celles-ci sont devenues caduques : il convient alors de recontacter les personnes pour de nouvelles autorisations et exploitations, ou bien de refaire des photos avec d’autres personnes, si le contexte le permet.

1.4. le droit à l’image des propriétaires

Bien que cet aspect juridique soit aujourd’hui moins prégnant que le précédent (ibid.), il convient, lorsque la situation l’impose, de s’être ménagé l’autorisation des propriétaires de biens présents sur les photos.

Rappelons rapidement que l’autorisation sera nécessaire notamment lorsque :
- la photographie révèle des éléments de la vie privée des propriétaires ou des occupants
- la publication de la photo est susceptible de causer un trouble anormal au propriétaire (Cour de cassation assemblée plénière, 7 mai 2004).

Rappelons également que, bien souvent, l’autorisation sera circonscrite à une publication définie ou encore à une série d’exploitations (exemple : toute promotion de la demeure photographiée), excluant ainsi toute autre exploitation.

Il est donc essentiel de conserver ces autorisations, liées aux images, qui sont autant de documents permettant de savoir ce qu’on peut faire, ou parfois ne plus faire, de ces photos.

2. une bonne gestion documentaire

En dehors des prescriptions juridiques proprement dites, la gestion documentaire d’un fonds photographique est intrinsèquement liée à la gestion des droits, d’où les quelques contraintes élémentaires suivantes.

Toute image stockée doit pouvoir être reliée à tout moment aux droits qui y sont attachés et qui ont dû être cédés. Il importe donc de consigner dans la gestion documentaire d’une image :
- son auteur
- sa date de première publication (preuve de divulgation de l’œuvre)
- sa ou ses dates d’exploitation et les supports de cette ou de ces exploitations
- les références de l’acte de cession signé par le photographe, stocké dans la partie juridique de l’outil de gestion ; s’il n’y a pas eu d’acte de cession stricto sensu, renvoyer au moins à la trace des échanges entre l’auteur et l’entreprise gérant la photothèque (courriers ou courriels – voir ci-après)
- l’éventuelle appartenance de l’image à un lot, géré par un même acte et le lien avec celui-ci comme ci-dessus
- les diverses versions de l’image fournies par l’auteur (exemple : haute définition pour l’impression papier, basse définition pour le web…).

3. une bonne gestion juridique

À ces données attachées aux images, devront s’ajouter d’autres données permettant la gestion juridique de celles-ci :
- état civil et coordonnées les plus précises des auteurs des photos
- si nécessaire et si possible : date du décès de l’auteur, identité et coordonnées des héritiers, ou au moins de l’un d’eux
- identité de l’éventuel représentant de l’auteur (agence photo, agent artistique…)
- contrats passés avec chaque auteur, renvoyant précisément aux images stockées, soit à l’unité, soit par lot ; si possible, numérisation du contrat et original conservé par le service juridique de la collectivité ou de l’entreprise
- si possible : fiche de synthèse du contrat, permettant de voir d’un coup d’œil, sans recours à tout moment au contrat [droits d’exploitation précis qui ont été cédés (reproduction, représentation, exposition…), renonciations à certains droits moraux, et leur délimitation (retouche, recadrage, floutage…), durée de la cession, support(s) et/ou périmètre intellectuel cédé (exemple : toutes opérations de promotion de la collectivité…), formats ou définitions autorisés par l’auteur (notamment l’exploitation pour le web en basse définition : fourniture de l’image basse définition par l’auteur, ou degré de compression autorisé)]
- existence d’autres droits incidents sur chaque image ou sur un lot (personnes reconnaissables et, si oui, fiche synthétique des droits cédés, étant rappelé que les droits à l’image des personnes sont limités dans le temps, et si possible numérisation de l’acte de cession lui-même ; bâtiments et/ou objets présents sur les images et susceptibles d’engager la question des droits du propriétaire ou de leur auteur ; le cas échéant, fiche synthétique des accords obtenus et numérisation de l’acte).

4. déclarer la gestion de la photothèque à la Cnil

Pour finir, lorsque le fonds photographique stocke des images de personnes physiques reconnaissables en nombre significatif et que le fonds est automatisé, il convient de déclarer ce traitement à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), selon la procédure de déclaration normale, aucune norme simplifiée n’existant pour ce type de traitement.

Didier Frochot
www.les-infostrateges.com

(1) Voir Archimag n°200.


+ repères
à retenir
Afin de gérer sans risque des photos, il importe de conserver les actes de cession ou autorisations d’exploitation et de les lier aux images qu’ils concernent.

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Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.