vous avez dit libre de droit ?

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En droit d’auteur, l’expression « libre de droit » devrait signifier – si les mots ont un sens – qu’une œuvre peut être librement exploitée sans accord de son auteur, ni paiement d’aucun droit. Bien souvent, il n’en est rien, comme par exemple pour les photos disponibles sur certains sites dits libres de droit et qui se révèlent payantes, notamment si elles sont destinées à un cadre commercial.

Un point terminologique s’impose donc sur ce que recouvre vraiment l’adjectif « libre » en droit d’auteur. En outre, les lignes de front des modèles économiques semblent être en train de bouger.

1- les logiciels dits « libres »

une notion élastique

Certains affirment qu’un logiciel open source n’est pas libre. D’autres au contraire utilisent l’expression open source pour suggérer que le logiciel est libre et gratuit. En fait, on confond :

- logiciel libre au sens strict, tel que défini par la Free software foundation (FSF) fondée par Richard Stallman, distribué sous la licence GPL (General public licence) et qui permet certaines libertés de ré-exploitation, de modification et de développement à partir du logiciel ainsi distribué ;

- et logiciel distribué sous l’égide de l’Open source initiative (OSI) qui suppose d’autres libertés et d’autres règles d’exploitation.

la réponse est dans la licence

Dans la pratique et dans le langage courant, on utilise indifféremment l’une ou l’autre expression, logiciel libre ou logiciel open source, sans se soucier des distinctions de licences. Il importe en fait de consulter les conditions d’exploitation dans la licence associée au logiciel.

2- open access : une liberté sous condition

Le monde de l’open access – accès libre aux œuvres d’auteurs qui ont décidé de diffuser gratuitement leurs œuvres – présente tout de même des limites à cette liberté que certains utilisateurs semblent confondre avec anarchie…

licences creative commons : la réponse est dans la licence

Les licences d’exploitation de droits d’auteur en open access sont aujourd’hui presque exclusivement constituées par les licences dites creative commons (communautés créatives) depuis que Wikipedia a rejoint cet univers. Nous avons déjà traité de ces licences et renvoyons à cet article pour en savoir plus. Il existe six licences creative commons, lesquelles proposent plus ou moins d’ouverture.

un éventail de libertés d’exploitation sous conditions

Toutes ces licences exigent le respect du nom de l’auteur de l’œuvre reprise : il doit donc toujours être mentionné. Pour une œuvre adaptée, il conviendra de mentionner « d’après l’œuvre de Untel ». Enfin, certaines licences autorisent l’exploitation commerciale de l’œuvre utilisée et/ou de l’œuvre issue de l’emprunt de celle-ci, d’autres pas.

un nécessaire respect des conditions des licences

Open access ne signifie donc pas autorisation de faire n’importe quoi avec l’œuvre d’autrui comme nous avons hélas dû le déplorer à plusieurs reprises, lorsque des blogueurs ou éditeurs de sites indélicats croient bon de reprendre des œuvres sur d’autres sites sans même mentionner la source et le nom des auteurs. De telles pratiques tombent bien sûr sous le coup de la loi sur la contrefaçon, quand bien même l’usage des œuvres serait déclaré en libre accès. Les juridictions de divers pays européens ont déjà reconnu la validité des licences creative commons.

ne pas confondre liberté et abus de droit

Il n’est donc peut-être pas inutile de rappeler que la liberté est un droit dont l’usage excessif constitue ce que la jurisprudence considère comme un abus de droit et sanctionne comme tel.

3- photos libres ou pas libres ? 

Le troisième terrain sur lequel le terme « libre », voire « libre de droit » revêt une singulière ambiguïté est celui des photographies.

franglais quand tu nous tiens

Il n’est pas rare de voir sur le net des sites d’agences photos qui prétendent fournir des photos dites « libres de droit » et annoncer malgré tout des tarifs d’achat de celles-ci. En fait, le terme « libre de droit » est la mauvaise traduction de l’anglo-américain « royalty free », soit « libre de redevance proportionnelle ».

droit d’auteur versus copyright

Il faut revenir aux fondamentaux du droit d’auteur ou du copyright. Dans un système comme dans l’autre, un auteur cède très rarement la totalité de ses droits d’exploitation sur son œuvre. Il ne cède en réalité qu’un périmètre d’exploitation bien délimité dans l’acte de cession. C’est même une obligation en droit d’auteur français puisque si ce périmètre d’exploitation n’est pas clairement désigné et délimité dans l’acte de cession, la cession des droits d’auteur est nulle (article L.131-3 al.1er du code de la propriété intellectuelle). Le droit français pose en outre le principe de la rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation de l’œuvre. L’habitude s’est prise dans le monde de la photographie de céder des droits d’exploitation sur les photos selon un périmètre limité et soigneusement balisé (volume de tirage de l’œuvre accueillant la photo, périodicité, durée, prix de vente…).

En droit américain notamment (copyright), rien d’interdit à un auteur de céder des droits d’exploitation illimités pour un prix forfaitaire, sans aucune notion de proportionnalité aux recettes d’exploitation.

une pratique surprotectrice au détriment des photographes

La pratique des agences photos françaises a abouti à une pratique de tarifs devenus prohibitifs, qui incitent plus à la fraude, c’est-à-dire au « pas vu pas pris ». Nombreux sont les exploitants de photos qui ne se gênent pas pour exploiter en toute illégalité des photos, pensant que sur la masse des fraudes, ils ne seront pas découverts, donc pas poursuivis.

le modèle royalty free

C’est pourquoi en réaction à ces pratiques tarifaires excessives, pragmatiquement, des photographes et des agences photos américaines utilisent un autre modèle économique plus attrayant pour les exploitants qui ne devraient plus être tentés de prendre le risque de frauder : l’achat de la photo pour une somme forfaitaire avec liberté d’exploitation illimitée. C’est le modèle « royalty free », maladroitement traduit en France par « libre de droit ». Précisons en outre qu’aucun photographe n’est contraint de recourir à ce modèle économique, mais que beaucoup, plutôt que de voir leurs œuvres pillées, choisissent de les distribuer selon ce modèle économique.

Pour ce faire, les agences photos, même si ce sont des sociétés de droit français, soumettent leurs contrats de « vente » de droits sur les photos à la loi américaine, ce qui, en matière de contrat n’est en rien un obstacle puisque dans un contrat entre professionnels, c’est la loi désignée dans le contrat qui s’applique.

4- la mort annoncée du droit d’auteur à la française ?

un peu de pragmatisme ne messiérait point

On pourra s’insurger tant qu’on voudra contre de tels modèles économiques ; ils présentent l’indéniable qualité de s’adapter aux réalités au lieu de s’arc-bouter sur des positions juridiques puristes, mais économiquement intenables dans un univers mondialisé où l’internet a décuplé les possibilités d’exploitation et donc de fraudes. 

des archaïsmes tenaces

Il n’est pas juridiquement correct, en France, d’attaquer notre sacro-saint « droit d’auteur à la française » issu de la révolution (lois de 1791 et 1793), que d’aucuns voudraient faire passer pour l’alpha et l’oméga du droit d’auteur en réaction contre ces mercantiles Anglo-Saxons – qui furent en fait les premiers créateurs d’un droit de protection de l’auteur en 1709, bien avant la France.

Il est encore moins juridiquement correct de clamer que le droit d’auteur profite aux intermédiaires dont peu s’inquiètent de savoir si les auteurs sont honnêtement rémunérés (rappelons notre slogan : « Producteurs d’artichauts, auteurs : même combat ! »). Mais les faits sont têtus et il serait bon en France de prendre enfin conscience du fait que la loi sur le droit d’auteur – datant de 1957 – n’a jamais été conçue pour les usages auxquels on la dévoie aujourd’hui et donc absolument pas adaptée aux défis de la société de l’information mondialisée dans laquelle nous sommes plongés bon gré mal gré. Le monde anglo-saxon semble l’avoir mieux compris et s’y adapter. Il serait peut-être temps de réformer notre beau système de droit d’auteur, si complexe que même les éditeurs s’y laissent piéger…

la brèche du libre

Ce qui nous ramène à notre sujet du libre. Le raz-de-marée du libre, à l’initiative de nombreux auteurs, notamment scientifiques et professionnels, constitue plus qu’une brèche dans les modèles économiques du « tout payant ».

C’est des interactions entre les trois modèles économiques - anglo-saxon payant pragmatique, droit d’auteur à la française devenu archaïque et libre accès- que devrait jaillir un nouvel équilibre mondial des pratiques économiques de la société de l’information et de la connaissance. Mais à trop d’accrocher au purisme de son droit d’auteur, la France pourrait bien passer à côté de cette révolution.

www.les-infostrateges.com

(1) Archimag n°185, juin 2005

Les podcasts d'Archimag
Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.