Françoise Rossion : "une personne responsable de la gouvernance doit être identifiée et reconnue"

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Questions à Françoise Rossion. Consultante en gestion des connaissances au sein de Hewlett-Packard, Françoise Rossion a dirigé l’ouvrage "Retour d’expérience en gestion des connaissances", récemment publié par les éditions Lavoisier.

Archimag.Quels conseils donnez-vous aux entreprises confrontées à la surcharge d’information ?
La première démarche est d’analyser les raisons à l’origine de la surcharge d’information : l’entreprise reçoit-elle trop d’informations provenant de l’extérieur ? L’entreprise a-t-elle du mal à gérer les informations qu’elle produit ? L’entreprise accumule-t-elle les informations depuis des années ?
Ensuite, il convient de déployer des solutions qui seront fonction des résultats de l’analyse. Couramment, les réflexions et activités suivantes font partie de l’approche générale :
- discuter et définir une stratégie en information, qui permettra de décider quels sont les domaines informationnels essentiels à l’entreprise - stratégiques -, ceux qui le sont moins et de réfléchir aux méthodes, outils et processus requis pour gérer l’information tout en tenant compte de sa criticité
- définir une gouvernance de l’information, incluant des processus de contrôle ainsi que des rôles et responsabilités à chaque échelon de l’organisation
établir un plan de communication afin que chaque employé soit informé de cette stratégie et qu’il puisse l’appliquer
mettre en place un plan d’action à court, moyen et long terme.

Concrètement, en quoi ce plan peut-il consister ?
- dans le court terme, il peut s’agir de supprimer certaines sources d’information redondantes, ou d’instaurer une journée consacrée au "nettoyage" des bureaux ou des utilitaires de stockage afin de supprimer les papiers et les fichiers électroniques obsolètes, en n’oubliant pas de préparer et communiquer des instructions claires sur ce qui doit être conservé afin que des documents précieux ne se retrouvent pas dans la corbeille
- dans le moyen terme, les actions décidées peuvent porter sur l’acquisition d’un outil de gestion documentaire qui obligera à une certaine discipline au niveau de la gestion du cycle de vie des informations ; un moteur de recherche peut aussi s’avérer utile pour détecter la redondance entre fichiers électroniques stockés à plusieurs endroits, pour mettre en évidence des informations obsolètes (versions intermédiaires d’un document finalisé) ou montrer des défauts de sécurité (documents confidentiels qui font partie des résultats de recherche d’une personne non autorisée)
- dans le long terme, l’entreprise peut revoir l’entièreté de ses processus et rationaliser la gestion des informations produites ou en support de ses processus
- enfin, il faut évaluer régulièrement les résultats des projets développés et prendre action si ceux-ci ne sont pas à la hauteur des objectifs escomptés.

La gouvernance documentaire d’une organisation doit-elle reposer sur une seule personne ou être enseignée à l’ensemble des collaborateurs ?
Une personne responsable, owner de la gouvernance documentaire au sens de la matrice RACI, doit être identifiée et reconnue en tant que telle au sein de l’organisation : elle aura l’autorité pour définir, approuver et décider de la mise à jour de la gouvernance documentaire. 
Il est cependant primordial que chaque collaborateur se sente également responsable de la gouvernance documentaire. Cette responsabilisation passe par une éducation et une formation adéquate à propos des règles et processus définis dans le cadre de cette gouvernance. 
Il peut d’ailleurs être utile de rappeler périodiquement l’importance du respect de la gouvernance documentaire par chacun en montrant, par exemple, les conséquences positives d’une bonne gouvernance, mais aussi les problèmes qui peuvent découler lorsque celle-ci est négligée. 
En fonction de l’importance de l’organisation et de sa situation géographique (plusieurs sites par exemple), il peut être nécessaire d’assigner des rôles de coordination décentralisés : ceux-ci auront pour mission de faciliter l’adoption et l’application de la gouvernance documentaire au niveau local, tout en maintenant une boucle rétroactive vers le responsable qui pourra ainsi améliorer la gouvernance en fonction des besoins réels de l’organisation.

Comment concilier ouverture vers les réseaux sociaux et sécurité de l’information ?
Certaines organisations, généralement fondées sur une structure hiérarchique forte, sont soucieuses de l’emprise des réseaux sociaux sur leurs collaborateurs car elles craignent de perdre la maîtrise de leurs informations et, ce faisant, de perdre le contrôle « tout court ». Prétextant que le risque est trop important de faciliter l’accès à des informations considérées comme confidentielles, elles refusent de prendre en compte ces outils et se privent ainsi d’une source importante d’apprentissage collectif et de créativité.
Il est pourtant parfaitement possible de concilier réseaux sociaux et sécurité de l’information : en effet, comme indiqué précédemment, toute organisation qui produit, manipule et gère des informations doit définir une stratégie adéquate en la matière et appuyer ensuite cette stratégie sur une gouvernance documentaire. Cette gouvernance étudiera les différents outils et media autorisés par l’organisation afin de gérer les informations, faciliter la collaboration et soutenir les échanges entre les collaborateurs ainsi qu’avec les personnes extérieures. 
C’est dans ce contexte que les réseaux sociaux doivent être positionnés. Pour chaque outil considéré, l’organisation doit poser ses limites et, dans le cadre spécifique des réseaux sociaux, elle doit indiquer quels réseaux sociaux d’entreprise sont admis, quelles finalités ces réseaux doivent rencontrer, quelles informations peuvent ou non y être échangées et discutées, quelle éthique doit être respectée et comment exploiter au mieux ces outils.
Ce guide de bonnes pratiques et de « bonne conduite » doit évidemment être promu par l’entité responsable, qui doit veiller au respect des limitations imposées par l’organisation, à l’application des règles et doit sanctionner toute enfreinte afin d’éviter les dérives s’il en est. En alignant ainsi à chaque besoin de l’organisation l’outil qui convient et les règles appropriées, l’organisation peut veiller à la sécurité de son information tout en fournissant à ses collaborateurs une plateforme technologique efficace, flexible et facilitant gestion de l’information et interconnexion des personnes.

(1) La matrice RACI donne une vision simple et claire de qui fait quoi dans le projet, en permettant d'éviter une redondance de rôles ou une dilution des responsabilités. (…) 
L'acronyme anglais signifie : Responsible, Accountable (on utilise aussi parfois le terme Approuver), Consulted, Informed (source : Wikipedia).

 

Découvrez également :
Un livre - Retour d'expérience  en gestion des connaissances, sous la direction de Françoise Rossion

 

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Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".