Les nouveaux défis des Archives de France

Siège parisien des Archives nationales, l0Hôtel de Soubise DR

 

Un nouveau service interministériel coiffe les activités des archivistes français. Il devra trouver ses marques alors que plusieurs défis pointent à l’horizon : déménagement des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine, migration inégale vers la numérisation, application de la loi de 2008… En écho à ces chantiers, l’historien Jean-Pierre Babelon livre un point de vue mi-figue, mi-raisin sur la fonction archivistique contemporaine.

On s’en souvient, la disparition de la direction des Archives de France (Daf) a provoqué la colère de très nombreux archivistes. Gravée dans le marbre de la Révision générale des politiques publiques, la suppression de la Daf a fait l’objet de nombreuses critiques de la communauté archivistique en raison de son application indiscriminée. Des manifestations ont été organisées, des pétitions et des tribunes ont été publiées dans la presse afin de s’opposer à cette dissolution. En vain. Pour Sylvie Clair, membre du conseil de l’Association des archivistes français (AAF), « cette disparition signifie la baisse de visibilité de la fonction archive en France. Il s’agit d’une érosion continue depuis les premières lois de décentralisation. Cela est lié à un désengagement de l’État pour le patrimoine archivistique national et provoquera un morcellement de ce patrimoine ». Disparue, la Daf a laissé place au service interministériel des Archives de France (Siaf) qui reprend l’essentiel des attributions de la Daf. Dirigé par Hervé Lemoine, ancien directeur des monuments français au sein de la Cité de l’architecture et du patrimoine, le Siaf a été refondu dans une vaste direction générale des patrimoines [voir interview].

Par la voix de Sylvie Clair, l’AAF ne souhaite pas se prononcer sur la nomination d’Hervé Lemoine à la tête du service interministériel des Archives de France : « Attendons et voyons ! La vraie question est celle de sa marge de manoeuvre… Avec l’intégration du Siaf dans une vaste direction des patrimoines, les archivistes auront malheureusement un échelon supplémentaire à franchir pour se faire entendre ».

vers un archivage électronique à deux vitesses

Au-delà de la polémique liée à la disparition de la Daf, d’autres dossiers sont sur le feu selon la membre du conseil de l’AAF : en particulier, le coût que ne manquera pas de provoquer la migration progressive du service public vers l’archivage électronique. « Toutes les collectivités ne pourront pas assurer ces nouveaux usages, loin de là, s’inquiète Sylvie Clair ; elles auront besoin de moyens technologiques, humains et financiers… Or, avec le désengagement de l’État, nous allons nous orienter vers un archivage électronique à deux vitesses. Aujourd’hui, en matière d’archivage électronique, les collectivités font du stockage mais certainement pas de l’archivage… ». Autres sujets de préoccupation soulevés par l’AAF, la difficile application de la loi de juillet 2008, et la réutilisation des données publiques en particulier leur appropriation par des organismes privés à but lucratif.

le métier d’archiviste est en pleine mutation

De son côté, Danièle Neirinck confirme les inquiétudes de la communauté archivistique française. Pour l’ancienne conservatrice en chef de la Daf, « le métier d’archiviste est en pleine mutation et cette réforme va renforcer l’appréhension de la profession. Mais il faut relativiser : nous étions l’un des derniers services à ne pas être touchés par les réformes de l’État. Comme tout changement, celui-ci va changer des habitudes et cela fait rarement plaisir aux principaux intéressés… Le remplacement de la Daf par le Siaf ne fait que confirmer le malaise d’une profession qui s’interroge sur sa fonction ».

« la communauté archivistique s’en sort plutôt pas mal… »

Face à ce concert d’inquiétude, Luc Forlivesi fait figure de voix dissonante. Directeur des archives, de l’archéologie et de la documentation du conseil général d’Indre-et-Loire, il estime que le remplacement de la Daf par le Siaf n’est pas un casus belli : « Nous conservons notre coeur de métier et nous n’avons perdu aucune de nos missions. La communauté archivistique s’en sort plutôt pas mal… Le terme interministériel est très intéressant car il officialise notre vocation transversale qui existe dans les faits ». En juillet 2008, Luc Forlivesi avait publié une tribune dans Le Monde pour appeler de ses voeux une « future direction des archives qui dispose d’un pouvoir réglementaire fort ». Dix-huit mois plus tard, il persiste et signe : « Le Siaf pourra nous aider à maintenir et à développer nos capacités d’intervention pour appliquer les circulaires interministérielles. Je suis vigilant mais pas alarmiste ; on ne peut pas se lamenter en permanence… ». À ses yeux, les archivistes sont confrontés à deux défis : un enjeu de reconnaissance de la fonction archive auprès des différentes administrations et un renforcement des moyens humains actuels. Quant à l’archivage électronique, il constate que « si c’est une réalité au niveau des ministères, c’est plus compliqué à l’échelon des départements. Qu’il s’agisse de reconnaissance, de ressources humaines et matérielles, ou de migration vers le numérique, la situation est très variée selon les territoires ».

exercer l’intégralité des missions

Qu’ils accueillent avec bienveillance ou méfiance la naissance du Siaf, les archivistes semblent taraudés par une même préoccupation : la reconnaissance de la fonction archive en France. Nul doute qu’ils scruteront attentivement les premières mesures décidées par Hervé Lemoine. Le président du Siaf assure qu’il fera « tout son possible pour que le service interministériel des Archives de France puisse exercer l’intégralité des missions qui lui sont confiées par la loi ».

 

Archives d'État, qui fait quoi?

Le Siaf contrôle trois services archivistiques à compétence nationale : les Archives nationales, les Archives nationales du monde du travail (ANMT), et les Archives nationales d’outre-mer (ANOM). Les Archives nationales ont la charge de la conservation des archives produites par les organes centraux de l’État – ministères, administrations centrales, établissements publics nationaux… – à l’exception du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Défense qui disposent de leur propre service d’archives. Les sites des Archives nationales se trouvent à Paris, à Fontainebleau et, à partir de 2011, à Pierrefitte-sur-Seine. Quant aux archives produites par les organes déconcentrés de l’État, elles sont conservées par les archives départementales. Les ANMT collectent les archives provenant d’entreprises industrielles et commerciales, de banques, de syndicats, d’associations… Installées depuis 1993 dans une ancienne filature de Roubaix (Nord), elles accueillent également des archives d’origine privée émanant de personnes physiques ou morales sous forme de don, de legs, de dépôt ou de dation. Les ANOM conservent des documents relatifs à la présence coloniale française outre-mer à l’exception du Maroc et de la Tunisie dont les fonds sont conservés par le ministère des Affaires étrangères. Les documents conservés représentent 37 kilomètres linéaires et regroupent 60000 cartes et plans, 150000 photographies ainsi que 100000 ouvrages. Depuis 1996, les ANOM sont situées à Aix-en- Provence.

Le Siaf est placé au coeur d’une direction générale des patrimoines

Créée par l’article 3 du décret du 11 novembre 2009 relatif à l’organisation du ministère de la Culture, la direction générale des patrimoines regroupe quatre services : architecture, patrimoine, Musées de France et archives. Le directeur de cette vaste direction, Philippe Bélaval, n’est pas inconnu de la communauté archivistique puisqu’il dirigea la direction des Archives de France entre 1998 et 2000. Le service interministériel des archives de France (Siaf), aura pour mission de coordonner « l’action de l’État en matière de collecte, de conservation, de communication et de mise en valeur des archives publiques ». Composé de deux sous-directions, le service interministériel des Archives de France est dirigé par Hervé Lemoine, ancien directeur des monuments français au sein de la Cité de l’architecture et du patrimoine.

 

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Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.