liseuses en bibliothèque : le rendu du prêt

Repérer les publics concernés par la lecture numérique, tester les usages, vérifier l’écosystème de valorisation des liseuses… Savoie-biblio

 

Les bibliothèques sont de plus en plus nombreuses à proposer l’expérience de la lecture numérique à leurs usagers. Des expériences qui montrent que le prêt de liseuses reste un modèle à construire.

En quelques mois, les usagers des bibliothèques françaises ont pu se familiariser avec les liseuses électroniques. A Issy-les-Moulineaux, à Nantes, à Chelles, à Toulouse ou à Caen, les expériences de prêt aux lecteurs se sont multipliées. A ce jour, plusieurs dizaines d’établissements – bibliothèques publiques et universitaires – ont fait le choix de proposer à leurs usagers de découvrir la lecture numérique sans bourse délier.

A l’initiative de Savoie-biblio, bibliothèque départementale de prêt de Savoie et de Haute-Savoie (un service interdépartemental créé par l’Assemblée des Pays de Savoie), plusieurs établissements de Savoie et de Haute-Savoie proposent depuis l’automne 2011 des liseuses à leurs usagers. Un modèle est mis à disposition des lecteurs dans 22 des 400 bibliothèques que compte le réseau des deux départements. Cette expérience vise plusieurs objectifs selon Alain Tachet, responsable du service réseaux numériques et évaluation : « Nous souhaitons repérer les publics concernés par la lecture numérique, tester les usages, vérifier l’écosystème de valorisation des liseuses et vérifier les capacités des fournisseurs de l’offre éditoriale avec lesquels nous travaillons ».

Ce prêt de liseuses s’inscrit en effet dans un vaste plan de valorisation de ressources numériques et de médiation. Il a été précédé, pendant une année, d’ateliers destinés à établir des liens avec des constructeurs de liseuses et à réfléchir au choix des contenus. Ce sont finalement 25 liseuses de la marque Bookeen qui ont été acquises par Savoie-biblio. Chargées d’une trentaine de titres appartenant à différents genres (roman, policier, essai, science-fiction, etc.), elles ont vite rencontré leur public : « Après cinq mois de prêt, nous ressentons une attente importante de la part des usagers, souligne Guillaume Jouan, bibliothécaire ; nous avons retenu une offre éditoriale privilégiant les best sellers de longue durée ». Parmi ces gros vendeurs figurent Bernard Werber, Hubert Reeves ou Bernard Pivot.

questionnaire et entretiens semi-directifs

Afin de mieux cerner les usages des lecteurs, ceux-ci sont invités à remplir un questionnaire portant sur la qualité de l’appareil, la pertinence des contenus proposés, leurs souhaits… Bonne nouvelle : alors que l’expérience n’est pas encore terminée, les lecteurs ont joué le jeu et une centaine de questionnaires sont déjà parvenus aux bibliothécaires ; ces derniers avaient fixé un objectif de 200 réponses. En cours de dépouillement, ces questionnaires feront l’objet d’une communication auprès des personnels dans les mois qui viennent.

Dotée d’un budget de 10 000 euros, l’expérience est accompagnée par le consultant Philippe Cazeneuve qui supervise la construction du questionnaire, le traitement et l’analyse des réponses, ainsi que la mise en place d’entretiens semi-directifs auprès d’un échantillon d’usagers.

Prévue pour durer jusqu’au mois de juin 2012, cette expérience conduit Alain Tachet à un constat : « Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer l’offre éditoriale numérique. Le prêt de liseuses en bibliothèque reste un modèle à construire ».

une offre éditoriale universitaire qui laisse à désirer

Autre expérience, les bibliothèques universitaires de Caen ont mis en place au mois de novembre dernier un prêt de liseuses au profit de leurs étudiants. 25 unités sont à la disposition des lecteurs. Un chiffre trop modeste pour répondre à la demande : de l’aveu même des responsables de la BU, il y a au moins un mois et demi de délai avant de pouvoir en emprunter une ! Un programme d’acquisition de nouvelles liseuses est d’ores et déjà envisagé.

Les premiers servis ont pu tester, pendant une semaine, la souplesse des appareils. Il leur est par exemple possible de télécharger tous les documents qu’ils souhaitent. Aucun risque de saturation puisque les liseuses sont systématiquement réinitialisées dès leur restitution. Selon les premiers retours d’expérience menées par les BU de Caen, la qualité technique semble convenir aux usagers. En revanche, l’offre éditoriale universitaire de niveau licence laisse à désirer. L’université a décidé de prendre le taureau par les cornes en collaborant avec les éditeurs afin qu’ils étoffent leur catalogue numérique.

l’hypothèse de bibliothèques sans livres

Pour Lorenzo Soccavo, le monde des bibliothèques doit désormais se poser la question de son avenir à l’aune du livre numérique. Dans un essai paru en 2011 (De la bibliothèque à la bibliosphère, Editions Numériklivres), ce consultant en prospective du livre et de l’édition dresse un constat : « Un marché du livre numérisé et du livre numérique émerge avec de nouvelles règles et de nouvelles médiations qui se mettent en place, plus ou moins rapidement, plus ou moins facilement, mais incontestablement ». Pour autant, il semble écarter l’hypothèse de bibliothèques sans livre. A ses yeux, les usagers n’auraient guère d’intérêt à aller en bibliothèque pour travailler sur leur ordinateur, une activité qu’ils peuvent tout aussi bien faire chez eux.

Pour éclairer leur lanterne, les bibliothécaires pourront également se pencher sur les études, de plus en plus nombreuses, qui sont menées auprès des utilisateurs de liseuses. Le mini sondage lancé fin 2011 auprès de 518 personnes par Hubert Guillaud (Internet Actu) fait apparaître des évolutions intéressantes. Il montre par exemple que les utilisateurs ont tendance à diversifier les documents qu’ils chargent sur leur liseuse. En plus de livres, ils y transfèrent des articles ou des documents non édités. Plus de la moitié des répondants affirment que « moins de 10 % des contenus qui se trouvent dans leur liseuse ont été achetés » ! 

A l’heure où les constructeurs de liseuses mettent en avant le nombre toujours plus important de fonctionnalités, il est intéressant de noter que les usagers n’en utilisent finalement qu’une faible partie. 42 % déclarent ne jamais utiliser le dictionnaire intégré à leur appareil et plus de la moitié (51 %) affirment ne jamais avoir recours au moteur de recherche pour trouver des informations précises dans leurs contenus. Quant à la possibilité d’annoter, elle ne séduit que 22 % des utilisateurs. Parmi les avantages comparatifs que les utilisateurs prêtent aux liseuses, figurent la mobilité, le confort de lecture et la capacité de mémoire.

On méditera enfin ce chiffre tiré d’une enquête menée par la Bibliothèque de Toulouse auprès des professionnels de l’infodoc (bibliothécaires, documentalistes, libraires, éditeurs…) : 48 % d’entre eux estiment que le livre numérique peut être une solution d’avenir pour les bibliothèques.

 

+ repère

les lycéens de Chelles comparent liseuses numériques et livres papier

Le Lycée Gaston Bachelard de Chelles (Seine-et-Marne) a lancé le 30 janvier dernier une expérience de prêt de liseuses auprès de deux classes de seconde. Les 70 élèves se partageront 30 liseuses chargées d’une cinquantaine de titres. Le principal intérêt de cette initiative réside dans une comparaison entre lecture numérique et lecture sur papier. Les lycéens sont en effet invités à lire 6 titres, une partie en mode numérique, l’autre partie en mode traditionnel.

Pilotée par le MOTif (Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France), cette expérience permettra de préciser les spécificités de la lecture numérique : contenus multimédia, dictionnaires intégrés, prise de notes… Elle constituera également un retour d’expérience sur la perception du livre papier pour une génération totalement aguerrie aux usages numériques et dont on dit qu’elle éprouve de sérieuses difficultés à se concentrer un seul objet documentaire à la fois…

L’expérience se poursuivra jusqu’au 1er juin 2012.

Les podcasts d'Archimag
Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.