CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°379
Au sommaire :
- Dossier : digitalisation responsable : l'IA rebat les cartes
- Des éditeurs décidés à concilier IA et sobriété numérique
- Consommer l'IA générative : oui, mais avec modération !
- Les données au cœur de la mesure de l’impact social et environnemental
Découvrez Le Brief de l'IT, la newsletter thématique gratuite d'Archimag qui vous informera sur les sujets de la digitalisation, de l'intelligence artificielle, de l'IT, de l'information et des data. Toujours plus en phase avec vos problématiques et vos projets du quotidien, retrouvez cette newsletter toutes les deux semaines.
"On ne peut pas améliorer ce que l’on ne sait pas mesurer", expliquait il y a une cinquantaine d’années le professeur, statisticien et ingénieur W. Edwards Deming. Une vérité qui s’applique parfaitement à l’enjeu de ce siècle - le dérèglement climatique - dont nous sommes collectivement responsables. Nous devons améliorer (c’est-à-dire réduire) notre impact environnemental, tout en augmentant, si possible, notre impact social. Et pour cela, nous devons donc les mesurer. Encore une histoire de données et d’informations…
1. Mesurer nos impacts, c’est collecter des métadonnées
Une mesure est une donnée. Mesurer l’impact financier de l’achat d’un produit consiste à collecter une donnée (son prix). Mesurer l’impact social ou environnemental consiste à collecter deux autres données. Il faudrait d’ailleurs dire "métadonnées", et non "données", car une métadonnée est l’adjectif d’une donnée : elle qualifie, décrit et augmente la donnée d’origine.
En mesurant les impacts ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), on décrit et augmente la donnée initiale. Nous allons devoir nous habituer à mesurer toutes nos actions sous la forme de trois métadonnées : leurs impacts financier, social et environnemental.
Prenons l’exemple concret de la lecture de cet article :
- celle-ci a un impact financier, car vous avez souscrit un abonnement à Archimag ou avez acheté le numéro de novembre 2024 à l’unité,
- mais il a également un impact social - positif, j’espère -, car sa lecture augmente votre connaissance professionnelle,
- et il a, malheureusement, mais il est important de l’accepter, un impact environnemental négatif : pour écrire cet article, j’ai utilisé un ordinateur, de l’électricité, une connexion internet, pour l’imprimer, du papier et de l’encre ont été utilisés ; des camions ont servi à le transporter ; et pour le lire en PDF, si c’est votre cas, de l’électricité est nécessaire.
Acheter du matériel, participer à une conférence, produire un rapport, organiser une réunion téléphonique… toutes nos activités, absolument toutes, ont un impact. Parfois, celui-ci est microscopique, mais ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Et à ne pas avoir contrôlé nos impacts durant des décennies, nous en sommes maintenant réduits à réaliser ces calculs d’apothicaire, qu’il va falloir ensuite déclarer au travers des rapports ESG et CSRD (Corporate sustainability reporting directive) et réduire progressivement.
Lire aussi : Les réglementations du numérique responsable
2. Deux méthodes : estimer ou comptabiliser
Pour mesurer (avant d’améliorer) ces impacts, deux grandes méthodes sont utilisables : l’estimation et la comptabilisation. La première, plus facile à mettre en place, mais rapidement imprécise, sera privilégiée durant les premières années. La seconde, tout comme la comptabilité, est précise, mais très complexe à mettre en œuvre.
- Pour travailler par estimation, nous collecterons les données d’impact de certaines opérations, sélectionnées pour être représentatives. Nous mesurerons leurs impacts et appliquerons ces mêmes impacts aux opérations du même type. Ainsi, les impacts de l’impression d’un rapport, d’un déplacement professionnel, d’une réunion en ligne, seront estimés, et multipliés par leurs occurrences.
- Pour travailler par comptabilisation, il faut mesurer la double matérialité de chaque opération et ses impacts détaillés. Cette méthode nécessite une refonte de l’ensemble des progiciels d’achats et comptables, ainsi qu’une évolution majeure des processus de toute l’entreprise.
Dans tous les cas, toute mesure commence par la collecte de métadonnées. Celle-ci nécessite l’installation de "capteurs" - virtuels ou réels - afin de mesurer ces impacts non financiers.
Lire aussi : Numérique responsable : les logiciels RSE se font une place dans les entreprises
Visualiser ses impacts
La collecte de ces données pourra être automatisée lorsque l’on parle de numérique : le nombre de pages générées en PDF ou imprimées, le volume des documents conservés ou archivés, etc. Les outils de gestion documentaire devront proposer demain ces fonctions de manière automatique.
L’impact environnemental du travail d’un professionnel de l’information sera ainsi évalué automatiquement et les progiciels alimenteront des tableaux de bord ad-hoc. On peut imaginer que ces métadonnées resteront attachées au document. Le cycle de vie de celui-ci consolidera les données liées à son utilisation : a-t-il été visualisé, imprimé, dupliqué, archivé ? Les métadonnées liées aux usages seront stockées avec le document, afin de les agréger lors de la production des rapports. Un tableau de bord fournira alors l’impact carbone de l’activité documentaire. En visualisant et en comprenant ces impacts, le professionnel de l’information saura modifier ses pratiques : "si j’envoie le lien d’un document mis en partage sur un serveur, quel est l’impact environnemental réalisé par rapport à l’envoi du même document par e-mail ?". Les mesures deviennent concrètes et les efforts… mesurables.
Une fois les métadonnées captées, il est nécessaire de les conserver. Tout comme les documents, des infrastructures de stockage de ces métadonnées seront nécessaires afin qu’elles suivent le cycle de vie des documents. Pas d’innovation sur ce point, les bases de données actuelles font l’affaire.
La triple comptabilité
En revanche, si vous choisissez la méthode de comptabilisation en détail, il faudra adapter les logiciels comptables. Alors qu’ils ne mémorisent aujourd’hui que des éléments financiers, ils devront adopter en parallèle de nouvelles unités d’œuvre : l’impact social et environnemental.
Demain, nous verrons apparaître sur les factures de nos fournisseurs ces nouvelles mesures et devrons les produire sur les factures de nos clients. Votre facture d’abonnement à Archimag, votre magazine préféré, fera apparaître un montant en euros, mais également un montant en CO2. Il servira à alimenter ce que l’on appelle la triple comptabilité : en euros, en impact social et en impact environnemental.
3. Tout le monde est concerné, mais certains plus que d’autres
Tous les départements de l’entreprise sont concernés par ces évolutions, car toute action génère des externalités non-financières : la production, la vente, la paie, la comptabilité… et la gestion documentaire.
L’erreur serait de désigner un "volontaire" et de considérer que la punition de ce calcul des impacts lui revient. Responsabiliser est la clé d’une optimisation et donc d’une meilleure gestion. Si votre organisation est importante, sans doute nommera-t-elle des personnes en charge de la mise en place des procédures de reporting adéquates. Si vous choisissez la méthode de l’évaluation, le service de contrôle de gestion dispose certainement des compétences pour les réaliser.
Et si vous choisissez la méthode de comptabilisation, le département comptable sera aux manettes. Bien sûr, l’équipe en charge de la gouvernance et de l’audit surveillera l’application de ces nouvelles méthodes de travail. Quant à la direction générale, je vous garantis qu’ils apprendront vite à regarder ces chiffres, surtout quand les analystes financiers leur feront des remarques ou que des clients conditionneront le renouvellement d’un contrat à l’atteinte de résultats environnementaux.
4. Et si l’IA nous aidait à franchir ce pas ?
Comme dans beaucoup de domaines, l’intelligence artificielle (IA) arrive à la rescousse ; une IA traditionnelle, basée sur de l’apprentissage machine. Enseigner à la machine les impacts sociaux et environnementaux d’un certain nombre d’actions permettra ensuite d’automatiser une évaluation des autres composants.
On est parfaitement aligné avec le fonctionnement de l’IA d’apprentissage : collecter un ensemble de données créées et qualifiées par l’être humain, enseigner ces données à la machine en lui demandant d’en tirer une équation, puis demander à l’algorithme d’automatiser un certain nombre de calculs. Les estimations tirées de cette méthode seront toujours assorties d’un pourcentage de probabilité, qui permettra d’évaluer si l’estimation est utilisable ou pas.
Grâce à l’IA, il serait alors possible d’approcher une estimation fiable des externalités non financières, sans se lancer dans une comptabilité ultra-détaillée, au gramme de CO2 ! Le résultat sera approximatif, mais certainement suffisant pour les reportings ESG et CSRD. D’autant que l’objectif n’est pas le reporting, mais une action concrète sur les impacts négatifs ! C’est là que devront porter nos efforts. L’IA est donc un outil à mettre en place rapidement au service de l’évaluation de la double ou triple matérialité.