La Foire du Livre de Francfort s’est tenue du 12 au 16 octobre derniers. Grand rendez-vous du livre avec près de 7 400 exposants venus de 106 pays, et plus de 280 000 visiteurs, il offre une tribune européenne, voire mondiale, à une industrie de l’édition qui se montre très offensive sur le plan numérique. Echos de notre envoyé spécial.
perspectives de l’édition dans les Brics
A travers différentes interventions et conférences, la Foire du Livre de Francfort 2011 souligne le réel intérêt des leaders de l’édition pour les nouvelles perspectives des marchés du Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) ou du Brics depuis l’adhésion de l’Afrique du Sud. C’est notamment le cas du groupe Penguin qui s’implique sur le marché brésilien.
Cependant le Sud reste dans une situation de retard causé par des carences technologiques et le manque de ressources humaines compétentes. Certains pays du Sud sont presque condamnés à attendre qu’une multinationale de type Amazon s’implante chez eux. Le succès des liseuses pourrait servir de passerelle afin de diffuser des contenus dans des zones autrefois difficilement accessibles et ainsi pénétrer de nouveaux marchés. Même si un doute subsiste sur l’accueil réservé par ce public aux tablettes et liseuses, Amazon tente de casser les prix afin de concurrencer les liseuses locales.
L’exemple de Pallas, une maison d’édition brésilienne, illustre le paradoxe auquel sont confrontés les acteurs. Bien que persuadé du potentiel commercial induit par la transition numérique, Pallas n’édite pas encore de contenus électroniques. Un taux d’équipement en plateformes numériques beaucoup trop faible associés à des coûts de conversion au format ePub bien trop élevés empêchent l’éditeur de se lancer. De plus, le public a besoin d’être converti aux nouvelles pratiques de lecture numérique.
un crocodile dans le fleuve Yangzi
Reste que les éditeurs des Brics n’hésitent pas à prendre des risques. L’adaptation au marché local joue également en leur faveur. Pour exemple, eBay pesait 85 % du marché chinois avant qu’Alibaba, un groupe local, ne riposte. Le PDG d'Alibaba avait déclaré : « eBay est peut-être un requin dans l’océan, mais Alibaba est un crocodile dans le fleuve Yangzi ». Ebay ne représente désormais que 7 % du marché chinois.
Désormais, la priorité pour la zone Sud est la création d’un modèle propre, qui ne soit pas directement copié sur le modèle du Nord, et la naissance d’organismes pour soutenir la R&D.
1- émergence de réseaux sociaux dédiés à la lecture
Et si la transformation du livre papier en livre numérique n’était qu’un commencement ? C’est le postulat de nouveaux acteurs de l’industrie tels que BookRix ou aNobii.
affaiblissement du pouvoir des éditeurs
Selon BookRix, la véritable révolution réside dans la dimension communautaire du livre et non dans la numérisation. Cette mutation marque la naissance d’un nouveau processus de création autour du contenu qui pourrait conduire à l’affaiblissement du pouvoir des éditeurs.
Traditionnellement, le rôle de l’éditeur est d’enrichir les interactions entre le livre et le public, d’inciter le lecteur à la discussion. Mais sa place dans la chaîne de commercialisation du livre est fragilisée avec l’avènement du « social reading ». Derrière cette expression se cache l’ensemble des idées, critiques et réactions en tous genres échangées entre les lecteurs d’un même ouvrage.
Cette tendance se structure via l’émergence de réseaux sociaux dédiés à la littérature, qui s’avèrent être de formidables outils marketing. Mais le bruit généré est incontrôlable et l’éditeur devient passif. C’est alors au public que reviendra la majorité de la promotion des livres, ayant ainsi le droit de vie ou de mort sur une publication.
Fort de ce constat, les éditeurs vont devoir réorienter leurs efforts sur la qualité de leur offre de contenu, ainsi que sur la création de services additionnels.
accroître le taux de transformation
aNobii est l’un de ces sites communautaires qui transforment le paysage de l’industrie du livre. Lancé en 2006 dans l’esprit Wikipedia, il donnait la possibilité aux utilisateurs de recenser leurs ouvrages favoris pour les faire découvrir et susciter le débat.
Opérationnel au Royaume-Uni et en Allemagne, le site regroupe désormais plus de un million et demi de critiques et est doté d’une boutique en ligne embarquée. A l’heure actuelle, son principal défi est d’accroître le taux de transformation vers l'achat de livres. En effet, les utilisateurs découvrent un livre, consultent les avis et discussions, avant de pouvoir acheter sur Amazon.
Quoi qu’il en soit, le succès d’aNobii inspire les géants de l’industrie qui pourraient bien intégrer à leur site internet des fonctionnalités de réseau social type Facebook pour créer des communautés actives servant de levier à la demande.
2- nouvelles plateformes d'édition en ligne
L’édition 2011de la Foire de Francfort réserve son lot de découvertes. Zoom sur deux nouvelles solutions qui s’offrent aux éditeurs de contenu.
achat à la page ou au chapitre
PaperC propose la consommation gratuite de contenu littéraire avant l’achat. Il s’agit d’une plateforme anglophone et germanophone destinée aux universitaires, qui leur permet de consulter 10 % d’un ouvrage gratuitement afin d’estimer son intérêt avant de l’acheter. L’autre avantage de cette plateforme numérique est que le lecteur peut acheter à la page ou au chapitre, à moins qu’il préfère le contenu global.
PaperC est doté d’une liseuse HTML 5 compatible avec tous les supports de lecture mobiles. Les fonctionnalités incluent la possibilité de constituer des livres personnalisés annotés.
Du côté du modèle économique, PaperC applique le nouveau standard : il prend une commission de 30 % sur chaque vente de contenu. Enfn, la plateforme peut être intégrée directement sur le site internet de l’éditeur.
La grande liberté laissée à l’éditeur (défragmentation, fixation des prix) a notamment séduit Elsevier, l'éditeur scientifique, qui proposera une centaine d’ouvrages via PaperC.
modèle économique personnalisé
Bookriff évolue dans un autre registre, le « recyclage » de contenu. Basée à Vancouver, au Canada, cette entreprise a lancé une plateforme dont l’objectif est de simplifier le processus de gestion des droits et de rétribution des auteurs. Une fois connecté, l’éditeur peut proposer son document – une revue de littérature, par exemple – et décider de l’ensemble des conditions de ventes de celui-ci : prix, termes de droits d’auteur, pourcentage reversé aux détenteurs des droits, etc. Le seul critère imposé est le revenu de Bookriff, fixé à 30 %. En quelque sorte, Bookriff propose le modèle économique personnalisé.
La période d’expérimentation de son modèle économique s’avère plutôt fructueuse et devrait se prolonger encore quelques temps.
3- enquête Elsevier auprès des chercheurs
Elsevier communique à Francfort les résultats d’une enquête menée auprès des chercheurs. Ils démontrent l’essor des e-books dans le domaine de l’Information Scientifique Technique et Médicale (ISTM).
80 % des chercheurs interrogés souhaitent intégrer les e-books à leur travail, parmi lesquels 55 % y ont d’ores et déjà recours dans le cadre de certaines de leurs recherches. Cette tendance est confirmée par d’autres chiffres : ainsi, à accessibilité égale, l’usage d’un contenu électronique est 11 % supérieur à celui du même ouvrage en format papier.
vers une personnalisation accrue dans l’information scientifique
Les pratiques de lecture des chercheurs sont directement impactées par le format numérique. Ils lisent plus - en moyenne 270 articles par an -, mais moins longtemps - 30 minutes par article, contre 50 minutes auparavant. Les e-books sont notamment jugés essentiels pour les recherches pluridisciplinaires. Les chercheurs deviennent plus exigeants, particulièrement en termes d’outils, de fonctionnalités et de contenus. « Give me your data, my way » : ce verbatim issu de l’enquête illustre bien ce fait et indique que l'on se dirige vers une personnalisation accrue dans l’information scientifique.
La numérisation profite également aux contenus non anglophones jusqu’ici difficilement accessibles. Citons par exemple la productivité chinoise en la matière qui, bien que stupéfiante, est amplement sous-estimée par manque de visibilité. Pour donner un ordre d’idée, 110 000 articles ont été publiés cette année dans les journaux internationaux dédiés à l’ISTM. Dans le même temps, 470 000 articles ont été publiés dans des journaux chinois !
La création d’abstracts et d’index traduits, inclus dans la solution proposée via Scopus par Elevier, par exemple, participe à l’amélioration de l’accessibilité de contenus dans les langues autres que l’anglais. Elle permet aux chercheurs de découvrir des contenus en langue étrangère « cachés » dans les silos d’information et contribue à la bonne santé de ce segment.
+ d’informations sur la Foire du Livre de Francfort : www.serdalab.com