Au Château de Versailles et à la Cour des comptes, les ouvrages aux dimensions hors normes font l’objet d’un traitement particulier. De la manipulation au rangement, ils doivent être maniés avec précaution.
Les lecteurs qui fréquentent les bibliothèques ne le savent probablement pas : lorsqu’ils recherchent un livre dans les rayonnages, ils utilisent la fameuse classification décimale Dewey ou la classification décimale universelle. Traduites en plusieurs dizaines de langues, ces classifications ont été adoptées par de nombreuses bibliothèques à travers le monde. En revanche, le rangement des livres dans les magasins – cette partie réservée aux bibliothécaires – obéit parfois à un classement bien plus pragmatique. Les ouvrages y sont en effet rangés en fonction de leur format. Du plus petit au plus grand, les livres sont entreposés sur des rayonnages spécialement dimensionnés.
Mais la manipulation, le conditionnement et le rangement des grands formats sont rarement une partie de plaisir pour les bibliothécaires. Aux dimensions, il faut en effet ajouter le poids souvent considérable de ce genre d’ouvrage. Comment les transporter ? Comment les protéger ? Comment les ranger ?
conservés debout, le plus droit possible
Les déménagements de bibliothèque constituent un irremplaçable laboratoire pour observer les bonnes pratiques. C’est le cas à la bibliothèque du musée du Château de Versailles qui s’apprête à quitter les quatre sites sur lesquels elle est aujourd’hui dispersée pour rejoindre le "grand commun". Ce bâtiment, dessiné par l’architecte Jules Hardouin-Mansart en 1682, a d’abord accueilli les cuisines et les tables des officiers qui servaient la cour avant de devenir un hôpital militaire.
La bibliothèque, spécialisée dans l’histoire de l’art du XVIIe au XIXe siècle, détient un fond représentant 850 mètres linéaires. Les grands formats, quant à eux, sont constitués de monographies diverses (livres d’art, traités d’architecture…) dont certaines atteignent les 68 centimètres de hauteur et d’albums de planches sur divers thèmes : mobilier, hôtels particuliers, châteaux. Au total, les grands formats représentent 84 mètres linéaires.
"La plupart de nos livres grand format sont conservés debout, le plus droit possible, afin d’éviter les déformations, précise Marie-Laetitia Lachèvre, responsable de la bibliothèque du musée du Château de Versailles ; quant aux albums de planches, nous les entreposons à plat ce qui est la position la plus appropriée pour ce type de document".
A l’occasion du déménagement de la bibliothèque, une procédure particulière a été mise en place : chacun des grands formats fera l’objet d’un emballage individuel avant d’être calé dans un carton. "Notre objectif est de réduire au maximum les mouvements et les frictions qui pourraient altérer les ouvrages. N’oublions pas que la cour du Château de Versailles est pavée et que les véhicules de déménagement devront emprunter cette voie cahoteuse", ajoute Marie-Laetitia Lachèvre.
Lorsque la bibliothèque prendra ses nouveaux quartiers, au mois de février 2013, les grands formats intégreront un nouveau mobilier adapté à leurs dimensions. Des rayonnages dotés d’une profondeur de 50 centimètres remplaceront les anciennes structures dont la profondeur habituelle de 30 centimètres ne convient qu’aux ouvrages traditionnels. Ils seront également équipés de tablettes sur glissières pour faciliter la communication des ouvrages.
meubles à atlas
La question du mobilier est capitale pour la conservation des grands formats. Les fournisseurs proposent des présentoirs et des meubles spécialement dessinés pour accueillir ce genre d’ouvrages. C’est le cas des célèbres meubles à atlas dotés d’une profondeur qui peut dépasser les 60 centimètres, soit près du double des étagères traditionnelles. Il existe également des présentoirs dont les tablettes sont capables d’accueillir des monographies de grande dimension. Les accessoires ne sont pas oubliés avec des serre-livres dépassant 20 centimètres ou des boîtes d’archivage grand format.
Mais ce mobilier en série peut ne pas satisfaire toutes les exigences des bibliothèques. Il est alors conseillé de se tourner vers les fabricants de meubles qui proposent des systèmes de rayonnage flexibles. Ces derniers peuvent en effet être transformés et agrandis selon les besoins.
protection polyester et stabilité chimique
Du côté de la Cour des comptes, les archives abritent une série de grands formats hétérogènes : des registres de réception de compte, des registres de présence en chambre, des registres de gestions occultes… Certains de ces documents peuvent atteindre une hauteur de 40 centimètres et, quand cela est possible, des boîtes de conservation sur mesure sont commandées afin de les conditionner dans les meilleures conditions possibles. On y trouve également les plans et les dessins du Palais Cambon, le bâtiment qui abrite la Cour des comptes : "Ces documents sont protégés dans des chemises de protection en polyester qui n’altère ni le papier, ni les encres et offre des garanties de longévité et de stabilité chimique, précise Nathalie Mevel, archiviste au sein de la Cour des comptes ; ils sont ensuite déposés dans un meuble à plans situé au sous-sol à l’abri de la lumière naturelle".
Autres grands formats, les grands volumes du fonds ancien de la bibliothèque, qui présentent notamment les cartes descriptives des provinces ecclésiastiques, affichent une dimension impressionnante : 60 centimètres de hauteur. Si le papier est relativement bien conservé, les reliures en revanche sont très dégradées. D’un poids considérable, ces grands formats sont entreposés sur les rayonnages en béton des archives de la Cour des comptes – rayonnages qui datent de la construction du bâtiment et prévus pour abriter les milliers de liasses provenant des organismes contrôlés. "Nous bénéficions d’une importante hauteur entre les étagères et nous pouvons entreposer ces grands formats debout plutôt que couchés. Cependant, nous avons pris soin de peindre le béton car celui-ci peut être abrasif pour les documents s’il est brut", remarque Nathalie Mevel.
En 2012, la Cour des comptes a célébré le centième anniversaire de son installation dans le Palais Cambon. Ses archives grand format veillent sur l’institution.
+ repères
in-plano ou in-octavo, la taille ça compte aussi
Ce sont des termes latins un peu désuets, mais encore très utilisés dans le métier de la reliure : in-plano, in-folio, in-quarto, in-octavo… Le format in-plano désigne un ouvrage composé de feuilles n’ayant fait l’objet d’aucun pliage. Sa dimension peut atteindre 63 x 90 centimètres.
Une feuille pliée une fois est un in-plano, une feuille pliée deux fois est un in-quarto, une feuille pliée trois fois est un in-octavo. Une feuille peut également être pliée quatre fois pour donner naissance à un in-seize.
Les dimensions du livre ont subi plusieurs cures d’amaigrissement depuis la période incunable où les antiphonaires - livres liturgiques catholiques rassemblant les chants de l’office - pouvaient peser plusieurs kilos et nécessitaient l’utilisation de lutrins pour les supporter. A partir du XVIIIe siècle, les livres religieux sont progressivement concurrencés par les livres profanes aux dimensions beaucoup plus modestes.
Aujourd’hui, le plus grand livre recensé dans le monde se trouve en Hongrie : intitulé Notre patrimoine naturel fragile, il mesure 4,18 mètres de hauteur pour 3,77 mètres de largeur. Son poids : 1 420 kilos !