« Nul n’est censé ignorer la loi » dit l’adage. Encore faut-il être en mesure d’y accéder ! Du parchemin aux réseaux numériques, les lois et règlements se sont inscrits sur tous les types de supports inventés au cours des siècles. Publié par La Documentation Française, l’ouvrage L’écho des lois, du parchemin à internet retrace cette histoire où se mêlent technologie, droit et politique.
Archimag vous propose les bonnes feuilles du chapitre 6 écrit par Stéphane Cottin, chargé de mission au Secrétariat général du Gouvernement.
l’accès à la loi par les technologies modernes - du Minitel à Internet
La publication de la loi et plus généralement la diffusion du droit ont rencontré tôt l’informatique et les technologies de l’information. Les premières pierres des futures bases de données publiques ont été posées à une époque où le mot « ordinateur » n’était pas encore inventé, et le mot « informatique » pas encore stabilisé – on trouve l’expression « informatic » (sic) dans des articles de revues juridiques comme La Gazette du Palais ou La Semaine juridique des années 1950 et 1960.
Les services de la présidence du Conseil avaient déjà, immédiatement après la Libération, développé le Fichier législatif, ancêtre de la base LEX, pour assister le Gouvernement dans son travail de suivi des textes publiés. Ce fichier constituait un historique des textes législatifs et réglementaires parus au Journal officiel et permettait de les indexer avec leurs références. Il indiquait ainsi, systématiquement, les liens vers les textes d’application, d’abrogation et de modification : comment ne pas penser aux outils hypertextes développés soixante ans plus tard ? Il a ensuite été évident – mais loin d’être aisé – de transférer le contenu de ces fiches dans un système informatique.
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À chaque étape de cette révolution (du Minitel – qui s’est définitivement éteint en juin 2012 – à Internet) ont surgi de nouveaux problèmes juridiques. L’ensemble du processus de formation, de publication et de diffusion du droit en a été bouleversé. Inversement, le droit a profondément marqué les évolutions de ces technologies.
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la naissance d’une nouvelle « branche du droit »
Dès le début des années 1960 est ainsi perçue la nécessité de codifier le monopole des télécommunications en ces termes : « On entend par télécommunication, toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de renseignements de toute nature, par fil, optique, radioélectricité ou autres systèmes électromagnétiques », dans une claire conscience des enjeux économiques.
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Parmi les toutes premières autorités administratives indépendantes, naissent en 1978 la Commission pour l’accès aux documents administratifs (Cada) et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). La loi du 17 juillet 1978 instituant la Cada marque une étape importante vers le libre accès des personnes aux documents émis par l’administration – l’un des volets de ce qu’on a appelé la « transparence administrative » – et vers des règles de réutilisation des informations publiques. La Cnil, elle, est désormais chargée de veiller à la protection des données personnelles informatisées (loi informatique et libertés du 6 janvier 1978). Mais les technologies continuent à progresser.
de l’ambiguïté initiale gratuit/payant, public/privé…
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Cette éclosion d’un marché florissant des bases de données, sans cadre juridique précis, est en phase avec le développement quasi concomitant des services Minitel, déployé dans plus de 20 millions de foyers français dès 1981. L’un d’eux, JOEL (pour Journal officiel électronique, décret du 13 mars 1985), offre, au prix de 1,27 F/mn, l’accès aux sommaires des cinq derniers jours du Journal officiel « Lois et décrets ». D’autres services plus détaillés voient le jour, à d’autres tarifs.
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D’autres innovations touchent la diffusion du droit et ajoutent à l’ambiguïté de son statut : parmi les premiers Cd-Rom professionnels diffusés en France à partir de 1984 figurent les « Lexilaser » de la société Lexis-France/Téléconsulte, via les données (payantes) des serveurs américains de Mead-Data (ils deviendront bien plus tard les « juridisques Lamy »).
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Dans ce contexte naissent également, entre 1995 et 1996, les premiers sites Web publics (ministères des Affaires étrangères, de la Culture, Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel, etc.).
Le site du Journal officiel ouvre, lui, symboliquement, le 14 juillet 1997.
…à la clarification : la diffusion de la loi, une mission de service public
Une clarification du statut des bases de données juridiques et de leur diffusion s’impose. Ce qui est fait à Hourtin le 25 août 1997, par le Premier ministre récemment nommé Lionel Jospin, lors de l’université d’été de la communication : « Pour répondre à l’exigence démocratique de transparence de l’État, un accès plus aisé à l’information publique est par ailleurs indispensable. Depuis près de vingt ans, l’accès aux documents administratifs est devenu une véritable liberté publique […]. Les données publiques essentielles doivent désormais pouvoir être accessibles à tous gratuitement sur Internet. Ainsi, puisque “nul n’est censé ignorer la loi”, je ferai en sorte que ce soit le cas du contenu du Journal officiel de la République française. (…) »
Une révolution du modèle de diffusion de la loi se met alors en route. Dès l’année suivante, Légifrance diffuse gratuitement l’information juridique officielle française (l’offre payante disparaît totalement en 2002), et l’Internet en permet la diffusion la plus large, en texte intégral. Un article de la loi du 12 avril 2000 précise que : « Les autorités administratives sont tenues d’organiser un accès simple aux règles de droit qu’elles édictent. La mise à disposition et la diffusion des textes juridiques constituent une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il appartient aux autorités administratives de veiller. »
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1. la diffusion du droit par Internet
Le Service public de la diffusion du droit par l’Internet (SPDDI) repose sur la création d’un site Internet, ouvert en 1998 sous le nom de legifrance.gouv.fr.
l’égal accès de tous à la loi
Un décret du 7 août 2002 énumère les actes officiels en accès gratuit :
– les actes à caractère normatif : la Constitution, les codes, les lois et les actes à caractère réglementaire émanant des autorités de l’État ainsi que les conventions collectives nationales ayant fait l’objet d’un arrêté d’extension ;
– les actes résultant des engagements internationaux de la France, notamment les directives et règlements émanant des autorités de l’Union européenne ;
– la jurisprudence des grandes cours nationales et européennes ;
– un ensemble de publications officielles : l’édition « Lois et décrets » du Journal officiel de la République française ; les Bulletins officiels des ministères ; le Journal officiel des Communautés européennes.
les grands principes
Le SPDDI doit respecter les principes du service public rappelés par les « lois » de Rolland : l’égalité et la neutralité (elles concernent tant l’accès au service public que son fonctionnement), l’adaptabilité en fonction de l’évolution de la société et de l’intérêt général, la continuité (obligation de fonctionner sans interruption).
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L’objectif d’anonymisation des décisions de justice est tiré du principe du droit à l’oubli, inhérent à toute constitution de fichiers informatiques contenant des données personnelles. Leur diffusion sur Internet par les banques de données de jurisprudence fait l’objet d’une recommandation particulière de la Cnil en 2001.
Enfin, le droit de réutiliser des informations tirées des fichiers publics, à des fins commerciales notamment, a demandé une modification de la loi de création de la Cada répondant à une directive européenne de 2003 ; il a conduit à l’élaboration du concept d’« opendata ». (…) Les conclusions du commissaire du Gouvernement Jean-Denis Combrexelle sont encore plus explicites : « Le service public répond à quatre priorités. La première est l’exhaustivité de l’information. Le service public doit inclure le plus grand nombre possible de données publiques sans qu’il y ait lieu d’opérer de discrimination selon la valeur marchande de l’information […]. Les bases de données produites par le service public ne doivent pas opérer une discrimination en fonction de ce critère sous peine de placer certaines informations hors d’accès. La seconde est la qualité de l’information. Point n’est besoin ici de souligner le risque que présenteraient, pour l’ensemble des usagers et pour la sécurité juridique, des banques de données au contenu incertain. Certaines expériences malheureuses montrent que ce risque n’est pas théorique et que le service public doit constituer des bases de données de référence. La troisième est le souci d’assurer la plus large diffusion possible de l’information juridique en fonction des possibilités qu’offrent les nouvelles techniques ceci sur le fondement du principe d’adaptation du service public. La quatrième est le respect de l’activité privée et des règles de concurrence. »
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les infractions informatiques
Il a été très tôt remarqué que, si la science des traitements de l’information (définition formelle de l’informatique) pouvait être un facteur de développement industriel et de productivité économique, l’outil informatique risquait aussi, en de mauvaises mains, de constituer de redoutables dangers et des moyens de fraude.
Un droit pénal des nouvelles technologies de l’information et de la communication est né de ces dérives.
On envisage, un temps, d’assimiler beaucoup des comportements délictueux et criminels nés de l’informatique aux infractions anciennes (loi dite Godfrain, du 5 janvier 1988) ; cela n’empêche pas d’introduire un chapitre distinct dans l’ancien Code pénal (articles 462-2 et suivants) ; le nouveau Code pénal, en 1994, aggrave sévèrement les peines encourues. Un chapitre s’intitule : « Des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données » (articles 323-1 et suivants) et d’autres articles traitent d’infractions où intervient l’informatique : par exemple dans les atteintes au secret de la défense nationale (articles 413-9 et suivants) ou les atteintes à la vie privée (article 226-3, 226-16 et suivants, notamment).
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2. la publication d’un Journal officiel « authentique »
La publication en ligne de tout ou partie des textes normatifs et la reconnaissance du caractère officiel de cette publication, ne se sont pas réalisées, en France comme ailleurs, sans de longues réflexions, ni sans un encadrement très strict. La version informatique a-t-elle la même valeur « authentique » que la version papier jusqu’alors seule considérée comme faisant foi dans les contrats ou devant la justice ? Le principe d’égalité ne risque-t-il pas de souffrir de l’inégalité de fait de l’accès à Internet ?
en France, l’immédiateté de la loi inscrite dans le Code civil
Deux cents ans après sa naissance, il a fallu, notamment, adapter le Code civil et modifier le régime de la preuve électronique. L’évolution majeure a consisté à donner, par une ordonnance du 20 février 2004, valeur légale à une version électronique dématérialisée du Journal officiel, la même que celle de la version papier. Le rapport de présentation de cette ordonnance rappelle qu’il ne se substitue pas au service Légifrance, qui reste le site d’information juridique. L’ordonnance de 2004 modifie l’article 1er du Code civil : « La publication des actes […] est assurée, le même jour, dans des conditions de nature à garantir leur authenticité, sur papier et sous forme électronique. Le Journal officiel de la République française est mis à la disposition du public sous forme électronique de manière permanente et gratuite ».
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Ainsi, en France, depuis 2004, la version électronique dématérialisée du Journal officiel a la même valeur probante que la version papier authentique. On ne parle pas ici de la version en ligne dite « Légifrance » du Journal officiel, qui date de 1998, mais de la version authentifiée du site Web (www. journal-officiel.gouv.fr). L’application de ce dispositif revient à la Direction de l’information légale et administrative (Dila), née en janvier 2010 de la fusion de la Direction des Journaux officiels et de la Direction de la Documentation française.
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… et en Europe, quelle stratégie numérique ?
Une étude, menée par l’Office des publications officielles de l’Union européenne, a fait le point en 2009 sur toutes les méthodes de diffusion officielle de l’information légale dans les États membres de l’Union européenne et de l’AELE. Elle nous apprend que quinze États membres de l’Union européenne avaient, à cette date, fait le choix de conférer valeur officielle à la version numérique de leur journal officiel.
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Au cours de ces dernières années en effet, on a pu observer une diminution du nombre d’abonnements au Journal officiel de l’Union européenne, alors que l’utilisation de l’Internet dans l’Union européenne n’a cessé de croître – d’après Eurostat, 70 % des ménages en 2010 et 94 % des entreprises en 2009 avaient accès à l’Internet. En outre, l’édition électronique du Journal officiel de l’Union européenne pourrait être consultée gratuitement et n’aurait rien à envier à l’édition imprimée, pour laquelle des coûts d’impression et d’expédition doivent être récupérés auprès du public. Un garde-fou est toutefois prévu : pour les personnes handicapées qui ont accès à un format électronique spécifique et pour les personnes qui n’y ont pas accès pour toute autre raison, il sera toujours possible d’obtenir, « sur demande », une version papier (sans valeur juridique, c’est-à-dire à titre d’information uniquement) auprès de l’Office des publications de l’Union européenne.
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La comparaison, notamment entre les situations belge et française, est éclairante. Les choix de la Belgique en matière d’égal accès de tous les citoyens à la loi sont illustrés par la jurisprudence de la Cour d’arbitrage. Celle-ci avait annulé les dispositions de la loi-programme du 31 décembre 2002 qui prévoyait seulement l’impression de trois exemplaires en papier du Moniteur belge, le « JO belge ». La Cour posa un ultimatum aux autorités pour qu’elle trouve une solution dans l’année. Dans un arrêt de 2004, elle déclare que « faute d’être accompagnée de mesures suffisantes qui garantissent un égal accès aux textes officiels, la mesure attaquée a des effets disproportionnés au détriment de certaines catégories de personnes. Elle n’est dès lors pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution ».
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3. perspectives pour une formation au droit et à la légistique
On a surtout vu jusqu’à présent les méthodes de diffusion en ligne. Mais les processus de production du droit ont, eux aussi, été profondément touchés par les méthodes informatiques. Ces changements sont tellement profonds qu’ils imposent de repenser la formation initiale et la formation continue des usagers du droit : ceux qui sont censés le produire mais aussi ceux qui sont censés le recevoir et l’appliquer.
C’est dans cet esprit qu’a été mis en place dans l’enseignement supérieur, en France, le « C2i » (certificat informatique et Internet), dans la continuité du dispositif mis en place par l’Éducation nationale avec le B2i (brevet informatique et Internet) pour l’enseignement secondaire. Le niveau 2, consacré aux « métiers du droit », est désormais généralisé à l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur. Plusieurs de ces branches concernent la production normative et surtout la recherche documentaire juridique.
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Les nouvelles méthodes de rédaction de textes normatifs assistée par ordinateur renvoient notamment à la création du système SOLON (pour Système d’organisation en ligne des opérations normatives) lancé en 2007, amélioré en 2012. Autour de procédures désormais normalisées par un guide de légistique, la chaîne de production du droit est complètement dématérialisée, de l’avant-projet d’un texte à sa publication par la Dila. Fin 2011, plus de 80 % des 30 000 textes publiés au Journal officiel n’ont pas eu d’existence « papier » lors de leur processus de production, et, comme on l’a vu plus haut, près de la moitié d’entre eux ne seront publiés que sur la version électronique du Journal officiel.
les réseaux sociaux interactifs
Mais les nouvelles technologies ne permettent pas que des économies de papier, elles offrent aussi de nouvelles perspectives à la création normative par la participation du public. Ainsi, la diffusion sur les réseaux sociaux (Web 2.0), par l’intermédiaire des « consultations ouvertes » ou « débats publics », permet de mettre en œuvre de nouvelles méthodes d’élaboration des normes en faisant participer le grand public. En plus de Légifrance, portail du service public de la diffusion du droit sur l’Internet, déjà cité, deux sites internet produits par la Dila proposent ces nouvelles offres. Les consultations ouvertes sont ainsi sur le site vie-publique.fr, qui diffuse aussi de nombreux autres services d’information grand public. Enfin le site service-public.fr, parmi les plus visités de l’administration française, offre une large gamme d’informations juridiques, dans un langage clair et abordable, et par l’intermédiaire de supports multimédias les plus modernes. Des infographies, des podcasts, des vidéos d’information, à l’instar de ce que le ministère de la Justice a produit avec son service Justimémo, de très nombreuses fiches questions-réponses, etc. sont diffusées sur tout support Web. (…) La réutilisation des informations du secteur public a déjà été évoquée comme un des principes à défendre. L’évolution récente des nouvelles technologies de gestion des bases de données juridiques ainsi que de leur statut, et les nouvelles possibilités techniques de diffusion des informations en grande masse (dite « Big Data ») ont ouvert de nouveaux horizons techniques et juridiques. Il n’est plus un pays ou une région qui n’offre son catalogue de données publiques en « opendata » – c’est le cas de la France avec le service du Premier ministre Etalab et le site data.gouv.fr, où les données juridiques sont présentes. De nouveaux types d’accès au droit et aux informations juridiques sont déjà proposés non seulement sur Internet, mais aussi sur appareils mobiles, smartphones, tablettes tactiles… ainsi, le service Legimobile.fr, produit par la Dila, ou le service du ministère de la Justice, Mobidroits, tous deux promus par le service Proxima Mobile de la Délégation aux usages de l’Internet.
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Chacun doit pouvoir peser sur des décisions qui engagent son avenir. L’ensemble de ces moyens nouveaux, techniques, juridiques, didactiques, mis en place par la Ve République, a contribué à rendre plus accessible et moins opaque son élaboration.
Tel est l’écho des lois : du Solon des Grecs anciens au SOLON du XXIe siècle, la loi se lit pour être connue de tous.