reconversion professionnelle : l’appel de la documentation

Mariannick Jehanno DR

 

Qu’on ait 30, 40 ou 50 ans, changer de métier n’est jamais chose aisée, quand bien même l’envie et la motivation sont au rendez-vous, et le métier de documentaliste ne déroge pas à la règle. À travers l’expérience de six néoprofessionnelles de la doc récemment reconverties, Archimag met la lumière sur des réalités diverses et diversement vécues, mais globalement satisfaisantes.

« J’ estime avoir beaucoup de chance car, après trente ans de technique, ce changement radical de métier m’apporte un regain de motivation. Bref, la doc, c’est pour moi un bol d’air frais ! ». Mariannick Jehanno, documentaliste au centre d’Orvault d’Alcatel- Lucent et auparavant ingénieure R&D au sein de la même entreprise, n’en fait pas mystère : sa reconversion dans la documentation la ravit. Cet écho positif est généralement partagé par les personnes se trouvant dans la même situation. Et pourtant, se réorienter dans les métiers de la documentation après une première vie professionnelle, c’est découvrir un nouveau monde, de nouvelles tâches, mais aussi de nouvelles problématiques. Au-delà du plaisir – voire de la griserie – des premiers instants, c’est l’appropriation d’une nouvelle culture professionnelle qui est en jeu. D’ailleurs, le tout premier élément constitutif d’une culture professionnelle, le poste et son intitulé, n’est pas systématiquement acquis. Sur les six professionnelles interrogées, seule la moitié possède le titre de documentaliste ; l’autre moitié fait de la documentation mais sous la fonction officielle d’assistante de direction ou de chargée d’étude.

petites mains et tâches fastidieuses

Le quotidien de ces nouvelles documentalistes se compose, pour une grande part, des tâches certes essentielles mais routinières que sont réception et bulletinage des revues, classement et indexation des ouvrages. Cela n’exclut pas des tâches de davantage de valeur ajoutée telles que panorama de presse et push d’informations. Anna Studer, jeune trentenaire du département veille et stratégie de la CnamTS, explique : « Je gère une documentation composée de revues papier et d’ouvrages répertoriés au sein d’une base de données Access. Au quotidien, je communique sous forme de mails d’alerte sur les documents disponibles, en arrivée et présents sur internet ». La distribution sélective d’information « s’effectue en amont dans le choix des abonnements et des acquisitions », précise la jeune femme, titulaire d’un DESS et d’un DEA en économie. L’équipe de documentation de la direction juridique de GDF SUEZ est en charge, entre autres, de la veille juridique. Sandrine Quillien, 47 ans, l’a rejointe depuis un an et demi. Bulletinage des revues en amont, préparation du bulletin des sommaires hebdomadaire et recherches documentaires y composent, entre autres, ses prérogatives. Le fonds géré par Mariannick Jehanno se compose également de « ressources numériques provenant d’agrégateurs internationaux auxquel la direction s’est abonnée, mais aussi d’abonnements à des titres français ». Veille technologique et alimentation en contenu de certains thèmes de l’intranet complètent son activité quotidienne. Si le cas d’Anne Goujon, responsable de la documentation à la direction de l’environnement du conseil général du Var, est à part – puisque davantage médiatrice culturelle que documentaliste –, elle n’en gère pas moins un « fonds d’environ 500 ouvrages, que nous comptons bien valoriser », confie-t-elle en souriant, « par le biais d’animations et de petites expositions thématiques. En revanche, je fais très peu de gestion documentaire et pas de veille ».

de l'autre côté du miroir

Ce sont d’ailleurs ces tâches qui font la différence entre la perception avant et maintenant du centre de documentation, ainsi qu’en témoigne Sandrine Quillien : « Désormais, mon regard sur la doc est plus réaliste alors qu’elle était auparavant pour moi entourée d’un halo mystérieux. Je me rends compte des tâches répétitives mais nécessaires qui se trouvent derrière ». Il en est de même pour les supports numériques, comme l’explique Brigitte Blyau, 50 ans et documentaliste au CRD médico-social du conseil général du Val-d’Oise : « À l’époque où je consultais l’intranet, pour mes fonctions d’assistante sociale, j’étais loin de m’imaginer ce qu’il réclamait derrière comme administration technique et éditoriale, comme travail de mise à jour, etc. ». Ce lien entre l’avant et l’après est bien évidemment matérialisé par la formation, dont les modalités sont variables d’une reconvertie à l’autre. Cela va de formations professionnelles régulières – du type Passeport pour la doc, stage de cinq jours proposé par Serda – complétées par un apprentissage sur le terrain, pour Sandrine Quillien à « deux ans de formation en alternance, assurée par le CNFPT en partenariat avec l’INTD avec un diplôme de documentation spécialisée à la clé, un mode de fonctionnement tout à fait adapté à la fonction publique territoriale ». Indispensable pour acquérir les techniques de base, cette étape de formation adopte différents visages selon les personnes. Ainsi, pour Mariannick Jehanno, elle fut surtout l’occasion de s’approprier le jargon de la documentation, lui permettant de « faire le lien entre des démarches intellectuelles avec lesquelles j’étais déjà familiarisée et une terminologie. Par exemple, le fonctionnement ontologique ne m’était pas étranger mais j’y ai découvert les notions de thesaurus, de candidat descripteur ».

de l’importance de connaître le domaine d’activité

À l’inverse, un élément souligné à l’unisson réside dans l’importance de la connaissance du domaine d’activité de l’organisation. Ainsi, Anne Fossier, assistante au département Ville, urbanisme et habitat de l’Association des maires de France, déplore de ne pouvoir faire ni synthèse ni restitution « par manque d’expertise juridique » et estime que « l’étape suivante de sa reconversion serait de se perfectionner en connaissance métier dans ce domaine ». Connaissance du domaine médico-social que Brigitte Blyau estime « extrêmement précieuse ». Quant à Mariannick Jehanno, son expertise dans le domaine des télécoms s’est même avérée un atout déterminant pour son embauche « au sein d’un centre de doc auquel sont adressées des demandes très pointues ».  Autre phénomène plébiscité : l’importance d’évangéliser la documentation, mais ce, chacune à sa manière. Cela va d’Anne Fossier qui souhaite « ancrer sa légitimité, notamment face à l’illusion encore trop couramment répandue que tout le monde effectue sa propre documentation via la recherche d’informations sur internet », à une Mariannick Jehanno davantage résistante au changement numérique et qui appelle de ses voeux « la survie des livres à cette tempête du tout numérique dans laquelle nous sommes plongés en ce moment ». Car, on s’en serait douté, le rapport aux outils informatiques ne témoigne pas d’un amour fou. Brigitte Blyau considère cet aspect comme un des plus déroutants dans ses nouvelles fonctions, avant de tempérer « qu’avec un peu de bonne volonté on y arrive très bien, c’est loin d’être un obstacle infranchissable ! ».

la médiation avant tout

Ce qui plaît le plus à ces converties à la documentation, c’est le pan médiation de leur fonction. Toutes les personnes interrogées sans exception et sans hésitation poussent le même cri du coeur. L’exemple d’Anne Goujon est à ce sujet à la fois extrême et représentatif, puisqu’au quotidien, explique-t-elle avec passion, elle mène une démarche de quasi-animatrice culturelle « avec l’organisation d’ateliers. Par exemple, à la bonne saison, je pars avec les enfants à la cueillette des champignons et on confronte ensuite la récolte aux ouvrages de mycologie du centre ». Bref, elle intègre la ressource documentaire à la démarche de sensibilisation de la nature, mettant en oeuvre sa jolie formule « le livre n’est pas une fin en soi, le livre est un allié ! ». Les facettes de cette réorientation sont tellement multiples qu’on en oublierait presque qu’au départ il y a quasiment toujours le même phénomène, au-delà du choix personnel et de l’envie : la documentation comme biais de valorisation, que ce soit de ses compétences ou de sa carrière. Si pour Mariannick Jehanno et Anne Goujon, c’est à force de fréquenter le centre de doc et de s’y sentir bien que l’idée a émergé, pour Anne Fossier, ce fut avant tout « une chance de valoriser mes qualités littéraires et d’évoluer dans la structure après avoir échoué à me faire une place dans le monde très fermé de l’édition ». Le mot de la fin pour Brigitte Blyau, dont le témoignage illustre ce subtil mélange de vocation et de circonstances : « Cette réorientation dans la doc, c’est un serpent de mer : déjà en terminale avant de passer le bac et au moment de choisir, j’hésitais, se remémore-t-elle. Grande lectrice, j’étais très tentée par les métiers de la bibliothèque. Ayant finalement choisi d’être assistante sociale, l’idée de faire de la doc m’est toujours restée dans un coin de la tête. Et avec l’évolution du métier, devenu très dur, ce qui était une idée sous-jacente est devenu une nécessité. »

Les podcasts d'Archimag
Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".