La vie privée et son respect constituent une sorte de kaléidoscope juridique. Ils interviennent dans plusieurs domaines du droit, principalement sur le respect de la vie privée des particuliers au sens strict ; sur le respect de cette vie privée au travers de l’image de la personne ; et sur la protection de la vie privée au travers de la réglementation des données à caractère personnel.
1. Fondements juridiques
Le respect de la vie privée est un concept récent dans l’histoire, à mesure que l’individu s’est affirmé face aux groupes humains. Elle n’est par exemple pas mentionnée dans notre « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » du 26 août 1789.
l’article 9 du Code civil
Cette protection n’apparaît qu’en 1970 au travers d’une nouvelle rédaction de l’article 9 dont l’alinéa 1er dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».
Les diverses déclarations internationales de l’après 2e Guerre mondiale prennent cette dimension en compte.
La déclaration de l’Onu
La « Déclaration universelle des droits de l’homme » de l’Onu, du 10 décembre 1948, dispose, art. 12 : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».
La Convention du Conseil de l’Europe
C’est l’un des tout premiers textes du Conseil de l’Europe, ce club de 47 États européens : la « Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales », signée à Rome le 4 novembre 1950.
Article 8, Droit au respect de la vie privée et familiale :
- « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
- “2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui”.
La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Article 7, Respect de la vie privée et familiale : “Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications”.
2. Protection directe de la vie privée
Notion de vie privée
La vie privée se distingue du domicile privé. Tout ce qui se passe à son domicile relève de sa vie privée, mais celle-ci s’étend aussi dans les lieux publics, à l’occasion de certaines situations qui relèvent de la vie privée (propos tenus “en privé”, scène d’intimité, même dans un lieu public).
Des sanctions civiles, voire pénales
Sur la base de l’article 9 du Code civil, on peut sanctionner toute atteinte à la vie privée d’une personne, notamment par intrusion dans celle-ci par un tiers, et surtout par la publication d’éléments de cette vie privée sans l’accord de l’intéressé. Il s’agira surtout de dommages-intérêts, le fondement juridique étant issu du Code civil. Mais des dispositions du Code pénal sanctionnent l’atteinte à la vie privée (articles 226-1 à 7).
Les faits visés sont principalement :
- la captation ou la diffusion de propos tenus à titre privé ou de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ;
- la violation de domicile ;
- l’usurpation d’identité.
3. Vie privée et droit à l’image
L’un des fondements juridiques du droit à l’image d’une personne est l’atteinte à sa vie privée via la publication d’images la concernant. Ainsi, une personne en prière, en visite privée dans une église à Florence, pourtant un lieu public, ne saurait voir cette photo publiée dans la presse sans son accord, fût-elle une ancienne candidate à l’élection présidentielle de 2007. Il en coûta 6 000 euros de dommages-intérêts et 2 000 euros pour frais de justice à Paris-Match (TGI Paris, ordonnance de référé, 29 mai 2008).
4. Vie privée et données à caractère personnel
Les lois sur la protection des données personnelles ont été conçues pour protéger l’intimité de la vie privée, concept qui est donc au cœur de la loi “Informatique, fichiers et libertés” du 6 janvier 1978 modifiée, ainsi que du Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui sera pleinement en vigueur à partir du 25 mai 2018.
La protection des données à caractère personnel
Tout “traitement” d’informations relevant de la vie privée des personnes physiques est réglementé. Pour synthétiser un dispositif législatif très vaste, le seul fait de mentionner, collecter, enregistrer, utiliser, transmettre, ou même effacer une donnée permettant d’identifier directement ou indirectement une personne constitue un “traitement de données à caractère personnel” réglementé par la loi et bientôt par le RGPD, que ces opérations soient automatisées ou pas.
Certaines informations concernant la personne ne peuvent absolument pas être traitées parce que trop personnelles, sauf accord exprès de l’intéressé et quelques autres rares exceptions. Ce sont les fameuses “données sensibles” : opinions politiques, philosophiques ou religieuses, appartenances syndicales, santé et vie sexuelle (art. 8-I loi de 1978) auquel le RGPD ajoute les données génétiques et biométriques (art. 9, 1 Règlement).
Aucune donnée personnelle ne peut être traitée sans le consentement exprès de l’intéressé – sauf les cas où la loi l’impose (art. 7 loi – art. 7 et 8 RGPD). La personne concernée doit être informée de qui traite ces données et de ce qui en sera fait : type et finalité du traitement, destinataires, durée de conservation (art. 32 loi – art. 13 et 14 RGPD)... Elle dispose de droits sur ces données, renforcés par le RGPD : droit d’information précité, droit d’accès, et, sous certaines conditions, droits de rectification, d’effacement, d’opposition et de limitation (art. 38 à 40 loi – art. 12 à 23 RGPD).
5. Vie privée et liberté d’informer
Equilibre entre vie privée et liberté de la presse
Le droit au respect de la vie privée est une des libertés qui peut entrer en conflit avec la liberté d’expression, prolongée par la liberté d’informer pour les médias. Pour tenter d’assurer un équilibre entre ces deux libertés publiques, les lois ont aménagé des règles. Par exemple, certaines dispositions de la loi “Informatique, fichiers et libertés” ou du RGPD ne sont pas applicables aux activités journalistiques.
Vie privée et e-réputation
La révélation au public de la vie privée d’une personne, notamment sur internet, peut compromettre sa réputation, à tort ou à raison. Chacun a en tête la relance médiatique de “l’affaire Gregory” avec la mise en cause de certains parents de l’enfant dont les noms et une partie de la vie ont été “jetés en pâture dans la presse” pour reprendre la formule d’un des avocats.
6. Secret de l’instruction
Ce qui amène à mentionner pour finir le secret de l’instruction (art. 11 Code de procédure pénale – art. 226-13 et 14 Code pénal pour sa violation), trop souvent bafoué ces dernières années, et dont une des fonctions est d’assurer la préservation de la vie privée des personnes liées à une affaire judiciaire, qu’elles soient poursuivies ou simples témoins.
Didier Frochot
www.les-infostrateges.com
A retenir
Le respect de la vie privée est une des libertés fondamentales de tout individu vivant dans un pays de libertés. Il est la garantie d’un exercice paisible de sa propre vie et du contrôle qu’il devrait toujours conserver de la diffusion ou non d’éléments de son intimité.
Le droit applicable
- "Déclaration universelle des droits de l’homme" de l’Onu du 10 décembre 1948, art.12
- "Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales » du Conseil de l’Europe du 4 novembre 1950, art. 8
- "Charte des droits fondamentaux » de l’Union européenne entrée en vigueur le 1er décembre 2009, art. 7
- Code civil, art. 9
- Loi du 6 janvier 1978 modifiée
- "Règlement général sur la protection des données"
- Code pénal, art. 226-1 : captation et diffusion d’image dans un lieu privé ou de propos tenus en privé. Code de procédure pénale, art.11 : secret de l’instruction. Code pénal, art. 226-13 et 14 : violation du secret de l’enquête ou de l’instruction.