Découvrez toutes les newsletters thématiques gratuites d'Archimag dédiées aux professionnels de la transformation numérique, des bibliothèques, des archives, de la veille et de la documentation.
Comme l’ensemble de la communauté de l’information-documentation-connaissance, nous avons salué pendant 20 ans le système qui permettait au strict droit de propriété de l’auteur de s’effacer — en tout ou partie — face au partage des idées, informations et connaissances.
Nous avons cependant vu monter ses dangers marginaux, notamment en matière de droits sur les images. Plus récemment, nous avons constaté — face à l’aggravation des violations de droits d’auteur — les failles juridiques du système des licences Creative Commons.
L’euphorie des premiers temps du web
Dans les premiers temps du web — dont l’émergence mondiale s’étend entre 1995 et 2000 —, ce fut l’euphorie d’un monde où tout allait être accessible à portée de clic sur la toile. Dans ce contexte du village planétaire, est venue se greffer l’idée de tout partager.
La lame de fond venait de plus loin, puisque le mouvement du logiciel libre remonte aux années 1980, avec la création de la Free Software Foundation en 1985. C’est le premier mouvement à revendiquer un monde ouvert, avec des logiciels en open source.
Le monde scientifique a suivi avec la notion de Science Commons (Communautés scientifiques) qui va aboutir aux licences qui nous occupent ici, en 2002.
La naïveté de ces premiers temps consistait à croire que tout un chacun respecterait les règles énoncées dans les diverses licences Creative Commons. Ce fut sans doute le cas tant que la production web était l’apanage des « sachants » (chercheurs, universitaires, auteurs conscients des droits qu’ils abandonnaient).
Le web participatif et les plateformes sociales
Mais à partir de 2003, le concept de Web 2.0 — ou participatif — est venu rebattre les cartes. Cette deuxième révolution du web a permis à tout internaute de produire du contenu, avec l’émergence des blogs et des plateformes de partage, puis enfin des réseaux et médias sociaux.
Lire aussi : La gestion des droits d'auteur des salariés
Cette liberté avait un coût (l’internaute-citoyen n’ayant généralement aucune idée du respect de la propriété intellectuelle) avec d’autant plus de quiétude que des médias ignorants ont colporté l’idée absurde selon laquelle il y aurait un vide juridique sur internet, avalisant tous les abus possibles.
Le décor était planté pour en venir aux dérives des licences Creative Commons que l’on connaît aujourd’hui.
Les failles des licences Creative Commons
L’inconvénient du système des licences Creative Commons, c’est que c’est l’auteur lui-même qui est censé déclarer son œuvre — son site web, son blog — sous l’une des licences. Or, la plupart des auteurs — et même scientifiques ou professionnels — ne connaissent pas le droit d’auteur ou le copyright dont ils n’ont au mieux qu’une vague idée.
Sur internet donc, nombreuses sont les œuvres qui sont déclarées sous licence CC alors que ces œuvres portent d’autres droits (notamment droit à l’image des personnes physiques pour les photos ou vidéos) ou encore ne devraient pas être publiées du tout puisque ceux qui les publient ne sont ni auteurs ni cessionnaires de droits pour publier.
Détaillons ces quelques dangers.
Partie 1 - Danger n° 1 : des droits extérieurs entravent l’exploitation de l’œuvre sous CC
Les cas de figure :
Le premier cas fréquent se rencontre en matière d’images. De nombreux internautes, auteurs de leurs photos, les postent sur le net [sur Flickr, sur leur blog ou sur leurs comptes sociaux] sans prendre la peine d’avertir que s’ils autorisent la libre exploitation de ces photos c’est uniquement en tant qu’auteurs. Mais d’autres droits peuvent exister sur ces images :
- Droit à l’image des personnes physiques — nid à contentieux depuis des décennies ;
- Droit à l’image des propriétaires de biens visibles sur les images — contentieux rare depuis que la jurisprudence a limité ce droit, mais pas inexistant ;
- Droit d’auteur des créateurs des objets visibles sur les images [designers, peintres, sculpteurs…] — contentieux là aussi plus rare, mais encore fréquent.
Lire aussi : Droit d’auteur : Le Musée des Offices porte plainte contre la maison de couture Jean-Paul Gaultier
Recommandation :
Il importe de s’assurer — par une analyse des images — que des droits externes ne jouent pas sur l’image qu’on prévoit d’utiliser.
Partie 2 - Danger n° 2 : des œuvres publiées sous licence CC par des non-auteurs
Cas fréquents
Les cas les plus fréquents se rencontrent en matière d’image. Nombreux sont les comptes et médias sociaux (Facebook, LinkedIn, Twitter, Flickr) où leurs titulaires publient des images sur lesquelles ils n’ont pas les droits d’auteur. On le rencontre évidemment sur les comptes de particuliers, mais aussi sur ceux d’acteurs économiques plus importants, notamment associations, ONG ou entreprises.
Un danger bien réel
Tout récemment, une ONG a publié sur son compte Flickr des photos sous la 7e licence CC « Domaine public » dont le copyright est détenu par l’Associated Press (AP).
Un site associatif français ayant repris de bonne foi une de ces images, l’AP a fait intervenir son organisme de recouvrement de droits d’auteur européen, PicRights, pour contraindre cette association à payer des droits d’usage assez élevés, surtout pour une association, alors même que la photo avait aussitôt été retirée.
En d’autres termes, nombreux sont les internautes qui déclarent leurs publications sous licence Creative Commons, épris d’un désir de partage libre et gratuit, mais en piétinant les règles de la propriété intellectuelle.
Recommandation
Il faut s’abstenir de reprendre pour une réutilisation publique des photos trouvées sur internet, même sous licence CC. Dans l’écrasante majorité des cas, ce n’est pas fiable. Prudence en matière d’autres contenus sur le web.
Lire aussi : Droit à la copie : rémunération des auteurs et CFC
Partie 3 - La crédibilité des licences CC mise à mal
Nous l’avons signalé, l’inconvénient du système est qu’il est purement déclaratif, sans aucune sécurité. Mais le système a, semble-t-il, échappé à ses concepteurs, dont les intentions étaient bonnes.
La faille essentielle : une déclaration en principe réservée aux titulaires de droits
La validité du système repose sur l’idée que ce sont uniquement les auteurs qui déclarent leurs œuvres sous la licence CC de leur choix. Mais comme les internautes ne sont pas des juristes spécialisés en droit d’auteur ou en copyright, chacun peut décider de partager sous licence CC une œuvre qui ne lui appartient pas.
Les autres failles
Tout comme en droit d’auteur ou en copyright, on retrouve les difficultés d’exploitation paisible des œuvres des auteurs.
- Le respect des clauses des licences
Chacune des 6 licences CC édicte quelques règles de base (respect du nom de l’auteur dans tous les cas ; interdiction de modifier l’œuvre ou, selon les licences, possibilité de les modifier, de les adapter ; interdiction ou autorisation de commercialiser l’œuvre dans ses nouvelles utilisations, selon les licences).
Or, l’expérience montre tous les jours que ces règles ne sont pas forcément respectées. La justice est même parfois saisie.
- Le respect des autres droits en jeu
Comme signalé plus haut, même un auteur peut partager son œuvre sous licence CC sans avoir conscience que d’autres droits sont en jeu. Le cas flagrant est celui des photos sur lesquelles peuvent exister des droits externes tels que le droit à l’image des personnes, le droit au respect de la vie privée, les droits d’auteur des créateurs d’objets visibles sur les images…
Lire aussi : Veille sur les réseaux sociaux et droits d’auteur
Mais ce peut aussi être le cas d’œuvres textuelles qui intégreraient des œuvres d’autres auteurs (œuvre dite « composite ») supposant l’accord des auteurs des créations ainsi intégrées, pourtant non négocié.
- L’écueil des sites sous licence CC
Certains sites (comme les-infostrateges.com) sont déclarés sous licence CC. Cela suppose que l’ensemble des auteurs des œuvres présentes sur le site aient donné leur accord pour être publiés sous ce type de licence. Or il arrive souvent que cet accord ne soit pas donné.
A retenir
Si les licences Creative Commons ont été conçues dans un esprit de partage des connaissances, à l’initiative des auteurs qui privilégient ce partage à leur droit de propriété, le système semble bien s’être dévoyé puisqu’il est utilisé en dépit du bon sens par des acteurs sur le net qui ne détiennent pas les droits — ou pas tous les droits — sur les œuvres qu’ils décident arbitrairement de déclarer sous licence CC.
Ces premiers regards sur les failles juridiques du système sont loin d’épuiser le sujet. Ils ont pour but d’inviter les candidats à la réutilisation d’œuvres sous licence CC à la plus grande circonspection.