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Vivre à l'heure de l'identification biométrique

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    « il ne s’agit pas de revenir sur des évolutions qui sont, pour certaines, nécessaires, mais de bien mesurer où l’on veut aller, sous quelles conditions et à quel prix » (Pixabay/Melmak)
  • L'identification biométrique gagne chaque jour du terrain sur nos smartphones, sur nos ordinateurs, mais aussi sur nos documents d'identité. Le meilleur des mondes ?

    Oubliez les mots de passe du type j51-Tn6PqR**h ou bien 41iTyZwXµn123... Dans quelques mois, nous n'aurons plus à mémoriser ces improbables combinaisons alpha-numériques pour accéder à nos ordinateurs. La prochaine version de Windows (Windows 10) proposera en effet un système d'authentification biométrique en guise d'alternative au mot de passe. Nous pourrons alors utiliser nos doigts, nos yeux ou notre voix comme identifiants uniques et sécurisés. Prévu pour le mois de septembre 2015, Windows 10 utilisera le standard Fast Identity Online (Fido) déjà adopté par Paypal et Google.

    Sans attendre l'automne, les plus pressés pourront se doter du smartphone ZTE Grand S3, présenté le mois dernier au Mobile World Congress de Barcelone. Sa particularité : il est équipé d'un scanner rétinien qui autorise (ou pas) le paiement en ligne. Grâce à la technologie Eyeprint ID, le mobinaute pourra effectuer des achats sans devoir passer par les étapes classiques d'identification. Le progrès a un prix : 425 euros.

    4,8 millions d'individus dans le fichier des empreintes digitales

    Le monde informatique n'est pas le seul à recourir à l'identification biométrique. Celle-ci s'invite également au coeur de nos documents d'identité. Depuis 2009, les passeports français sont dits "passeports biométriques". Une puce électronique stocke la photographie numérisée du détenteur ainsi que ses empreintes digitales. "Depuis une quinzaine d'années, nous assistons à un essor de l'identification biométrique dans le secteur public à des fins de sécurité, mais aussi dans la gestion des cantines scolaires par exemple", constate Pierre Piazza, maître de conférences en science politique à l’université de Cergy-Pontoise et co-auteur de deux ouvrages consacrés à l'histoire de la biométrie (1).

    En France, les deux premier grands fichiers numériques furent le FAED et le FNAEG. Le premier (fichier automatisé des empreintes digitales) fut lancé en 1987 et ne devint opérationnel qu'en 1994. Au mois de février 2014, le FAED regroupait des données biométriques concernant environ 4,8 millions d'individus. Quant au FNAEG (fichier national automatisé des empreintes digitales), créé en 1998, il rassemble les empreintes génétiques utiles à la résolution d'enquêtes visant les criminels et les délinquants. En 2013, près de 2,5 millions de personnes figuraient dans ce fichier. "Ces deux fichiers connaissent une montée en puissance, mais leur exploitation numérique suscite de nombreuses questions : quelle est la durée de conservation des données ? Quel croisement des données ? Quid de la présomption d'innocence, du droit à la vie privée et du droit à l'oubli ?", s'interroge Pierre Piazza. "Nos sociétés s'engagent de plus en plus dans ce type de société..."

    De fait, l'essor de l'identification biométrique dépasse largement le cadre français. Depuis 2003, l'Union européenne dispose d'une base de données dotée d'un système...

    automatisé de reconnaissance d'empreintes digitales. Eurodac est "un système de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile et de plusieurs catégories d'immigrants clandestins", précise-t-on à Bruxelles. Outre les empreintes digitales, Eurodac héberge une série de données relevées sur toute personne de plus de 14 ans : sexe, lieu et date de la demande d'asile, lieu et date où l'intéressé a été appréhendé... Ces données concernant les demandeurs d'asile sont conservées dix ans ; mais elles seront immédiatement effacées si le demandeur obtient la citoyenneté de l'un des pays de l'UE.

    Encore plus puissant, le système européen d'identification des visas (SIV) pourrait devenir "la plus grande base de données biométriques du monde avec 70 millions de jeux d'empreintes digitales", estime l'association EU Observer. Le fichier SIV héberge les informations biométriques (empreintes digitales, numérisation de l'image faciale...) de tous les postulants à un visa de court séjour dans l'espace Schengen. Né à l'initiative du Conseil de l'Union européenne en septembre 2001, quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, le SIV est entré en vigueur dix ans plus tard, au mois d'octobre 2011.

    Suspension du projet INES

    Mais parfois les projets de fichiers de données biométriques ne vont pas à leur terme. En 2005, le ministère de l'Intérieur annonçait un projet de carte nationale d'identité baptisé INES (identité nationale électronique sécurisée) afin de lutter contre la fraude documentaire. Mais face aux critiques et aux protestations, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, a préféré le suspendre : " Si des dispositions européennes nous obligent à mettre rapidement en œuvre un passeport biométrique, il n’en va pas de même pour la carte d’identité électronique. Je ne veux donc pas qu’on s’y engage sans avoir pris le temps nécessaire pour réfléchir à toutes ses conséquences. Il ne s’agit pas de revenir sur des évolutions qui sont, pour certaines, nécessaires, mais de bien mesurer où l’on veut aller, sous quelles conditions et à quel prix". 

    A ce jour, en France, la carte nationale d'identité n'a donc pas rejoint le passeport au rayon des documents biométriques.

    De son côté, la Cnil ne reste pas inactive. La Commission nationale de l'informatique et des libertés garde un oeil attentif sur les nouveaux usages de la biométrie. Elle a cependant autorisé, en 2011, une entreprise à mettre en oeuvre un dispositif de reconnaissance de frappe au clavier... dans le cadre de démonstrations auprès de clients potentiels.

    Biométrie des fesses !

    L'identification biométrique trouve pourtant des partisans. L'avocat spécialisé dans les technologies numériques Alain Bensoussan estime "qu'il faut libérer l'usage de la biométrie de confort dès lors qu'elle a une visée sécuritaire et permet, par exemple, de lutter contre les fraudes. Toute utilisation de traces biométriques (contour de la main, reconnaissance vocale, réseau veineux du doigt, iris, etc.), sous réserve d'être sous le contrôle total de la personne concernée, devrait être possible".

    Quant aux géants du numérique, ils poursuivent leurs recherches. Au Japon, des ingénieurs travailleraient à la biométrie des fesses pour autoriser ou non le démarrage de la voiture ! Mais, paradoxalement, d'autres start up veulent, au contraire, déjouer les dispositifs de reconnaissance biométrique. L'éditeur AVG vient de présenter un prototype de lunettes équipées de Led infrarouges capables de saturer les logiciels de reconnaissance faciale. La lumière émise brouille les capteurs et permet à la personne de rester - en principe - anonyme. Autant le dire, ces lunettes ne sont pas très élégantes, mais c'est probablement le prix à payer pour échapper à Big Brother.         

    (1) Du papier à la biométrie. Identifier les individus. Pierre Piazza et Xavier Crettiez. Les Presses de Science Po, 2006. L'identification biométrique. Champs, acteurs, enjeux et controverses. Pierre Piazza et Ayse Ceyhan.​ Editions de la Maison des sciences de l'homme, 2011.


    +repères
    Une exposition consacrée à la biométrie

    Le Musée de Vire (Calvados) propose du 29 avril au 1er novembre 2015 une exposition consacrée aux origines de la biométrie et de la police scientifique. Des archives exceptionnelles d'Alphonse Bertillon (1853-1914) rassemblées par le chercheur Pierre Piazza seront exposées, notamment un registre sur les stigmates des mains d'ouvrier réalisé à l'occasion de l'exposition universelle de 1889.

    Considéré comme le fondateur de l'anthropométrie judiciaire, Bertillon eut une influence majeure dans le monde au point que son patronyme a donné naissance à un système d'identification (le bertillonnage ou le système Bertillon) qui se répandit rapidement à travers le monde entier. Alphone Bertillon fut également le créateur du tableau des nuances de l'iris humain après avoir remarqué que l'iris de chaque être humain est unique et peut permettre une identification sans risque d'erreur. 

     

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    Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.
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