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Zoom sur la "Déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique"

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    Entre protection des libertés individuelles, inclusivité numérique et durabilité, l’Union européenne trace une feuille de route ambitieuse pour encadrer la transformation numérique et affirmer son rôle sur la scène internationale (Freepik).
  • En janvier 2023, a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne (UE) la "Déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique". Ce texte politique résume la stratégie européenne numérique et contient des références à la souveraineté numérique et au respect des droits fondamentaux.

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    Règlements sur les services numériques, sur les marchés numériques, sur l’intelligence artificielle, sur la gouvernance des données … Les textes européens en droit du numérique se multiplient et s’apparentent à un millefeuille législatif difficilement lisible et cohérent.

    C’est la raison pour laquelle la déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique a été présentée en janvier 2022 afin d’indiquer "l’orientation de l’Union sur la voie de la transformation numérique" (cf. Commission européenne, Droits et principes numériques européens, texte de présentation de la rubrique "Bâtir l’avenir numérique de l’Europe"). 

    Lire aussi : Ces règlements qui transforment le paysage numérique européen

    Un texte s’appuyant sur le droit européen primaire et dérivé

    La déclaration répond à plusieurs appels du Parlement européen notamment pour garantir la conformité de la stratégie de l’UE en matière de transformation numérique avec les droits fondamentaux et s’inspire d’initiatives antérieures telles que la "Déclaration de Tallinn sur l’administration en ligne" et la "Déclaration de Berlin sur la société numérique et l’administration numérique basée sur des valeurs".

    Elle repose sur le droit primaire de l’UE, en particulier la charte des droits fondamentaux, ainsi que sur le droit dérivé dans la mesure où les droits et principes numériques qu’elle contient sont également ancrés dans les législations et les politiques de l’UE. La déclaration a été signée par les présidents de la Commission, du Parlement et du Conseil, ce qui révèle un niveau élevé d’engagement politique (cf. Déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique, 23 janv. 2023 : JOUE C 23/1). 

    Lire aussi : Des parlementaires réclament "une véritable politique nationale de l'intelligence artificielle"

    L’ambition du texte

    La déclaration rappelle que la stratégie numérique de l’UE consiste à "placer les personnes au centre de la transformation numérique". Il s’agit d’une vision techno-optimiste censée profiter à toutes les personnes vivant dans l’UE et à améliorer leurs vies.

    Ce texte affirme également "la nécessité d’accroître le contrôle démocratique de la société et de l’économie numériques" (B. BERTRAND, "L’émergence d’une politique européenne", in B. BERTRAND (dir.), La politique européenne du numérique, Bruylant, 2023 p. 38).

    La déclaration comprend des engagements pour l’UE et les États membres qui s'articulent autour de six thèmes :

    • Placer les personnes et leurs droits au cœur de la transformation numérique ;
    • Soutenir la solidarité et l’inclusion ; garantir la liberté de choix en ligne ;
    • Favoriser la participation à l'espace public numérique ;
    • Accroître la sûreté, la sécurité et l'autonomisation des individus (en particulier des jeunes) ;
    • Promouvoir la durabilité de l'avenir numérique. 

    Lire aussi : Quelle souveraineté à l'ère numérique ?

    Portée et suivi du texte

    La déclaration a une portée politique et est donc un texte non juridiquement contraignant. Elle peut donc s’avérer décevante, car il est clairement indiqué que les principes qu’elle définit ne correspondent pas tous à des droits directement applicables.

    Le texte s’inscrit néanmoins dans la lignée de réflexions constitutionnalistes sur les droits et libertés numériques présentées comme étant des droits et libertés fondamentaux de quatrième génération relatifs à l’avancement des sciences et des techniques (V. not. : R. FASSI-FIHRI, "Les droits et libertés du numérique : des droits fondamentaux en voie d’élaboration – Étude comparée en droits français et américain", LGDJ, coll. Thèses, t. 165, 2022 ; P. Türk, "Les droits et libertés numériques : une nouvelle génération de droits fondamentaux", LGDJ, coll. Droit et Société, 2023 ; G. TUSSEAU, "Taking Chaos Seriously: from Analog to Digital Constitutionalism", Research Paper Science Po, 2023) .

    Un suivi du texte est prévu et le premier rapport sur les progrès accomplis dans la promotion et la mise en œuvre de la déclaration est d’ores et déjà disponible (Commission européenne, "Monitoring of the European Declaration on Digital Rights and Principles", Support Study, 2024). Sur le plan international, elle est conçue comme un instrument d’orientation pour l’action diplomatique de l’UE qui se place en tant que "troisième voie" face aux politiques publiques américaines et asiatiques.

    La déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique contient des engagements qui tendent tant à la préservation d’intérêts privés (1) que généraux (2). 

    1. Les "droits et principes numériques" préservant les intérêts privés 

    • Liberté de choix : estimant que chacun devrait pouvoir faire ses propres choix en ligne en toute connaissance de cause, l’UE et les États membres s’engagent notamment à promouvoir des systèmes d’intelligence artificielle centrés sur l’humain, fiables et éthiques, qui sont utilisés de manière transparente et conformément aux valeurs de l’UE. La liberté de choix comprend également la liberté de choisir les services numériques sur la base d'informations objectives, transparentes et fiables. 
    • Sûreté, sécurité et autonomisation : l'UE et les États membres s'engagent à protéger les intérêts des personnes, des entreprises et des services publics contre la cybercriminalité. La déclaration promeut un contrôle effectif sur ses données à caractère personnel et non personnel. Elle contient des engagements visant à promouvoir des expériences positives pour les enfants et les jeunes dans un environnement numérique adapté à leur âge et sûr, et à les protéger contre les contenus préjudiciables et illicites, la manipulation et les abus en ligne. 
    • Connectivité et conditions de travail : il est indiqué que chaque personne devrait avoir accès à une connectivité numérique abordable et à haut débit et avoir des conditions de travail justes et équitables, ce qui implique un droit à la déconnexion du travail. 

    2. Les "droits et principes numériques" préservant les intérêts publics 

    • Éducation numérique et services publics en ligne : la déclaration contient des engagements visant à accroître la formation et l’éducation numériques, ce qui est d’ailleurs l’un des objectifs de la récente loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique. Elle insiste sur la fourniture d’une identité numérique donnant accès à des services publics en ligne.
    • Participation à l'espace public numérique : la déclaration souligne la nécessité de créer un environnement numérique luttant contre la désinformation, et d’autres formes de contenus préjudiciables, dont le cyberharcèlement. Le rôle des très grandes plateformes dans ce contexte est reconnu et elles doivent atténuer les risques découlant du fonctionnement et de l’utilisation de leurs services. Un engagement est prévu concernant l’accès à des contenus numériques reflétant la diversité culturelle et linguistique dans l’UE. 
    • Durabilité : considérant que les transitions numérique et écologique sont étroitement liées, la déclaration prévoit que les produits et services numériques devraient être conçus, produits et éliminés durablement. L’UE et les États membres s’engagent à soutenir les technologies numériques dont les effets environnementaux et sociaux négatifs sont minimes voire ayant une incidence positive. Ils s’engagent à promouvoir des normes et des labels de durabilité pour les produits et services numériques à destination des consommateurs. Mais, selon le rapport de suivi de 2024 sur la déclaration, les États membres ont été moins actifs concernant ces engagements.

    Un texte synthétique, mais incomplet ?

    La déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique permet d’expliquer les intentions politiques communes de l’UE. Elle aurait pu consacrer des droits réellement applicables et des principes comme l’autodétermination informationnelle et cognitive, l’accès à des services de santé numériques ou encore la promotion des communs numériques (M. LE ROY, "La déclaration sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique : un texte en trompe-l'œil", LPA n° 9, sept. 2023, p. 16.).

    L'autrice, Marylou le Roy, est "Junior Fellow" à l’Université de Nice Côte d’Azur.

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