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Cet article est issu du dossier "Les archivistes passeurs de culture" du numéro d'octobre 2019 d'Archimag. Voici le sommaire du dossier :
- Archives et culture : quand les archivistes contribuent à la création d'oeuvres et d'événements
- Jessica de Bideran : "les archivistes ne sont pas suffisamment formés à la médiation"
- Institut national du patrimoine : la médiation par l'éducation artistique et culturelle
- Comment les archivistes des Archives de Paris valorisent le patrimoine auprès du public
- Être archiviste pour la télévision : dans les coulisses de l'émission Rembob'Ina
- Maxime Courban, archiviste iconographe au croisement de plusieurs métiers
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Le numérique a multiplié les possibles en terme de valorisation d’archives. Quels en sont les enjeux, selon vous ?
Ma vision est celle d’une chercheure qui gère plusieurs programmes de recherche-action où il est toujours question de numérisation des patrimoines. Je m’intéresse ainsi à la façon dont la numérisation participe à la création de nouveaux liens avec de nouveaux publics.
Je m’interroge notamment sur la mise à disposition et la diffusion du patrimoine documentaire numérisé : comment va-t-il circuler, comment sera-t-il reçu par les publics, comment sera-t-il ensuite transformé et quels types de dispositifs construire autour de lui, etc.
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Je me suis plus particulièrement intéressée ces derniers mois à Wikipédia, symbole, s’il en est, de cette culture numérique… Il est intéressant d’y observer le changement du lien entre les publics et les professionnels que sont les archivistes et les bibliothécaires. Les compétences ne sont plus descendantes (émanant du « sachant ») comme c’était traditionnellement le cas : par exemple, les wikipédiens vont transmettre leurs compétences sur Wikipédia aux professionnels des bibliothèques ou des archives. Cela donne lieu à une hybridation des compétences et donc à un changement de paradigme ainsi qu’à l’émergence de nouveaux profils.
L’autre changement que cela induit, c’est que l’on ne numérise plus pour diffuser de façon massive ou selon la politique documentaire de l’établissement. C’est désormais l’établissement qui va vérifier les attendus des internautes et les devancer en proposant des éléments de son fonds. Le service ne répond alors plus seulement à une demande, mais devient acteur : il fait la proposition.
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Selon vous, l’archiviste est-il le meilleur des professionnels pour la médiation ?
Loin de moi l’idée de juger la formation des archivistes ! Ils sont très bien formés pour indexer, décrire, conserver et communiquer des documents. Mais ce qui remonte souvent de la part des professionnels que je rencontre, c’est qu’ils ne sont pas suffisamment formés à la médiation.
S’ils ont une excellente connaissance des documents et objets qu’ils conservent, ils méconnaissent parfois les personnes à qui sont destinées ces documents et ne maîtrisent pas toujours les nouvelles postures et techniques numériques pour s’adresser aux publics.
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Pour en revenir à Wikipédia, par exemple, il est parfois difficile pour une institution (et plus précisément pour son agent bibliothécaire ou archiviste) d’accepter d’y perdre sa figure d’autorité. Sur l’encyclopédie en ligne, un service d’archives ou une bibliothèque n’a pas plus de légitimité qu’un wikipédien qui en connaîtra parfaitement le fonctionnement et les critères.
Il y a donc un vrai manque pour les professionnels : comment pourrait-on les accompagner dans la créativité, l’écriture d’articles et l’éditorialisation des documents sur des plateformes et réseaux numériques tiers où se trouvent aujourd’hui les internautes ?
En d’autres termes, comment faire pour qu’ils deviennent de bons médiateurs ?
Il n’y a pas de recette idéale pour la médiation. C’est une forme de communication qui, pour reprendre les propos de Patrick Fraysse (PU en SIC à l’université de Toulouse Paul Sabatier), doit partir du simple pour amener de la complexité. Il faut apprendre à s’adresser au public, partir de ce qui lui parle pour l’amener progressivement vers la complexité du document qu’on lui soumet.
À mon sens, là où les bibliothécaires et les archivistes ont une carte à jouer, c’est sur le côté « arrière boutique » : dévoiler ce que veut dire conserver un document, communiquer sur ce qu’est un magasin ou sur la différence entre un document d’archives et un document numérique…
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Mais finalement, tout dépend du projet que l’on veut mettre en place. Et ce qui fonctionnera à coup sûr, c’est le collaboratif. J’enfonce sans doute une porte ouverte, mais aller chercher ailleurs les compétences de médiation, de valorisation numérique, de mise en récit, et travailler à plusieurs est généralement gage de succès.