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Cet article est issu du dossier "Les archivistes passeurs de culture" du numéro d'octobre 2019 d'Archimag. Voici le sommaire du dossier :
- Archives et culture : quand les archivistes contribuent à la création d'oeuvres et d'événements
- Jessica de Bideran : "les archivistes ne sont pas suffisamment formés à la médiation"
- Institut national du patrimoine : la médiation par l'éducation artistique et culturelle
- Comment les archivistes des Archives de Paris valorisent le patrimoine auprès du public
- Être archiviste pour la télévision : dans les coulisses de l'émission Rembob'Ina
- Maxime Courban, archiviste iconographe au croisement de plusieurs métiers
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Au mois de mai 2018, soit un demi-siècle après les manifestations de Mai 68, les Archives nationales proposaient une passionnante exposition intitulée « 68, les archives du pouvoir ».
Au même moment, était publié un ouvrage sur le même thème constitué de nombreux documents inédits : télégrammes, fiches de surveillance des étudiants et des ouvriers, rapports de police, manuscrits du général de Gaulle et de George Pompidou, notes internes des ministères…
Au cœur de ces deux manifestations : les archivistes qui ont fourni le patrimoine documentaire nécessaire à l’exposition et à la publication de l’ouvrage.
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Archivistes et action culturelle
En quelques années, la contribution des archivistes à l’action culturelle n’a cessé de croître : organisation de conférences, expositions, émissions de télévision et de radio, événements artistiques, missions éducatives… Les archivistes sont désormais sur tous les fronts.
À commencer par les Archives nationales où le département de l’action culturelle et éducative compte pas moins de quarante-cinq agents.
« Son origine remonte au Second Empire avec la création de l’actuel Musée des Archives nationales à l’Hôtel de Soubise », explique Pierre Fournié, responsable de ce département ; « aujourd’hui, nos missions se sont élargies avec l’organisation d’expositions, des actions en direction du public scolaire et de nombreux liens avec les milieux artistiques ».
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12 000 scolaires par an aux Archives nationales
Le service éducatif des Archives nationales propose au public scolaire - de la maternelle à l’université ! - une découverte des différentes périodes historiques au moyen de visites, d’ateliers et de ressources documentaires.
Chaque année, environ 12 000 scolaires sont accueillis sur les sites de l’Hôtel de Soubise (à Paris) et de Pierrefitte-sur-Seine. Ils sont par exemple initiés à la calligraphie, à la fabrication d’un sceau ou à l’éducation à l’image.
Plusieurs professeurs sont détachés auprès des Archives nationales pour animer ces ateliers qui doivent être en lien avec le programme scolaire.
Les zones de sécurité prioritaires (ZSP) sont également au centre de l’action éducative avec des rencontres autour de la citoyenneté : qu’est-ce que la République ? Que signifie la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?
Cette attention portée aux publics scolaires est ancienne. C’est à Charles Braibant - directeur des Archives de France de 1948 à 1959 - que l’on doit la création d’un service éducatif. Cette offre pédagogique compte aujourd’hui une quarantaine d’activités pour différents niveaux et disciplines.
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Quand les artistes s’intéressent aux mémoires
Peu connues, les actions des Archives nationales en direction des milieux artistiques se sont multipliées depuis plusieurs années. Plasticiens, vidéastes, photographes et musiciens investissent régulièrement l’Hôtel de Soubise et le site de Pierrefitte-sur-Seine.
« Seule condition : leur œuvre doit entrer en résonance soit avec les lieux, soit avec le matériau des archives », explique Pierre Fournié ; « aujourd’hui beaucoup d’artistes s’intéressent aux mémoires et aux traces écrites, qu’elles soient individuelles ou collectives. Il arrive également que nous passions commande auprès d’artistes plasticiens autour d’une exposition ».
Pour les Archives nationales, ces actions permettent de « sortir de l’aspect exclusivement commémoratif de l’institution ».
Et Pierre Fournié réfléchit déjà à demain :
« Donner à voir des nuages d’items d’archives (documents, photographies, sceaux…) via des commandes vocales qui permettraient de les ordonner, les classer ou les éliminer… »
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Une diversification des actions de valorisation
À l’échelle municipale, les archivistes sont aussi de la partie. La profession est de plus en plus souvent impliquée dans des créations culturelles qui dépassent ses missions traditionnelles.
C’est notamment le cas à Aubervilliers (Seine Saint-Denis) :
« Nos actions de valorisation se sont largement diversifiées », constate Elodie Belkorchia, responsable de la valorisation du patrimoine au sein des Archives municipales ; « en quelques années, nos activités de médiation ont pris une place de plus en plus importante à côté de notre mission de conservation ».
Outre les habituels ateliers de pédagogie en direction du public scolaire, les Archives municipales ont massivement investi les pratiques artistiques locales. Depuis 2011, elles collaborent avec un collectif baptisé « Les souffleurs commandos poétiques ». Ces commandos pacifiques se déplacent dans les rues de la ville et chuchotent à l’oreille des passants des extraits de poésie et de textes philosophiques ou littéraires !
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Les archivistes sont amenés à travailler avec ces souffleurs poétiques dans le cadre d’un projet collaboratif : constituer un « Trésor poétique municipal mondial » grâce à la collecte des paroles des habitants, qu’elles soient exprimées en français ou dans l’une des dizaines de langues recensées sur le territoire communal.
Un projet qui prend tout son sens sur un territoire multiculturel dont les habitants parlent plus de cent langues.
Ces paroles poétiques sont recueillies, manuscrites, traduites en français, enregistrées, référencées et conservées dans un fonds spécifique créé aux Archives municipales. En 2017, ce Trésor réunissait 790 textes dans 93 langues différentes. La traduction est assurée par des volontaires.
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Créer de l’interaction entre les archivistes et les usagers
« Le territoire municipal compte de nombreux acteurs culturels et la ville a fait le pari de l’intelligence collective pour créer et traduire ces paroles », souligne Elodie Belkorchia ; « toutes ces actions donnent de la visibilité aux archivistes et au travail qu’ils effectuent quotidiennement sur les collections. À cela s’ajoute un effet plus surprenant : plus notre médiation gagne en visibilité, plus des personnes privées ou des associations souhaitent nous verser leurs fonds privés ! Ces corpus documentaires sont intéressants, car ils constituent un contrepoint de la société civile aux archives produites par l’administration ».
Pour Elodie Belkochia, la médiation culturelle n’a cependant pas encore la place qu’elle mérite dans les formations initiales :
« Aujourd’hui, seules quelques heures sont dédiées à la médiation et on ne prend pas toujours la mesure de l’importance de former les archivistes à ces activités ». Également chargée de cours de valorisation des fonds audiovisuels et numériques en master 1 à l’Ina, et copilote du groupe de travail médiation archives au sein de l’Association des archivistes français, elle milite pour une meilleure appropriation des outils numériques afin de créer des interactions entre les archivistes et les usagers.
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« Nous devons nous inspirer de ce que font les musées en termes d’expositions virtuelles. Nos outils pourraient aller plus loin dans la relation avec les usagers. Les archivistes doivent être prescripteurs sur ces questions… »