Le patrimoine syrien a payé un lourd tribut à la guerre qui ensanglante le pays depuis sept années. Son patrimoine a été dévasté notamment à Palmyre et dans la vieille ville d’Alep. Sur place, des équipes françaises réalisent des relevés de très haute précision en 3D pour documenter les futurs chantiers de réparation.
Depuis le mois de mars 2011, la guerre en Syrie a provoqué la mort ou la disparition de 465 000 personnes. Ce chiffre de l’Observatoire syrien des droits de l’homme pourrait même être revu à la hausse, car les statistiques remontent au mois de mars 2017.
Une autre tragédie frappe le petit pays du Levant : son patrimoine a été dévasté par sept années de bombardements quasi ininterrompus. La cité antique de Palmyre a été détruite en grande partie, la vieille ville d’Alep a également été fortement ravagée, sans oublier les églises, les mosquées, les citadelles et les palais disparus à tout jamais ou gravement détériorés.
« La ville d’Alep a été endommagée à 60 % notamment la partie historique qui abritait la citadelle et le souk », explique Bruno Deslandes, architecte consultant auprès de l’Unesco et responsable de développement international au sein de la société Art graphique et Patrimoine. À la tête d’une équipe qui rassemble des archéologues, des ingénieurs et des topographes, il a dirigé une campagne de relevés de très haute précision par scanner laser 3D des sites patrimoniaux en péril. Objectif : créer une documentation extrêmement précise des sites endommagés et établir un diagnostic pour de futurs travaux de restauration. Les données collectées pourront également servir à réaliser des actions de médiation culturelle (films documentaires, applications de réalité virtuelle, etc.).
Mission en terrain hostile
Après des missions similaires menées à Riga (Lettonie), au Proche-Orient et en Asie, Bruno Deslandes et ses coéquipiers ont dû cette fois travailler en terrain hostile : « Nous étions régulièrement menacés par des bombardements et, plus d’une fois, nous avons dû interrompre nos relevés pour nous mettre à l’abri. Certains terrains sont minés, mais nous avons été les premiers physiquement sur le terrain à réaliser des relevés ».
Sur place, l’équipe d’Art graphique et patrimoine a pu compter sur un relais influent : Maamoun Abdulkarim. Cet ancien directeur général des Antiquités et des Musées, francophone et francophile, se dit ravi de voir des Français au chevet du patrimoine local : « Quand je pense à la France, je ne pense pas à la politique, mais au peuple, à la culture, à la francophonie, aux idées que nous avons partagées pendant longtemps. Les fondateurs de l’archéologie syrienne, ce sont les Français. Ils ont fondé le musée national en Syrie. Les grands maîtres sont français. Des archéologues me contactent tout le temps, ils me soutiennent » (L’Union, 15 janvier 2017).
Forts de ce soutien et de celui de l’Unesco, les opérateurs mènent sur place des opérations rythmées par les heures d’ensoleillement. Les premiers relevés sont réalisés au lever du soleil vers 6 heures du matin et s’achèvent au coucher du soleil à 18 heures. Les scanners fixés sur des trépieds sont déplacés pour faire de nouveaux relevés. En fin de journée, les opérateurs procèdent au « dépouillement » des données collectées. Ces dernières sont stockées, vérifiées et assemblées.
Ce rythme n’est pas facile à soutenir : « Les équipes reviennent épuisées, d’autant plus qu’elles travaillent au milieu des gravats et des menaces de bombardement. Nous devons trouver des sources d’électricité pour alimenter nos scanners et nos ordinateurs alors que la zone est régulièrement soumise à des coupures. Mais, étonnamment, nous ne rencontrons aucune difficulté pour faire venir des opérateurs sur place ! », se réjouit Bruno Deslandes.
Des centaines de milliards de données
Un site a fait l’objet d’une attention particulière : la maison Ghazaleh (en arabe : بيت غزالة, beit Ghazaleh) une splendide demeure construite à l’époque ottomane. Devenue école, elle devait être reconfigurée en musée en 2012. Malheureusement, le bâtiment a été gravement endommagé par des bombardements au cours de l’été 2014. Outre les destructions du bâti, des éléments décoratifs ont également été pillés par des milices.
Quelques mois après les bombardements, les équipes d’Art graphique et patrimoine sont intervenues sur le site afin de procéder à un relevé de très haute précision en 3D. Grâce à l’appui de l’Unesco, elles ont pu réaliser un inventaire du bâtiment et de ses destructions. « Il nous a fallu deux journées pour réaliser les relevés des murs extérieurs, des cloisons extérieures, de la toiture… », explique Bruno Deslandes ; « nos opérateurs ont procédé à 280 positions de scanners ce qui représente des centaines de milliards de données ! »
Et malgré les difficultés rencontrées sur un territoire en guerre, ces données doivent être exploitées : « Il y a seulement cinq ans, nous n’étions pas en mesure de dépouiller autant de données simultanément. Les outils informatiques d’aujourd’hui permettent de les transmettre depuis la Syrie vers la France afin qu’elles y soient traitées ».
Remise de copies
Art graphique et patrimoine n’est pas le seul opérateur à réaliser de tels relevés. Mais la société française se distingue sur un point : contrairement à ses concurrents, elle remet une copie de ces relevés au bureau de l’Unesco à Beyrouth et une autre à la direction générale des antiquités et des musées syrienne. Le tout sous des formats directement exploitables par le matériel informatique local.
Sur place, les opérateurs interviennent sur quelques-uns des lieux les plus emblématiques du patrimoine bâti syrien : quatre sites à Alep, le Temple de Bêl à Palmyre (détruit à l’explosif par l’État islamique en août 2015), la crypte de l’Église de la Ceinture de la Vierge à Homs (site historique du 1er siècle), le Krak des Chevaliers (un château fort de l’époque des croisades inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco).
Le chantier de reconstruction ne fait que commencer.
Restaurer Palmyre, un objectif improbable
Situé à 210 km au nord de Damas, le site historique de Palmyre a été le théâtre de lourds combats entre le régime syrien et l’État islamique. À partir du mois de mai 2015, ce dernier a pris le contrôle total de la cité antique et saccagé des temples, des mausolées, des arches, des tours…
Ces vestiges sont-ils perdus à tout jamais ? Probablement, selon les archéologues qui doivent se rendre à l’évidence. Les explosifs qui ont servi à la destruction ont réduit en poussière les pierres utilisées pour la construction des monuments il y a plus de 2 000 ans. Outre les difficultés à remettre sur pied un patrimoine dévasté, certains archéologues estiment qu’une reconstruction du site n’est guère envisageable : « On ne peut pas faire du neuf, cela n’a pas de sens à notre époque », explique Béatrice André-Salvini, directrice honoraire du département des Antiquités orientales du Louvre ; « il faudra, je crois, de toute façon, élever un mémorial aux martyrs et à leur histoire, avec les éclats de pierre inutilisables » (Le Monde, 11 septembre 2015).