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Patrimoine immatériel des entreprises : gérer la propriété industrielle

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    Marques, brevets, logiciels… Pour maîtriser son patrimoine immatériel, l’entreprise doit encadrer et protéger ses créations (Freepik).
  • Après nous être penchés sur les aspects de droits d’auteur dans le cadre des entreprises dans un précédent article Archimag, nous abordons les questions de propriété industrielle.

    archimag_382_hd_couv_20250228_page-0001_1.jpgenlightenedCET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°382 - Les éditeurs face à l’IA : comment vos outils se réinventent

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    1. Enjeu : détenir la propriété intellectuelle sur d’autres créations des salariés

    Même chose que pour les droits d’auteur : s’assurer de la détention des droits sur les diverses créations relevant de la propriété industrielle : marques, dessins et modèles, brevets, secrets de fabrique et des affaires. Sans oublier les logiciels.

    En propriété intellectuelle, c’est toujours la personne physique créatrice qui est le propriétaire de la création. Pour que l’entreprise soit cessionnaire, il faut aménager contractuellement la situation.

    Lire aussi : Patrimoine immatériel des entreprises : gérer les droits d’auteurs

    2. Un dépôt nécessaire

    Contrairement à une œuvre d’auteur, protégée dès sa création, la marque, le dessin et modèle ou le brevet doivent être légalement enregistrés auprès d’un organisme de dépôt : en France, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). Au niveau de l’Union européenne, le dépôt se fait auprès de l’EUIPO (European Union Intellectual Property Office), sauf pour les brevets qui sont gérés par l’Office européen des brevets (OEB). Il n’y a aucun dépôt pour les secrets de fabrique ou des affaires, compte tenu de leur nature.

    Un dépôt nécessite un certain doigté. Soit l’entreprise sait faire en interne, soit elle recourt à un conseil en propriété industrielle ou à un avocat spécialisé.

    Lire aussi : Droit d’auteur, intelligence artificielle et production documentaire

    3. Le droit des marques - accords avec le créateur salarié

    Une marque est un signe distinctif de toute nature qui permet de singulariser un produit ou un service proposé par une entreprise. Ce peut être un logo dessiné (marque graphique), un mot ou une expression (marque littérale) ou une expression enchâssée dans un graphisme (marque semi-graphique, comme le logo du TGV).

    La marque peut aussi protéger un slogan utilisé en publicité ("Je positive" de Carrefour, "Le bon sens près de chez vous", lointain slogan du Crédit Agricole). La marque est protégée pendant 10 ans, renouvelable indéfiniment.

    La marque peut être inventée par un ou plusieurs salariés de l’entreprise. Deux cas de figure :

    • les salariés créateurs autonomes : le ou les salariés créent une marque liée à leur entreprise de leur propre initiative, et en proposent l’exploitation à l’intéressée. À cet instant, les salariés sont déjà « auteurs » de l’œuvre que constitue la marque : le droit d’auteur joue dès l’instant de la création. Les salariés auteurs peuvent ainsi négocier avec leur employeur pour le dépôt de la marque. Des accords devront permettre à l’entreprise d’exploiter la marque en toute légitimité : soit c’est elle qui dépose la marque à son nom, soit les créateurs salariés la déposent et concèdent une licence d’exploitation à l’entreprise, le cas échéant en échange d’une redevance annuelle (ce qui peut fragiliser la position de l’entreprise, tributaire de la licence accordée à ses employés, avec les incertitudes en cas de départ de ceux-ci). Autre solution plus complexe : dépôt conjoint de la marque entre ses créateurs et l’entreprise exploitante, supposant un règlement de copropriété de la marque ;
    • les salariés missionnés : la meilleure méthode est que l’employeur prenne l’initiative de commander à un ou des salariés la création d’une marque. Au minimum, une lettre de mission écrite est cosignée, dans laquelle (tout comme dans le contrat d’édition d’un ouvrage) les créateurs et l’employeur se sont accordés sur tout : cession de la marque à l’entreprise, dépôt de la marque par celle-ci, rémunération prévue pour la création de la marque ; à moins que cette création ne fasse partie des missions des employés (service de communication). L’essentiel est que tout soit parfaitement balisé dès le départ, comme pour les œuvres d’auteurs.

    Dans l’hypothèse où la marque est commandée à une agence de communication, il faut impérativement s’assurer que le contrat précise que la marque est livrée à l’entreprise avec tous les droits afférents, y compris droit moral, et qu’elle est déposée soit par l’entreprise, soit par l’agence au nom et pour le compte de celle-ci, à charge pour l’agence créatrice de régler en amont toutes les créations de propriété intellectuelle entre elle et ses créateurs salariés.

    4. Les dessins et modèles

    Ce terme juridique recouvre toutes les créations d’art plastique appartenant au domaine du design. Elles sont aussi protégées par le droit d’auteur. La protection en dessin et modèle est conditionnée à son enregistrement, auprès des organismes précités en France ou en Europe. Les mêmes observations et conseils que pour la marque sont parfaitement transposables.

    En pratique, le dessin et modèle peut avoir été créé par un designer créatif indépendant, qui proposera à des entreprises l’exploitation de ses créations en leur concédant des licences d’exploitation, soit exclusives (un seul exploitant pour un modèle donné), soit concédées à plusieurs exploitants.

    Il importe de délimiter dans chaque licence le périmètre d’exploitation concédé à chacun, périmètre qui peut se recouper ou au contraire délimiter des zones ou secteurs d’exploitation exclusifs. Le dessin et modèle est protégé pendant 5 ans, renouvelable jusqu’à un maximum de 25 ans.

    5. Les brevets

    Un brevet est un document qui décrit un processus de fabrication industriel précis. Le dépôt de ce document permet d’octroyer à son déposant la propriété du brevet, soit pour l’exploiter par lui-même sans concurrence, soit pour en concéder l’exploitation à d’autres industriels. Mêmes observations et conseils que pour le dessin et modèle ou la marque.

    L’esprit du régime juridique du brevet est de protéger l’innovation. C’est pourquoi il est limité dans le temps à un maximum de 20 ans.

    6. Et les logiciels ?

    Nous évoquons ici les logiciels, puisque ce sont des créations destinées au commerce et à l’industrie. Cependant, un programme d’ordinateur - ou logiciel - est protégé par le droit d’auteur. Les juristes l’analysent comme une sorte de scénario : des lignes de codes conditionnent une suite d’opérations sur un ordinateur.

    La question s’est posée de savoir si un logiciel pouvait être breveté. C’est le cas pour certains liés au fonctionnement des ordinateurs ("firmwares", en anglais) aux États-Unis. L’Union européenne a décidé en 2005 de ne pas retenir la brevetabilité des logiciels, quels qu’ils soient. Les droits d’exploitation sur les logiciels créés par un ou plusieurs employés sont dévolus à l’employeur par volonté de la loi (article L.113-9 du CPI).

    Lire aussi : Propriété intellectuelle, RGPD... Les prestations de communication face au droit

    7. Les secrets de fabrique et des affaires

    Le secret de fabrique est protégé par un unique article L.621-1 du Code de la propriété intellectuelle. Il s’agit d’une protection en négatif.

    Le secret de fabrique protège un procédé qui n’est pas forcément brevetable - ou qu’on ne souhaite pas breveter pour ne pas le voir tomber dans le domaine public au bout de 20 ans. Sa protection résulte d’une sorte de rite initiatique : le secret n’est révélé qu’aux personnes de confiance contractuellement engagées à le respecter. La violation du secret est punissable aux termes de cet unique article (2 ans de prison, 30 000 euros d’amende). Exemples de secrets de fabrique : la formule des parfums, celle du Coca-Cola…

    Issus d’une directive européenne de 2016 transposée dans les articles L.151-1 à L.154-1 du Code de commerce, les secrets des affaires permettent la protection de tout type de savoir-faire constituant un avantage concurrentiel pour une entreprise. Peuvent être protégées les méthodes de travail, les procédures intellectuelles, les clauses types, etc. Ces secrets sont déclarés tels par l’entreprise, avec une obligation formelle de ne pas les divulguer. Utiliser ces secrets sans le consentement de leur détenteur légitime est illicite et relève de la justice civile ou commerciale.

    Dans le cas de secrets de fabrique ou des affaires, l’entreprise doit soigneusement baliser le périmètre des secrets protégés et des personnes habilitées à être dans le secret, faire signer aux personnes des accords de confidentialité et au besoin rappeler dans le règlement intérieur de l’entreprise les obligations de secret ainsi instituées.

    8. En synthèse

    Comme en droit d’auteur, pour garantir la maîtrise de son patrimoine immatériel, l’entreprise doit absolument se faire céder les droits d’exploitation des créations intellectuelles relevant de la propriété industrielle par ses salariés.

    Sources juridiques

    • Code de la propriété intellectuelle, Livre Ier, article L.113-9 ; Livre V, Dessins et modèles ; Livre VI, Titre I, Les brevets ; Titre 2, chapitre 1, Les secrets de fabrique ; Livre VII, Marques de produits ou de services.
    • Code de commerce, Livre 1er, Titre V de la protection du secret des affaires.

     

    L'auteur, Didier Frochot, est expert en droit de l'information. Il est cogérant des Infostratèges, spécialisé dans l'e-réputation.

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