C'était l’une des recommandations du rapport présenté par l’historien Benjamin Stora au mois de janvier dernier : ouvrir l’accès aux archives relatives à la guerre d’Algérie. L’Elysée a décidé d’y répondre favorablement. “Le Président de la République a entendu les demandes de la communauté universitaire pour que soit facilité l’accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans” précise un communiqué de la Présidence de la République.
La décision d’Emmanuel Macron sera suivie d’un effet immédiat puisque le président demande aux services d’archives “de procéder dès demain aux déclassifications des documents couverts par le secret de la Défense nationale selon le procédé dit « de démarquage au carton » jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse”. Cette procédure signifie que les documents ne devront pas être déclassifiés manuellement feuille par feuille mais qu'ils pourront l’être par dossier. “Cette décision sera de nature à écourter sensiblement les délais d’attente liés à la procédure de déclassification, s’agissant notamment des documents relatifs à la guerre d’Algérie” précise l’Elysée.
Instruction générale interministérielle 1 300
Interpellé depuis plusieurs mois par certains historiens sur les difficultés d’accéder aux archives, Emmanuel Macron semble se rendre à leurs arguments. Objet du courroux des chercheurs : l’instruction générale interministérielle (IGI 1 300) qui “a pour effet d’annuler cette ouverture, prévue par la loi de 2008 et par des mesures antérieures” explique l’historienne Annette Wieviorka ; “l’ouverture a pourtant été bien réelle et a permis à des étudiants et des chercheurs d’effectuer d’importants travaux, notamment sur la période de la Seconde Guerre mondiale et sur la guerre d’Algérie. Des travaux qui ne seraient plus possibles aujourd’hui” (1).
La loi du 15 juillet 2008 rend librement communicables, après un délai de cinquante ans, les archives dont “la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l’État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l’État, à la sécurité publique”. Selon les historiens, le caractère libéral de cette loi a été entravé par l’IGI 1 300. Les archivistes eux-mêmes sont montés au créneau par la voix de l’Association des archivistes français : “cette nouvelle version de l’IGI fixe de manière arbitraire le périmètre du secret-défense en imposant la date de mars 1934 : tout document postérieur à cette date portant un quelconque tampon « secret » doit faire l’objet d’une demande de déclassification auprès des services émetteurs”.
Faciliter l’accès aux archives sans compromettre la sécurité nationale
Le 15 janvier dernier, l’AAF a saisi le Conseil d’État le 15 “pour voir constatée l’illégalité de la nouvelle version de l’IGI n°1300”. Elle a été rejointe par plusieurs dizaines d’historiens et d’universitaires. Au lendemain de l'annonce présidentielle, l'AAF reste cependant dubitative : "le communiqué de presse du président de la République ne change malheureusement rien au fond du problème. Bien au contraire, il confirme qu’il est toujours nécessaire de déclassifier des documents d’archives publiques que la loi déclare pourtant communicables de plein droit".
Emmanuel Macron entendra-t-il les archivistes ? Le chef de l’Etat évoque une initiative législative pour faciliter leur accès aux archives : “il s’agit de renforcer la communicabilité des pièces, sans compromettre la sécurité et la défense nationales. L’objectif est que ce travail, entrepris par et avec les experts de tous les ministères concernés, aboutisse avant l’été 2021”.
(1) L’Histoire. Février 2021.