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C’est un écrivain à la réputation sulfureuse et un habitué des provocations en tout genre. Marc-Edouard Nabe est également un écrivain disruptif. Depuis 2010, il contourne les maisons d’édition traditionnelles et publie ses romans en autoédition :
« J’en ai assez des éditeurs blasés et des libraires boycotteurs. J’ai imprimé mille exemplaires de mon roman “L’homme qui arrêta d’écrire” qu’on ne pourra commander que sur ma plateforme, Marcedouardnabe.com. Au lieu de toucher mes misérables 10 % de droits d’auteur, désormais je serai à 70 % » (L'Express, janvier 2010).
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Adieu maisons d'édition et libraires...
L’écrivain vend désormais lui-même ses livres à des tarifs plutôt élevés par rapport aux prix constatés en librairie : de 22 euros jusqu’à 200 euros pour « Tohu-bohu », le journal intime de l’auteur. Et, au passage, il encaisse des revenus bien plus importants que les miettes habituellement versées par les maisons d’édition.
Pour ce faire, il a dû mener une rude bataille auprès de ses anciens éditeurs afin de récupérer les droits d’une vingtaine d’ouvrages. Depuis dix ans, Marc-Edouard Nabe vit donc sa vie d’écrivain loin des éditeurs et des libraires. Ce qui lui donne toute liberté pour traiter ces derniers de « parasites qui laissent crever de faim les auteurs et leurs familles » !
S’il est encore marginal, Marc-Edouard Nabe n’est plus seul. Des milliers d’auteurs ont pris la décision de court-circuiter les éditeurs et de voler de leurs propres ailes. À ce jour, il est encore difficile de connaître précisément le nombre d’auteurs autoédités, mais 17 % des ouvrages déposés au titre du dépôt légal à la Bibliothèque nationale de France appartiennent à cette catégorie (chiffres de 2017).
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Grande liberté éditoriale
Selma Bodwinger a franchi le Rubicon en publiant quatre ouvrages (catégorie « fantasy ») chez Amazon. Son choix de l’autoédition part d’un constat :
« Les maisons d’édition croulent sous les manuscrits et les chances d’être édité sont de une pour mille. Avec un pareil taux de sélection, de très bons livres restent sur le carreau, parfois parce que leur sujet trop pointu ne permet pas d’espérer un succès. Le premier avantage de l’autoédition, c’est de rendre disponible son livre et donc lui donner la chance de trouver son public, même s’il est réduit. Le deuxième avantage, c’est d’avoir une grande liberté éditoriale, justement, et de conserver un grand contrôle sur le texte, le choix du titre et la couverture. Bref, de maîtriser la chaîne du livre ».
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S'autoéditer veut aussi dire se vendre...
Pour autant, l’autoédition n’est pas un long fleuve tranquille.
« Il faut posséder toutes les compétences éditoriales ou bien s’entourer », poursuit Selma Bodwinger. « Pour un résultat au plus haut niveau, beaucoup d’auteurs payent des professionnels pour la correction du texte ou la réalisation de la couverture. Mais une fois cette étape réalisée, il faut aussi savoir vendre son livre. Cela implique d’avoir une stratégie marketing, qui passe par la création et l’entretien d’un site web et une présence sur les réseaux sociaux. Tout cela prend beaucoup de temps et je connais d’excellents auteurs qui ont baissé les bras sur l’aspect marketing, ils ne savent pas se vendre ou ne veulent pas perdre de temps à le faire. Leurs livres, perdus dans l’immensité des catalogues numériques, ne sont presque pas lus ».
Aux yeux des autoédités, les avantages l’emportent largement sur les inconvénients. Notamment en termes de rémunération. Chez Amazon, l’auteur touche en effet 70 % du prix de vente d’un livre électronique. Soit beaucoup plus que les modestes émoluments provenant des maisons d’édition traditionnelles.
Selon la Société des gens de lettres, les auteurs ne mènent pas grand train : 19 % des auteurs sont rémunérés à un taux inférieur à 5 % du prix hors taxe du livre, 50 % des auteurs entre 5 et 10 %, 23 % touchent 10 % de ce prix et seulement 7 % touchent davantage.
Ces chiffres peuvent néanmoins évoluer selon le contrat d’auteur et varient en fonction du support du livre (électronique ou imprimé).
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Services et plateformes d'autoédition à la carte
Pour publier en autoédition, les auteurs ont le choix. À côté du mastodonte Amazon, il existe des plateformes plus modestes comme Create my books qui propose en quelques clics de créer un livre au format PDF. L’auteur peut ensuite personnaliser sa couverture et placer son œuvre dans une boutique en ligne.
Détail important : il garde la main sur le prix de vente de son livre. Avant de s’engager, l’auteur est tout de même invité à lire les conditions d’utilisation (disponibles en anglais seulement).
Autre acteur de l’autoédition, Librinova commercialise des « services à la carte » : conseils d’écriture (160 euros), création d’une couverture personnalisée (à partir de 150 euros), réalisation d’une maquette imprimeur en vue d’une impression ultérieure (120 euros), création d’une vidéo auteur (850 euros)… Un agent littéraire peut même se charger de présenter l’ouvrage autoédité devant des jurys littéraires. Autant de prestations qui aident l’auteur, mais qui s’éloignent de l’autoédition « pur jus ».
Une fois créé, l’ouvrage est mis en vente dans la boutique en ligne de Librinova. Avantage pour l’auteur : il accède directement aux commentaires plus ou moins bienveillants de ses lecteurs. Avantage pour le lecteur : un extrait est mis gratuitement à disposition des internautes.
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Bien connu pour ses liseuses, le constructeur Kobo propose également un service d’autoédition. Kobo writing life mise sur la simplicité et la souplesse : les auteurs peuvent publier le même ouvrage chez un éditeur classique. « Nous n’exigeons pas d’exclusivité », promet Kobo qui assure par ailleurs être en capacité de rendre disponible le livre (au format numérique) dans plus de 190 pays.
Très utile pour l’auteur, un tableau de bord indique le volume de ventes par pays. Très risqué pour l’ego également car le succès n’est pas forcément au rendez-vous et certains écrivains risquent de déchanter en voyant le compteur bloqué sur zéro ! « Vous aurez besoin de travailler en permanence pour promouvoir et vendre votre livre », explique Kobo. Cela tombe bien, un outil de marketing est mis à disposition des auteurs.
Et à l’heure où les livres audio ont la cote auprès du public, Kobo writing life propose aux auteurs de vendre leurs audio-livres dans plusieurs pays.
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Des livres autoédités en bibliothèque
Est-il possible de trouver des livres autoédités en bibliothèque ? Oui, mais les bibliothécaires doivent s’assurer que les droits couvrent un usage collectif. Dans le cas contraire, les droits doivent être négociés entre la bibliothèque et l’auteur.
L’auteur, de son côté, doit se procurer un numéro ISBN et un code EAN auprès de l’Afnil (Agence francophone pour la numérotation internationale du livre). Ce numéro permet alors à l’ouvrage d’être référencé dans les bases de données des bibliothèques. Cette procédure est obligatoire pour les livres papier. Mais elle ne l’est pas pour les livres numériques.
Ainsi équipé, l’auteur indépendant peut rêver au succès mondial de E. L. James, l’écrivaine devenue millionnaire grâce au cultissime « Cinquante nuances de grey ». Avant d’être traduite dans cinquante-deux langues et d’être adaptée au cinéma, cette romance érotique fut d’abord publiée en autoédition sur le site de l’auteure.