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Originalité et droit d’auteur
Rappelons qu’en droit d’auteur, est originale la création de l’auteur qui porte l’empreinte de sa personnalité. Concept difficile à manier puisque, à l’autre pôle du droit d’auteur, il y a le principe de protection de l’œuvre quel qu’en soit — entre autres — le mérite esthétique.
On touche du doigt la différence entre « original » en droit d’auteur (émanation de l’esprit humain) et dans son sens courant : qui sort de l’ordinaire.
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Entre principe juridique et jurisprudence
En d’autres termes, l’acception de l’originalité du droit d’auteur est plus large que celle du sens commun.
Dès l’instant que mon esprit a sélectionné et agencé des mots du langage dans une phrase un peu élaborée, j’en deviens l’auteur. Dès lors, on pourrait soutenir que toute photographie est protégée par le droit d’auteur, du seul fait que j’ai cadré un sujet et que j’ai appuyé sur le déclencheur.
Tel n’est pourtant pas l’avis de la jurisprudence dans bien des cas qui méritent qu’on s’y attarde. Tentons de nous repérer dans ces décisions.
Apport personnel du photographe ou pas ?
À plusieurs reprises les juges ont cherché à mesurer l’apport personnel du photographe, tout en évitant d’en évaluer le mérite esthétique.
A propos des photos aériennes
Sont ainsi considérées comme dépourvues d’originalité les photographies aériennes réalisées par un automate qui prend des vues en rafales. Sauf s’il peut être établi qu’un photographe a sélectionné les clichés et les a recadrés et retouchés, à condition que ces opérations témoignent d’un choix personnel et non d’une simple correction technique.
On le voit, on frôle dangereusement la recherche du mérite esthétique.
- Pour la photo aérienne d’une école, utilisée pour sa communication, la cour d’appel de Metz (8 janvier 2009) a confirmé que l’image « d’une grande banalité en ce qu’elle constitue une simple vue aérienne de l’établissement d’enseignement » ne révèle « en aucune façon l’empreinte de la personnalité de son auteur ou ses compétences personnelles et ne constitue pas une œuvre originale ».
- Dans un cas opposant les ayants droit d’un photographe de renom pour des photos aériennes de Paris, le TGI de Paris (6 octobre 2009) retenait que l’appareil photo était fixé à l’avion, et que ses déclenchements se faisaient automatiquement et en rafales, constatant en outre « que l’angle des prises de vue est toujours le même ; que la lumière est également toujours la même montrant des façades éclairées par le soleil rendant un aspect assez plat des images ».
- Photographies satellites : à l’inverse, la cour d’appel de Riom (14 mai 2003) a considéré que « en partant des photographies satellites (…), qui sont des images brutes, obscures et inidentifiables, [la société photographe] procède à une correction géométrique, réalise une mosaïque d’une dizaine d’images brutes, donne à chacun des éléments sa couleur et harmonise l’ensemble ; ainsi elle conçoit et réalise une œuvre spécifique et originale qui présente en particulier des caractéristiques de couleur et de trait uniques ».
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Quid des photos serviles d’objets ?
Sans rouvrir l’intense débat qui avait agité les experts du droit d’auteur lorsque la législateur avait adopté la distinction entre photographie originale et photographie documentaire (entre 1957 et 1985, date où la loi est revenue au principe total de non prise en compte du mérite esthétique), la question s’est trouvée posée en justice. La Cour de cassation a notamment été amenée à qualifier l’originalité comme un « effort créatif et un choix esthétique de nature à refléter la personnalité de son auteur » (chambre commerciale, 5 avril 2018).
- C’est ainsi que des photos de pelotes de laine publiées sur un site de vente en ligne et reprises sur un site concurrent ont été jugées non originales.
Les plaignants avaient eux-mêmes pris soin de préciser que « la prise de vue des pelotes [de laine] est dictée par cet impératif de fidélité au produit », suggérant que le photographe s’était borné à rechercher la précision technique.
Les juges considèrent donc que « l’objectif poursuivi est ainsi d’effacer la subjectivité du photographe pour respecter le produit dans toute la mesure du possible. Il y a lieu de considérer que les photographies, au demeurant d’une excellente qualité technique, ont été prises par un photographe faisant état d’un simple savoir-faire technique, non protégeable par le droit d’auteur, dès lors qu’elles sont dénuées de partis-pris esthétiques et de choix arbitraires qui leur donneraient une apparence propre, leur permettant de porter chacune l’empreinte de la personnalité de leur auteur.
En l’absence d’originalité, les images litigieuses ne peuvent bénéficier de la protection conférée par le droit d’auteur. » (TGI de Nancy, 6 décembre 2019).
- S’agissant de photographies pour promouvoir une marque de cognac notoire, la cour d’appel de Versailles a pareillement exclu — entre autres critères de protection — l’originalité des images.
Aux constats habituels, elle ajoute qu’en l’espèce si « l’existence d’une commande n’est pas de nature à exclure l’originalité dès lors qu’aucune directive ou indication précise n’est imposée au photographe », « le travail sur le cadrage, sur l’éclairage, la prise de vue et le travail de retouche auxquels le photographe dit s’être livré ensuite, après les prises de vue, suivant de longues heures, ne font que manifester son habileté et son savoir-faire technique mais ne démontrent pas le choix d’un parti pris esthétique ou ne manifestent pas un travail créatif original, la seule recherche d’un rendu le plus réaliste possible de l’objet, laissant imaginer que celui qui regarde l’emballage peut selon les termes du photographe, “empoigner la bouteille directement”. » (Versailles, 30 mars 2021).
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Et les photos de presse ?
En considérant le délicat distinguo réalisé par la jurisprudence instaurant une frontière entre véritable apport personnel et simple savoir-faire technique, il devient évident que de nombreuses photographies de presse, purement destinées à rendre compte d’un évènement, prises par des photographes dont la seule intention est de capter des images d’un évènement, d’une personne en vue ou autre sujet, sans prendre le temps de cadrer, sont dépourvues d’originalité.
Ce qui change complètement l’économie générale d’un secteur qui vit des droits d’auteur des photographes de presse, comme par exemple les agences de presse ou encore nombre d’agences photo. La réflexion des juges s’est donc affinée.
- Ainsi la cour d’appel de Versailles considère que « la seule saisie du réel même avec talent mais sans parti pris esthétique ou travail créatif est insuffisante » pour rejeter l’originalité et donc la protection de l’image par le droit d’auteur (CA Versailles, 1ère chambre 1ère section, 8 décembre 2017).
- Dans le cas de la photo d’une personnalité faisant un discours public, la cour d’appel de Paris a noté que « ce cliché représente donc une personne prise sur le vif, lors d’une réunion publique, sans que le photographe ait pu imposer ses choix quant à son placement, son attitude ou à sa pose.
Le recours à la contre-plongée n’apparaît pas original pour prendre un cliché d’une personne debout devant une audience assise, comme le fait de cadrer l’orateur au centre du cliché ». (Paris, Pôle 5, chambre 1, 22 septembre 2020).
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Retour d’expérience pratique
Ayant publié la photo d’un monument parisien, un blogueur avait été approché par l’avocate d’une agence photo détenant les droits de l’auteur de la photo, affilié à cette agence. La photo avait aussitôt été retirée du blog et l’avocate avertie du retrait.
Elle revint pourtant plusieurs fois à la charge, menaçant de poursuites pour la publication sans droit de la photo.
La réponse juridique a été — outre de demander que la personne prouve sa qualité de mandante de l’agence photo et l’affiliation effective du photographe à ladite agence — de contester l’originalité de la photo qui se bornait à présenter l’image du monument sans aucun apport personnel tangible. L’avocate ne s’est plus manifestée.
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Didier Frochot
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