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Un droit d’auteur peut en cacher un autre
Le droit appartenant à l’auteur de l’image (photo, vidéo, peinture, dessin…) n’est pas l’unique droit auquel il faille songer lorsqu’on est sur le point d’exploiter une image, par exemple en la publiant sur un site web ou dans une publication ou un produit documentaire.
Attention aux diverses couches de droits sur les images
Les droits sur les images sont en effet multiples. On peut dénombrer jusqu’à cinq séries de droits à gérer :
- le droit à l’image des personnes physiques : le plus connu de ces droits ;
- le droit à l’image des propriétaires de biens visibles sur l’image — à ne pas confondre avec le sujet de cet article ;
- le droit à l’image du propriétaire d’une image, qui est un sous-ensemble du point précédent (collectionneur, agence photo…) ;
- le droit d’auteur du créateur de l’image (photographe, dessinateur, vidéaste…) ;
- le droit d’auteur sur les objets visibles sur les images, sujet de cet article.
Deux séries de droits d’auteurs en présence
On aura donc compris qu’il peut exister plusieurs séries de droits d’auteur : ceux de l’auteur de l’image tel qu’un photographe et ceux des créateurs des objets visibles sur celle-ci.
Lire aussi : Droit à l'image : quand peut-on utiliser la photo d'une personne sans autorisation ?
Les cas où l’auteur doit donner son accord
Le principe d’accord de l’auteur de l’œuvre
Rappelons quelques évidences : l’auteur d’une œuvre dispose sur celle-ci de plusieurs droits d’exploitation dont les deux principaux sont le droit de représentation et le droit de reproduction.
- Il y a représentation dès l’instant où l’œuvre de l’auteur est « présentée » sur un théâtre, dans une exposition ou encore par voie numérique sur écran.
- Il y a reproduction dès qu’il y a « fixation matérielle par tous procédés » (article L.122-3 du Code de la propriété intellectuelle — CPI), quels qu’ils soient, de l’œuvre de l’auteur.
Il s’ensuit que dès que l’œuvre de l’auteur est présente sur une image, cette présentation constitue une reproduction de l’œuvre en question, doublée d’une représentation si cette image est exposée ou publiée par voie numérique.
Lire aussi : Le droit à l’image des personnes physiques face au RGPD
L’objet est le sujet principal de l’image
La règle est simple : dès l’instant que l’image représente « à titre principal » l’œuvre appartenant à un auteur, il y a lieu de solliciter son accord. Nous découvrons ainsi une logique juridique courante nommée « théorie du principal et de l’accessoire ». Elle joue en matière d’image comme dans bien d’autres domaines juridiques.
Il appartient à la jurisprudence de définir la frontière entre le principal et l’accessoire.
L’affaire de la « Place de Terreaux »
L’affaire de la « Place de Terreaux » en est le cas emblématique. Des cartes postales de la Place de Terreaux à Lyon ayant été commercialisées, l’architecte Christian Drevet, qui avait réaménagé la place, et le sculpteur Daniel Buren, qui lui a apporté son concours, ont assigné les quatre éditeurs des cartes postales en contrefaçon pour défaut d’accord de leur part.
La Cour de cassation a relevé que les cartes postales présentent « principalement » l’ensemble de la place et que « l’œuvre de MM. Buren et Drevet se fond dans l’ensemble architectural de la Place de Terreaux, à Lyon, dont elle constitue un simple élément » (1ère chambre civile, 15 mars 2005).
Lire aussi : Droit de l’information : attention à la pluralité de points de droit !
Les cas où l’autorisation des auteurs n’est pas requise
Cette jurisprudence emblématique nous donne déjà une piste pour les cas où l’accord de l’auteur n’est pas nécessaire.
Si l’objet n’est que l’accessoire de l’image
En raisonnant a contrario face à la jurisprudence de la « Place de Terreaux », on peut déduire que si une image ne présente qu’à titre accessoire l’œuvre d’un auteur, l’accord de celui-ci n’est pas requis.
Il en serait ainsi, par exemple, de photographies prises au carrefour Champs-Élysées–Clemenceau à Paris et présentant en plan large à la fois le Grand Palais — œuvre dans le domaine public — et la statue de Charles de Gaulle — œuvre récente, propriété intellectuelle du sculpteur qui l’a réalisée : aucune autorisation de ce sculpteur n’est donc nécessaire.
Lire aussi : Editeurs de sites internet et de réseaux sociaux : quelle est leur responsabilité éditoriale ?
Si l’œuvre est tombée dans le domaine public
Nous l’avons souligné d’un mot ci-dessus. Si l’œuvre de l’auteur est tombée dans le domaine public — c’est-à-dire en principe 70 années civiles suivant celle de la mort de l’auteur —, il n’est pas nécessaire de demander un accord aux ayants droit.
Attention à l’éclairage des bâtiments !
Cette souplesse quant aux œuvres tombées dans le domaine public peut se doubler d’un piège juridique : qu’en est-il par exemple si la façade d’un bâtiment du 18e siècle a été « mise en lumière » pour la valorisation nocturne de celui-ci ?
Cette mise en lumière est une création de forme originale visant à « sculpter », à partir d’éclairages, la façade du bâtiment en question et, à ce titre, elle constitue une œuvre d’auteur.
D’où il suit que pour publier la photo de la façade de l’Académie française, mais aussi de la Tour Eiffel ou toute autre œuvre du domaine public, éclairées de nuit, si les droits d’auteur sur la façade ou sur la Tour sont éteints — sans mauvais jeu de mots — l’éclairagiste détient des droits d’auteur sur sa création lumineuse.
Lire aussi : Comprendre le droit d'auteur : qui est "auteur" ?
Si l’objet est dépourvu d’originalité
Le critère d’originalité de l’œuvre, au sens juridique de ce concept (Originalité de l'oeuvre : tout savoir sur cette notion du droit d’auteur) peut jouer contre la reconnaissance d’un droit d’auteur, notamment pour des architectes.
Ainsi ne serait pas original au sens du droit d’auteur — donc pas protégé par le droit d’auteur — un chalet qui était « d’une conception banale et ne révélait pas de trace d’un effort créateur et de recherche esthétique » (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 5 juillet 2006).
L’exception de panorama : réservée aux particuliers
La directive européenne sur les droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) du 22 mai 2001 prévoit une exception dite « de panorama » aux termes de laquelle est autorisée « l’utilisation d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics » (article 5, 3, h).
La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 a transposé cette exception en droit français, mais l’a restreinte dans son champ d’application. L’article L.122-5, 11° CPI instaure comme exception :
« Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ».
On voit tout de suite les restrictions de la version française : l’exception est réservée aux seules « personnes physiques » et hors de tout usage commercial. En d’autres termes, elle vise plutôt les touristes ayant pris des photos de sculptures ou de bâtiments d’architectes situées sur la voie publique et les publiant bénévolement notamment sur leurs comptes sociaux.
Restent ainsi exclues toutes les utilisations professionnelles et commerciales de telles reproductions ou représentations.
Cette exception ne saurait donc permettre à une entreprise de publier librement la photo, par exemple, dont le sujet principal serait une fontaine contemporaine sur son site web ou ailleurs sans l’accord du plasticien auteur de l’objet.
Lire aussi : Comprendre le droit d'auteur : les cas de pluralités d'auteurs
Attention au recadrage des photos !
Si l’on reprend l’exemple de la statue de Charles de Gaulle, un potentiel risque juridique peut se présenter. Le photographe ayant cédé tous les droits qui conviennent pour exploiter l’image en plan large, il n’a bien sûr pas géré les droits d’auteur du sculpteur puisqu’il savait que c’était inutile.
Mais si l’exploitant de l’image décide de recadrer l’image sur la seule statue en question, il bouleverse complètement les conditions juridiques de l’exploitation et prend le risque de voir le sculpteur l’attaquer pour contrefaçon, à moins qu’il ne négocie préalablement avec celui-ci.
C’est un risque qui peut peser sur de nombreux services photos ou services de communication des entreprises.
Didier Frochot
les-infostratèges.com