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Sommaire de l'article :
- Du droit de l’image à la concurrence parasitaire
- Du droit à l’image à la donnée personnelle protégée
- Sites internet : de la responsabilité éditoriale aux responsabilités civile et pénale
- En conclusion : conduire une analyse juridique fouillée
1. Du droit de l’image à la concurrence parasitaire
Une affaire emblématique a été évoquée au tribunal de grande instance de Nancy le 6 décembre 2018. Il opposait deux fabricants de laine, l’un ayant « emprunté » des photos de pelotes de laine en gros plan sur le site de l’autre.
Le fabricant ainsi lésé assigna en justice son concurrent en contrefaçon, mais sur le seul terrain civil de ce délit de droit d’auteur, au motif que l’entreprise indélicate avait reproduit sans autorisation des images sur lesquelles le plaignant revendiquait des droits d’auteur.
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Pour se défendre, le concurrent plaida l’absence d’originalité de ces photos puisque, de l’aveu même du plaignant, « la prise de vue des pelotes [de laine] est dictée par cet impératif de fidélité au produit », à l’exclusion de toute recherche d’effet esthétique des clichés.
C’est à cet avis que, très logiquement, les juges se sont ralliés pour constater l’absence de droit d’auteur sur ces images puisque dépourvues d’originalité.
Nous avons ainsi une nouvelle illustration de la délicate notion d’originalité en droit d’auteur. Mais l’avocat avait apparemment prévu ce coup dur. Les juges ne pouvant statuer que sur les points de droit soulevés par les parties, il avait mis un autre fer au feu : la concurrence parasitaire, un des aspects de la concurrence déloyale, condamnée sur la base de la responsabilité civile extracontractuelle, prévue à l’article 1240 du Code civil (l’ex article 1382) :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Et c’est sur ce terrain de la concurrence parasitaire que les juges vont sanctionner la concurrent indélicat :
« Il est indéniable que la réutilisation de ces images entraîne un risque de confusion à l’égard des destinataires des sites internet exploités par les deux parties, qui ont développé une activité concurrente ».
Nous retrouvons là un des points cruciaux de la propriété intellectuelle : le « risque de confusion du public ».
Toutes les fois où l’on peut considérer qu’il y a risque de confusion dans l’esprit du public, il y a nuisance, sanctionnée généralement par la contrefaçon, et à défaut — comme ici — par la concurrence déloyale et/ou parasitaire.
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2. Du droit à l’image à la donnée personnelle protégée
Un autre exemple pourrait se trouver dans le droit à l’image des personnes physiques. L’image d’une personne physique constitue un des attributs de sa personne, comme l’avait très précisément rappelé le tribunal d’instance de Saint-Denis dans un jugement du 27 août 2015.
Mais dès l’instant où une personne est reconnaissable sur une image, on peut considérer qu’elle est identifiable au sens des lois sur la protection des données personnelles.
Le RGPD érige en donnée à caractère personnel « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable » (article 4 point 1).
En conséquence, dès que la photo d’une personne est seulement prise, a fortiori diffusée, il y a traitement de ce type de donnée et donc application du RGPD et de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
Est en effet considérée comme « traitement de donnée » personnelle par le RGPD « toute opération (…) telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction » (article 4 point 2). Il s’ensuit un nombre de conséquences importantes.
- Des devoirs envers les « personnes concernées »
Dès qu’une personne capture l’image d’une autre par photographie ou autre procédé de fixation (dessin, vidéo…), il convient de communiquer à la « personne concernée » les informations prévues à l’article 13 du RGPD, en résumé :
- l’identité du responsable du traitement ;
- les finalités poursuivies (publication de l’image, sur quel support, dans quel contexte…) ;
- les destinataires chargés de gérer ou stocker l’image ;
- la durée de conservation de l’image (impérativement limitée dans le temps) ;
- l’existence au bénéfice de la personne concernée des droits qu’elle détient du RGPD : droits de rectification et à l’effacement, droit de s’opposer au traitement (notamment public sur un site web), et d’introduire une réclamation à la Cnil.
- Une obligation professionnelle assez lourde
Si dans un contexte privé, le simple touriste peut passer outre à toutes ces obligations sans trop de nuisance — bien qu’il s’agisse d’une obligation qui s’impose à tous —, pour les professionnels, il est impératif de respecter ces obligations. Concrètement, lors d’une manifestation publique où il est prévu de faire des photos, il suffira d’avertir les participants par voie d’affiche ou par des mentions sur les cartons d’invitation.
- Une « information » ; pas une autorisation
Il importe de préciser que dans le cadre du RGPD, la seule obligation consiste à informer les personnes concernées. En revanche, si le droit à l’image des personnes physiques l’exige, il conviendra de demander l’autorisation écrite et signée de publier l’image.
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3. Sites internet : de la responsabilité éditoriale aux responsabilités civile et pénale
Pour finir, nous prendrons l’exemple des sites internet, spécialement publiés à titre professionnel.
Une double législation française fait peser sur les éditeurs de sites internet une responsabilité éditoriale similaire à celle de la presse papier ou des médias audiovisuels.
Le dirigeant de l’entité qui édite le site est désigné par la loi comme « directeur de la publication » (articles 93-2 et 93-2 de la loi du 29 juillet 1982), c’est-à-dire le responsable pénal de premier rang en cas d’infraction aux délits d’information commise sur le site (diffamation, injure et autres délits de la loi du 29 juillet 1881, régulièrement mise à jour).
Ensuite, le site est tenu de publier les informations légales rendues obligatoires par la loi du 21 juin 2004 (article 6 — III, 1, a), le fameux « cyber-ours » : rubrique équivalente à l’ours des publications de presse.
Quelques autres obligations éditoriales existent, comme l’obligation d’accueillir des droits de réponse des personnes désignées sur le site.
Mais à côté de ce régime de responsabilité éditoriale, d’autres textes peuvent parfaitement s’appliquer, ce que beaucoup d’organes de presse en ligne peinent à comprendre, prenant la responsabilité éditoriale comme l’unique horizon indépassable de leur cadre juridique.
Lire aussi : Éditeurs de sites internet et de réseaux sociaux : quelle est leur responsabilité éditoriale ?
- Retour du RGPD
Tout site internet est soumis au RGPD, avec les rigueurs que nous avons listées ci-dessus. Les mentions légales du site doivent ainsi communiquer les fameuses informations concernant les droits des personnes concernées.
Si pour les activités journalistiques, certaines obligations du RGPD sont écartées pour les besoins de l’information du public, la plupart des sites doivent s’y conformer pleinement.
C’est ainsi le cas sur l’interdiction de publier des informations sur les condamnations des personnes ou plus généralement sur les affaires judiciaires : seules les activités journalistiques peuvent y faire allusion, mais pas un blogueur, ni un site professionnel.
- Quelques belles sanctions pénales
L’ensemble du droit français s’appliquant sur un site internet — laissons de côté ici le cas des sites hébergés à l’étranger — toute sorte de sanctions civiles ou pénales peuvent s’abattre sur le site et son éditeur, comme par exemple le délit de contrefaçon si des œuvres d’auteur (texte, images, vidéos) ont été « empruntées » sans accord des auteurs, le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée (article 226-1 du Code pénal) et sa formule aggravée, récemment rendue célèbre, s’il y a publication de contenus à caractère sexuel (226-2-1 du même code).
Mais le summum des sanctions revient encore au RGPD qui prévoit jusqu’à 20 millions d’euros « d’amende administrative », ou 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise responsable toute infraction aux règles du RGPD (article 83 du règlement). Qu’on se le dise…
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4. En conclusion : conduire une analyse juridique fouillée
Les règles du jeu juridique en société sont très variées et leur complexité rend difficile à satisfaire l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi », pourtant seul gage d’égalité devant la loi.
Il faut ainsi comprendre que, dans un même litige, les points de droits peuvent se cumuler et les infractions dévaler en cascade. Il convient donc de toujours conduire une analyse juridique fouillée, afin de ne jamais laisser un point de droit dans l’ombre.