CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°375
Au sommaire :
- Dossier : comment faire (re)venir les publics en bibliothèque ?
- Extension des activités en bibliothèque : toujours plus de missions ?
- Le marketing en bibliothèque : une offre et des usagers
"Les bibliothèques doivent être un lieu de convergence sociale, citoyenne et environnementale", expliquait Luce Perez-Tejedor, directrice de la Bibliothèque départementale des Côtes-d’Armor, dans Archimag l’an dernier. "Elles sont l’interface de tous ces enjeux et c’est notre travail de faire en sorte qu’elles soient inclusives et deviennent des espaces d’"empowerment" ("empouvoirement") pour les citoyens".
Ces principes, qui se diffusent dans la profession comme dans les établissements depuis une vingtaine d’années, ont progressivement inscrit les bibliothèques dans le paysage des tiers-lieux, c’est-à-dire des espaces multiactivités inclusifs, créatifs et attractifs favorisant l’apprentissage et le lien social. Voici un panorama non exhaustif des multiples projets et initiatives qui se sont développés dans les établissements, sur tout le territoire.
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Pratiques culturelles et sportives
Cours de cuisine, ateliers autour de projections de films, pièces de théâtre… Les activités culturelles en bibliothèque prennent des formes variées et répondent à une réelle demande. Dans son "Schéma de développement de la lecture publique (2023-2028)", la bibliothèque départementale de l’Ain (01) explique que la bibliothèque idéale est perçue par la population Aindinoise comme "un lieu de culture et d’animations culturelles (spectacle, concert…)".
Sans compter que le pass Culture, qui confère aux jeunes de 15 à 18 ans des "crédits" permettant de profiter d’activités ou de biens culturels s’applique aussi aux bibliothèques depuis 2022. "Le pass Culture a permis d’attirer de nouveaux venus puisque seuls 32 % des utilisateurs s’étaient déjà rendus en bibliothèque avant d’en bénéficier", expliquait le ministère de la Culture en septembre dernier. "45 % des utilisateurs qui ont déjà réservé au moins un livre via le pass Culture se disent intéressés par la possibilité de souscrire un abonnement auprès d’une bibliothèque ou d’une médiathèque".
De son côté, c’est pour faire revenir le public après la crise du Covid-19 que la médiathèque La Souterraine, dans la Creuse (23), a commencé à organiser des après-midis jeux de société. Ouverts à tous pour favoriser les liens intergénérationnels, ces ateliers ont su attirer les usagers. Un Discord consacré aux échanges de pratiques, conseils, mise en relation avec des prestataires et des professionnels des jeux de société et du jeu vidéo rassemble déjà plus de 535 membres.
Les pratiques sportives ne sont pas en reste. Dans leur vaste offre culturelle (karaoké, ateliers créatifs, conférences), les Bibliothèques de Tours (37) proposent aussi des services dédiés au bien-être du corps ! Par exemple, dans le cadre du programme "Bien vivre à Tours après 60 ans", la bibliothèque centrale a organisé plusieurs sessions de gym douce et de qi gong.
Légende : Le programme "Bien vivre à Tours après 60 ans", mis en place à la bibliothèque centrale de Tours. (Bibliothèques de Tours)
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La force des fablabs
Pour Julien Domenech, en charge du fablab de la médiathèque Olivier Léonhardt de Sainte-Geneviève des Bois (91), le "Labo" est un levier pour inclure tous les publics. "C’est pour moi la force, l’intérêt d’avoir un fablab en bibliothèque", explique-t-il sur Labenbib, le blog de la commission numérique de l’ABF.
Un an après son ouverture, ce fablab a su attirer les usagers. Il a aussi permis de tisser des liens avec des associations et autres partenaires locaux. "Nous engageons le projet du Labo dans une démarche low-tech et sobre. Par exemple, nous montons un partenariat avec une association saint-michelloise de réemploi de PC, Collectik, pour recycler et utiliser des ordinateurs".
Au sein de la bibliothèque Robert Sabatier, dans le 18e arrondissement de Paris (75), l’idée du fablab est arrivée durant la période Covid, alors que l’établissement était fermé pour travaux. Imaginé et monté par les bibliothécaires, d’autres confrères volontaires et l’association Ici et Lab, cet espace gratuit dispose de machines à coudre, d’une imprimante 3D, d’une brodeuse numérique ou encore d’une découpeuse vinyle et d’une machine à badges. Après des séances d’initiation avec les bibliothécaires, les usagers peuvent utiliser le fablab en autonomie.
Prêt d’objets en tous genres
Les bibliothèques sont les championnes du prêt de livres et c’est dans une continuité assez logique que certaines se sont mises au prêt d’objets. Matériels de cuisine, de bricolage, instruments de musique ou machines à coudre… L’offre s’adapte.
La médiathèque des 7 Lieux, à Bayeux (14) propose une large palette d’objets à emprunter, parmi lesquels… des sacs à dos ! Sur les thèmes de la balade ou de l’aventure, ils constituent des invitations à découvrir le territoire et la nature du Bessin normand et sont dotés d’une boussole, d’une carte IGN, d’un guide d’ornithologie ou encore d’une boîte et d’un filet à insectes… "L’objectif n’est vraiment pas de se substituer à l’office de tourisme, mais de valoriser notre patrimoine et le fonds local de la médiathèque", explique Éva Garrouste, directrice de la médiathèque, à nos confrères de Ouest-France.
De son côté, la bibliothèque universitaire (BU) de La Roche-sur-Yon (85) a lancé Bobun (Bibliothèque d’objets des bibliothèques universitaires de Nantes) dès 2022. Pour une durée d’un jour, d’une semaine, d’un mois ou d’un an, tous les inscrits aux BU de Nantes Université peuvent ainsi emprunter gratuitement plusieurs centaines d’objets de la vie quotidienne (ustensiles de cuisine, matériel de bricolage, objets de loisirs, etc.).
Ces derniers sont "catalogués dans le SIGB selon les mêmes modalités que pour un livre", explique Yves Marchand, directeur des bibliothèques universitaires nantaises. "Il [Ndlr : le dispositif] contribue à modifier le regard que les étudiants posent sur la BU : si elle reste un lieu de travail, elle devient également une partenaire de leur réussite et de leur qualité de vie".
Légende : Le service Bobun, lancé par la BU de La Roche-sur-Yon en 2022. (Nantes)
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Élargissement des horaires
L’élargissement des horaires d’ouverture des bibliothèques était déjà l’une des propositions majeures du rapport Orsenna, "Voyage au pays des bibliothèques", en 2018. Les bibliothèques de Vienne (38) se sont aussi penchées sur la question dans leur "Projet culturel, scientifique, éducatif et social (2022-2026)", notamment en vue de conquérir de nouveaux ou d’anciens usagers. "Des expérimentations d’ouverture le soir ont été tentées lors des périodes de révision du bac (opération "Bosse ton bac" avec le Bureau Information Jeunesse), qui ont eu peu de succès, car les jeunes dépendent des bus de ville ou scolaires dont les derniers sont entre 18 h 00 et 19 h 30, selon les destinations", explique le document stratégique. Pour autant, selon les bibliothèques de Vienne : "si la question des horaires d’ouverture est complexe à traiter, elle ne peut cependant, aujourd’hui, être éludée".
Les bibliothèques territoriales de Bourgogne-Franche-Comté ont bénéficié de plus de 6,7 millions d’euros d’aide qui représentent jusqu’à 50 % du financement pour la construction de bibliothèques et jusqu’à 80 % pour les projets d’extension des horaires d’ouverture. Car le financement de cette transformation reste une question centrale : en février 2024, les agents de la BU de Nantes avaient manifesté à plusieurs reprises face au refus d’augmenter leurs indemnités après l’ajout de nouveaux horaires le samedi après-midi.
L'enjeu de l’inclusion
Les bibliothèques de France travaillent depuis longtemps sur les notions d’inclusion sous toutes ses formes. Elles sont au cœur de leurs principes et constituent un véritable enjeu. Les initiatives dans cette grande "catégorie" sont nombreuses et pas forcément nouvelles. Par exemple, le réseau Trente et +, qui rassemble 16 bibliothèques du pays viennois (38), propose un système de portage à domicile pour les personnes à mobilité réduite, âgées, malades ou enceintes. Ici, des bénévoles ou des bibliothécaires se chargent de la livraison.
Outre la question des publics empêchés, des établissements souhaitent répondre aux évolutions sociétales et à leur ancrage territorial avec un message : une bibliothèque à l’image de tous. En juin 2023, Arnaud Le Mappian, directeur du réseau des bibliothèques de Montreuil (93), expliquait à Archimag que les questions de genre et de diversité ont toute leur place dans les bibliothèques et notamment dans les programmations culturelles.
"Nous sommes très poreux à toutes les questions d’écoféminismes ou encore à celles des droits et égalités culturels", affirmait-il. Cela se traduit par l’organisation de conférences et par la mise en avant d’ouvrages sur ces thématiques. Certaines structures ont par exemple instauré des animations lecture avec des drag-kings et des drag-queens. Des événements qui font souvent l’objet de pressions politiques face auxquelles l’ABF avait réaffirmé que les lectures de livres par des drags ont toute leur place en bibliothèque.
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Accessibilité numérique et sensibilisation
En matière de numérique, il existe toutes sortes d’animations et d’outils en libre accès pour les usagers. Cela va d’ateliers pour créer un film en stop-motion, comme à la Médiathèque de l’Astrolabe, à Figeac (46), à des cours d’informatique pour les plus de 60 ans à la bibliothèque de Givet, dans les Ardennes (08) "pour accompagner nos aînés dans l’apprentissage informatique et administratif", en passant de simples accès à une prise pour recharger son téléphone ou brancher son ordinateur pour travailler… Des aides aux démarches administratives sont aussi organisées dans de nombreuses structures.
Les bibliothèques se mettent aussi à l’heure de l’intelligence artificielle (IA) et comptent bien accompagner leurs publics. Avec son AtelierLab, le réseau des médiathèques de Lorient (56) organise "Les rendez-vous de l’IA". Le principe ? Des ateliers ouverts à tous d’une heure trente sur les enjeux et les concepts de l’IA générative voués à s’installer dans le temps. Selon Philippe Denis, référent numérique de l’AtelierLab, "des créations assez ludiques sont sorties de ces ateliers. Une majorité de participants aimeraient continuer à progresser et ont testé les services IA à la maison par la suite. Connaître, comprendre et accompagner ont été les trois verbes d’action de ces rendez-vous. Les participants ont également pu développer leur esprit critique en réfléchissant aux enjeux éthiques et sociaux liés à l’utilisation de ces technologies".
Formations
Il nous faudrait bien plus que trois pages pour recenser les mille et un services imaginés par les bibliothèques à travers la France pour répondre aux besoins de leurs publics et booster leur attractivité. Rien qu’en matière de cours, les thématiques sont vastes : musique, informatique, langues étrangères, tricot, couture…
La bibliothèque municipale Pierre Messmer, à Sarrebourg, en Moselle (57) offre à ses abonnés un accès gratuit à la plateforme Skilleos. Cette dernière donne accès à de très nombreuses formations en ligne, qu’il s’agisse de cours orientés "culture" (beaux-arts, dessin manga, gastronomie…), de sport, de bien-être, de travaux manuels ou même de création de jeux vidéos.
Légende : La grainothèque de la médiathèque Marguerite Yourcenar de Paris, en 2021. (Médiathèque Marguerite Yourcenar)
Légende : Le vide dressing solidaire organisé par la BU Sciences de Lyon 1. (BU Lyon 1)
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Initiatives vertes et durables
Au sein de la médiathèque Marguerite Yourcenar, à Paris (75), la grainothèque a, entre autres, permis de développer son réseau. "La Fondation Cartier nous a demandé de mener des ateliers autour des graines dans les salles de l’exposition Fabrice Hyber La Vallée", se rappelle Anne-Valérie Malavieille, du pôle écologie/développement durable. "Ça a été l’opportunité de nous faire connaître auprès de visiteurs, étonnés de découvrir tout ce que proposent bien souvent les bibliothèques !".
Des fringothèques et vide-dressing se développent aussi pour promouvoir des initiatives vertes. À la BU Sciences de Lyon 1, les différentes éditions de son vide-dressing solidaire ont pris de l’ampleur : de 450 étudiants à la première, la bibliothèque a attiré 750 jeunes à la deuxième et a élargi ensuite son offre au don de plantes et de petit matériel de papeterie.