CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°379
Au sommaire :
- Dossier : digitalisation responsable : l'IA rebat les cartes
- Des éditeurs décidés à concilier IA et sobriété numérique
- Les données au cœur de la mesure de l’impact social et environnemental
- Consommer l'IA générative : oui, mais avec modération !
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On devrait toujours écouter les Cassandre : "il est tout à fait juste de dire que l’intelligence artificielle va avoir besoin de beaucoup plus d’énergie", déclarait Sam Altman lors du sommet de Davos au mois de janvier dernier. Cette mise en garde du fondateur d’OpenAI (ChatGPT) repose sur un constat : l’IA est très énergivore. En quête de puissance informatique pour développer leurs services, les acteurs de l’IA reconnaissent une facture environnementale particulièrement salée.
Les géants du web font profil bas
De son côté, Google l’a également admis sans barguigner : ses émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 48 % en l’espace de cinq années (de 2019 à 2023). Elles ont atteint 14,3 millions de tonnes de CO2 pour la seule année 2023. Si cette augmentation n’est pas exclusivement due à l’intelligence artificielle, "à mesure que nous intégrons l’IA dans nos produits, la réduction des émissions pourrait s’avérer difficile", explique Google.
Même son de cloche pour Microsoft qui annonçait, au mois de mai dernier, une hausse de 30 % de ses émissions en l’espace de trois années. Une augmentation largement portée par l’IA. La société a en effet annoncé près de 15 milliards d’euros d’investissements dédiés à l’intelligence artificielle dans plusieurs pays (Allemagne, France, Japon, Indonésie), notamment pour construire de nouveaux centres de données.
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L’IA consommera autant d’électricité que l’Allemagne en 2026
Cette voracité énergétique s’explique par une série de facteurs cumulatifs. L’IA générative repose sur des modèles de langage qui exigent d’énormes capacités de calcul pour s’entraîner sur des milliards de données, ce qui nécessite des serveurs puissants. Dès lors qu’un utilisateur envoie une requête à une IA générative, ces serveurs sont sollicités et consomment alors de l’électricité à deux reprises : d’abord parce qu’ils réalisent des calculs et ensuite parce qu’ils doivent être refroidis avec des systèmes qui nécessitent à leur tour de l’énergie. Selon le chercheur Shaolei Ren (Université de Californie), une réponse d’une centaine de mots générée par ChatGPT reviendrait à consommer une bouteille d’eau et à allumer 14 ampoules Led pendant une heure !
Les datacenters préoccupent
"L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande mondiale d’électricité pour les centres de données, stimulée par la croissance de l’IA, doublera entre 2022 et 2026, date à laquelle elle égalera à peu près la consommation d’électricité d’un pays comme l’Allemagne", constate de son côté le cabinet Forrester.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, les centres de données utilisent en général près de 40 % de leur électricité pour alimenter les serveurs et 40 % pour les refroidir. Ces chiffres sont à mettre en relation avec une autre estimation : une requête envoyée à ChatGPT nécessite en moyenne 10 fois plus d’énergie qu’une simple requête sur le moteur de recherche Google.
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Une IA qui deviendra plus économe au fil du temps
De quoi refroidir - si l’on peut dire - les espoirs des partisans d’une industrie numérique respectueuse de l’environnement. Et pourtant… "Au fil du temps, l’IA deviendra plus économe en énergie", souligne une étude de Forrester. "De petits modèles de langage apparaîtront pour des tâches et des fonctions spécifiques, améliorant ainsi l’efficacité de l’IA. L’intelligence artificielle de pointe intégrée aux smartphones et aux PC avec des puces de moteur neuronal consommera moins d’énergie que l’infrastructure cloud".
Particulièrement optimiste, le cabinet Forrester estime que l’IA sera très prochainement en mesure d’aider les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) à accélérer leurs recherches. "L’IA peut améliorer les performances des entreprises et réduire l’impact sur les limites de la planète, même dans les secteurs les plus polluants".
L'IA : vectrice d'une transformation profonde
Un constat partagé par le coprésident du Conseil national du numérique Gilles Babinet : "à maints égards, l’intelligence artificielle pourrait être l’une des clés pour parvenir à entrer dans une société résiliente. Comme au début du XIXe siècle, avec l’électricité et le pétrole, les conséquences sur l’organisation sociale et économique pourraient être spectaculaires, plus encore qu’à l’époque du fait de la rapidité avec laquelle ces technologies sont susceptibles de se déployer".
L'IA appliquée au traitement documentaire
De leur côté, les éditeurs français de logiciels dédiés au traitement documentaire s’efforcent, eux aussi, de réduire leur empreinte environnementale tout en intégrant l’IA dans leurs solutions. C’est le cas, par exemple, des processus de dématérialisation où l’intelligence artificielle permet une gestion avancée des documents.
La reconnaissance optique de caractères (OCR) permet de convertir des documents physiques en formats numériques éditables, facilitant ainsi leur manipulation et leur recherche. Mais au-delà de la simple conversion, l’IA offre des perspectives plus vastes. Les algorithmes d’apprentissage automatique permettent de classer et d’organiser les documents de manière intelligente, simplifiant les processus de recherche et d’extraction d’informations pertinentes. L’IA est en mesure de reconnaître les typologies de documents pour les classer. Résultat : l’efficacité opérationnelle augmente et les erreurs humaines diminuent.
La dématérialisation, un autre levier de sobriété
Autre levier de sobriété, la dématérialisation offre une opportunité d’adopter des pratiques plus écoresponsables. Réduire l’utilisation de papier et la consommation d’énergie associée à l’impression de documents contribue à la préservation de l’environnement. En moins de deux décennies, la liste des services dématérialisés s’est considérablement allongée, aussi bien dans le monde professionnel que dans les usages grand public : courrier électronique, signature électronique, archivage électronique… Sans oublier la facturation électronique qui deviendra progressivement obligatoire à partir de 2026 pour l’ensemble des entreprises assujetties à la TVA. Un marché estimé par Bercy à 2 milliards de factures chaque année. Autant de documents qui ne seront plus imprimés et transportés physiquement.
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L’écoconception est un minimum syndical
Le thème de l’intelligence artificielle frugale n’a pas échappé au Conseil économique, social et environnemental (Cese). Dans un avis publié au mois de septembre dernier, le Cese rejoint le constat déjà dressé par d’autres institutions : "l’IA génératrice de contenus marque à présent une rupture : elle nécessite plus d’électricité, de métaux rares, d’eau et d’espaces artificialisés, à la fois dans son aspect matériel (terminaux, réseaux, centres de données) et dans toutes les étapes de son cycle de vie (fabrication, distribution, utilisation et fin de vie). Si cette utilisation de ressources reste encore marginale par rapport à la consommation totale, le développement rapide et massif de l’IA laisse présager une tendance d’aggravation de son empreinte environnementale."
Le Cese en vient à préconiser "six pistes pour développer une IA frugale et à finalité environnementale". À la lecture de ce document, un concept est mis en avant : l’écoconception doit faire partie du minimum syndical lors de la fabrication des machines, "parce que le renouvellement des terminaux est accéléré par le développement de l’IA, et que ces équipements ont un impact environnemental important, dans leur construction comme dans leur fonctionnement".
Au-delà du matériel, le Cese recommande également de concentrer les financements publics de recherche et d’innovation sur les IA à finalité directement environnementale et sur les IA frugales. Et parce que l’IA se conjugue au futur, le Cese plaide pour l’intégration de l’écoconception dès la formation initiale des futurs ingénieurs.
Un référentiel pour réduire l’impact environnemental de l’IA
Face à la multiplication des projets en intelligence artificielle, l’Afnor propose un "Référentiel général pour l’IA frugale" sous forme de bonnes pratiques, téléchargeable librement. Ce document (Afnor Spec 2314) propose des méthodologies de calcul et de bonnes pratiques pour mesurer et réduire l’impact environnemental lié à l’intelligence artificielle.
"Le document est au plus près des besoins terrain et inclut une boîte à outils opérationnelle conçue par et pour les équipes data/IA et RSE dans les entreprises", explique l’Afnor. Car, selon l’organisme de normalisation, mesurer l’impact environnemental de l’intelligence artificielle ne s’improvise pas.
Ce calcul repose sur une série de paramètres : l’équipement, l’empreinte environnementale de l’équipement (incluant les étapes de fabrication, le transport et la fin de vie), l’impact environnemental du mix électrique dans la zone géographique, l’indicateur d’efficacité énergétique du centre de données, l’allocation du temps d’usage de l’équipement pendant toute sa durée de vie, etc.
Au-delà du calcul de l’impact environnemental, l’Afnor propose 31 fiches de bonnes pratiques susceptibles d’être adoptées par le producteur, le fournisseur et le client.