3 questions à Eric Hansen, expert en intelligence économique et systèmes d’informations

Eric Hansen, co-auteur du Marché privé de l’information - Enjeux et perspectives, éd. La Bourdonnaye (2013). DR

 

Expert en intelligence économique et systèmes d’informations, Eric Hansen est co-auteur de l’ouvrage « Le marché privé de l’information – Enjeux et perspectives », éditions La Bourdonnaye (2013).

Qu'est-ce que le marché privé de l'information et quels en sont les acteurs ?
Il s’agit, en deux mots, de la rencontre d’une offre très riche d’informations professionnelles - c’est-à-dire ayant été élaborée et préparée - et d’une demande généralement ciblée émanant de différentes organisations, d’institutions et d’entreprises.

Ces informations servent alors de multiples causes comme la recherche de la véracité d’un événement, l’acquisition d’une connaissance, l’achat de données structurées ou non structurées ou l’acquisition d’un contenu permettant une influence économique, politique ou culturelle… 

Au moment de notre étude, différents cabinets Anglo-Saxons tels que PWC évaluent à 80 milliards de dollars le marché mondial du "B to B publishing market". Et le cabinet Outcell estime l’industrie mondiale de l’information à plus de 460 milliards de dollars.

L’information considérée est financière, industrielle ou relative au marketing. Malgré une récession du secteur des news, le taux de croissance des activités d’agrégation et de syndication est estimé à 15%. Globalement, on note sur la période 2011-2014, une légère baisse du marché nord-américain, une stagnation en Europe (+1%) et une croissance de près de 7% sur la région Asie/Pacifique.

Plus proche de nous, le cabinet SerdaLab évalue le marché de l’information électronique professionnelle en France à 1,6 milliards d’euros en 2010. Les organisations achètent principalement de l’information d’actualité presse et de l’information scientifique (50% d’entre elles), puis de l’information juridique (25%) et enfin tous les autre types : économique, financier, marketing, multimédia, brevets, solvabilité… pour environ 10% d’entre elles.

Précisons également qu’il existe une tension permanente entre « la gratuité » de l’information et son caractère payant en raison de sa valeur économique.

Notre étude qui porte sur la genèse, les enjeux, les stratégies d’acteurs et les risques liés à l’usage d’informations professionnelles dépasse le périmètre traditionnel des marchés du « B to B publishing ».

En premier lieu, nous nous sommes intéressés à toute la chaîne de production, de stockage et de transport de l’information qui représente des enjeux financiers colossaux et donnent lieu à des guerres de territoires économiques au niveau mondial. Donnons exemples de ces marchés mondiaux : les ordinateurs individuels (329 Mds €), les serveurs d’entreprise (53 Mds €), les supercalculateurs (10 Mds €), le stockage d’information (5 Mds €), les semi-conducteurs (307 Mds €), les logiciels (250 Mds €), les logiciels de sécurité (18 Mds €), le Cloud Computing (109 Mds €) et pour finir les Réseaux et Télécommunications (1 660 Mds €).

En second lieu, nous avons étudié le marché du renseignement économique de sources humaines ou « due diligence » dans une acception élargie : audit, recherche et récupération d’actifs, assistance lors d’une procédure judiciaire, enquête sur la fraude et contrefaçon dans l’activité commerciale, vérification de CV…

Comment expliquer la situation d'oligopole exercée par le monde anglo-saxon ?
Un simple rappel historique nous permettra de prendre la mesure. A l’époque des pionniers du renseignement économique vers 1900, les sociétés Dow Jones, Elsevier ou Dun & BradStreet ont commercialisé les premières bases de données sur les risques de crédit et les opportunités de zones géographiques.

A l’âge industriel de 1930 et jusqu’à l’après-Seconde Guerre mondiale, on voit l’essor de la « due dilligence », la création des premières agences de notation bancaire et les études de mass marketing et mass media. Les américains mettent au point les premiers ordinateurs propulsés par les recherches civiles mais surtout militaires.

A partir de 1972 apparaissent ceux qui deviendront les leaders du marché de l’information structurée et non structurée : SAP, Apple, Oracle, IBM, Google, Thomson Reuters, Bloomberg…

Quels sont les atouts de la France dans le domaine du "capitalisme cognitif" ?
Il semble difficile pour la France de rivaliser au niveau mondial avec les grands acteurs anglo-saxons ou asiatiques de l’industrie de l’information structurée comme non structurée. Rattraper notre retard nécessiterait des ressources dont nous ne disposons a priori pas. Néanmoins, nous jouissons incontestablement d’atouts économiques, industriels et culturels dont il est possible de tirer parti sur le informationnel et cognitif.

Nous possédons des domaines d’excellence : le nucléaire, l’énergie, l’environnement, les transports, le BTP, l’industrie touristique, le luxe, la haute couture, la cosmétique, l’art culinaire, l’industrie cinématographique, les jeux vidéos…

Au-delà des dépôts de brevets et des études de marchés, ces domaines constituent vraisemblablement d’importants flux informationnels associés, comme autant de gisements d’informations à collecter, à formaliser et à exploiter en vue d’une commercialisation.

Sur le plan civil, historiquement, la France possède une bonne école de veille technologique (ENSSIB, INTD…). En outre, au cœur du tissus universitaire et industriel, nos centres de recherches ont une capacité considérable à produire des connaissances clés et dans tous les secteurs.

En matière de réseaux et d’influence, nous avons naturellement un espace culturel à occuper au sein de la francophonie. Rappelons aussi que la France est cofondatrice des principales organisations internationales existantes aujourd’hui. Au niveau de l’état, nous disposons d’un maillage puissant d’ambassades et de chambre de commerces. Mais sont-elles utilisées aujourd’hui à leur juste valeur stratégique ? Changer les choses ne nécessiterait pas forcément beaucoup de ressources, mais plutôt une volonté certaine…

En terme de Défense, nos services de renseignements « terrain » sont réputés pour leur savoir-faire. Il est toutefois regrettable que la création de synergies avec la sphère économique et industrielle française ne figure pas dans leur doctrine, ni leur prérogative.

Enfin notre étude a mis en exergue quelques-unes des bonnes pratiques permettant à une organisation d'entrer dans le capitalisme cognitif :

- La constitution d’un capital informationnel (typiquement sous la forme d’une base de données) ;
- La constitution d’une emprise sur un secteur d’activité (placé de marché…) ;
- La création d’un passage obligé pour des décisions économiques ;
- L’agrégation des comportements individuels dans la sphère numérique.

Sur la base de ces éléments, il est possible d’émettre quelques suggestions dans le but de rendre la France plus performante et plus influente sur le marché de l’information :

- La définition d’une stratégie de recueil et d’usage des informations en rapport avec la fréquentation touristique de la France, dans le but de cibler des besoins et des débouchés pour les produits français ;
- La réappropriation de l’histoire française du renseignement économique au service de la conquête des marchés ;
- Le suivi systématique des groupes français présents sur un ou plusieurs marchés de l’information dans le but de les sensibiliser aux implications en termes de constitution de capital informationnel et de conquête des marchés ;
- L’adoption d’une posture de franc-tireur par rapport aux acteurs désormais dominants du web en insistant sur le non-pillage des données (y compris pour tout ce qui concerne l’open data) et sur le droit des individus à posséder leurs données ;
- L’adoption d’une posture de résistance pour la langue française afin que l’usage de celle-ci soit liée à une philosophie alternative de la possession et de l’usage des données (y compris pour tout ce qui concerne l’open data) ;
- L’audit systématique du capital informationnel des groupes français afin d’en évaluer la pertinence en regard à des problématiques de conquête des marchés et de renseignement économique ;
- Enfin, une politique nationale davantage ouverte sur l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité des domaines d’enseignement ; et d’autre part, qui promeut la mixité des profils de formation et une adaptation des cursus professionnels tout autant dans le secteur public que le secteur privé au service du développement de notre économie française (y compris pour tout ce qui concerne l’entreprenariat).

Les podcasts d'Archimag
Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.