Annoncé depuis plus de dix ans, le bulletin de paie électronique (BPE) est aujourd'hui mieux affirmé par la loi et n'attend qu'à se généraliser. Reste à savoir sous quelle forme.
Entériné par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, et accepté par le Code du travail, l’usage du bulletin de paie électronique s’inscrit depuis plusieurs années déjà dans la transformation digitale des entreprises et répond à une volonté de simplification des processus comptables. Il est aujourd’hui poussé par l’article 24 de la réforme du code du travail (dite loi El Khomri) qui prévoit qu’au 1er janvier 2017, toutes les entreprises du secteur privé seront concernées, quel que soit leur effectif salarial.
Le bulletin de salaire électronique par défaut
La loi El Khomri inverse, en effet, la règle d’option de la loi de 2009 et fait du bulletin de paie électronique la solution de droit commun, tout en permettant au salarié de demander le maintien ou le retour à une diffusion sous format papier de son bulletin de paie. Ce cadre juridique existe dans la plupart des pays européens, sans que cela n'ait soulevé de critique particulière de la part des salariés et de leurs représentants. Il incombe toutefois à l’employeur de fournir un service de conservation des données garantissant la pérennité de ces bulletins de paie et permettant d’identifier l’émetteur (l’employeur) afin d'éviter la fraude. Ce qui rend délicate la transmission du BPE par simple mail, et ce, afin d’éviter toute perte ou interception. Celui-ci doit donc être stocké dans un espace personnel sécurisé auquel seul le salarié a accès, et ce gratuitement.
Un problème, trois solutions !
Aujourd’hui, plusieurs solutions s’offrent aux entreprises pour assurer la conservation de la valeur probante des documents à long terme et permettre aux utilisateurs d'y accéder de manière sécurisée :
- les solutions d’entreprises conformes à la norme Afnor NF Z42-025, qui garantit la sécurité de la diffusion et de la conservation des bulletins dématérialisés. Cette norme prévoit des recommandations minimales et complémentaires sur la diffusion (modalités de l’accord du salarié), sur la sécurité de la conservation (notamment en cas de défaillance de l’opérateur), mais aussi sur l’intégrité des documents conservés (garantie contre la falsification par des techniques comme le scellement numérique) ;
- les coffres-forts électroniques opérés par des tiers de confiance. La fourniture à tous les salariés d’un compte personnel de formation (CPF) depuis le 1er janvier 2015, amené à se transformer en compte personnel d’activité (CPA) en 2017, constitue d'ailleurs une possibilité. “Cette solution de coffre-fort électronique public est une voie prometteuse et pourrait donc également accueillir les bulletins de paie des salariés en France, avec les garanties de pérennité de conservation et de confiance qu’assure l’Etat”, explique Jean-Christophe Sciberras, ex-conseiller technique au sein du cabinet ministériel de Martine Aubry (alors ministre du Travail) dans son rapport “Pour une clarification du bulletin de paie”. Le coffre-fort pourrait ainsi, à terme, abriter d'autres types de documents comme les demandes de congés, les bulletins d'intéressement ou de participation, etc.
- le projet déployé par l’Etat pour les fonctionnaires consistant dans la mise à disposition du bulletin de paie dans un espace individuel sécurisé. Ce projet a été testé fin 2015 chez les militaires, pour un pilote en 2016 et une généralisation en 2018.
Une histoire de sous
Quelle que soit la solution choisie, la dématérialisation permettrait de faire de 10 à 32 centimes d’économie par bulletin de paie. En effet, le coût de diffusion dématérialisée atteint 10 centimes par bulletin, alors que celui de la diffusion papier (hors affranchissement) dépasse les 20 centimes et grimpe jusqu’à 42 centimes avec l'affranchissement. Sauf que les coffres-forts électroniques aussi ont un coût (il s'agit le plus souvent d'une licence Saas en fonction du nombre d'utilisateurs) et que celui-ci varie selon la durée de conservation choisie : 15 centimes par bulletin pour 5 ans de conservation (durée minimale fixée par l’article L. 3243-4 de la loi travail) et jusqu’à 42 centimes pour 50 ans (durée légitime du parcours professionnel d'un salarié pouvant être ajoutée comme option à la norme Z42-025). Et ce, hors coût d'intégration et développement spécifique.
Quid de l'envoi par mail ?
Et qu'en est-il de l'envoi du bulletin de paie par mail ? La loi reste floue sur le sujet, mais dans le texte, rien ne l’interdit. L'article 1369-3 du Code civil autorise, en effet, l'envoi d'informations à un professionnel par mail et l'article 1316-3 du même code donne la même force à l'écrit électronique qu'à celui sur papier. L'employeur devra cependant veiller à bien respecter les mentions des articles R. 3243-1 à R. 3243-6 du code du travail, à savoir pouvoir être identifié et présenter le bulletin dans un format qui ne peut pas être modifié. Le vrai problème vient de la nécessité de stockage qui doit durer cinq ans pour l'employeur et cinquante ans - dans les bonnes pratiques - pour l'employé. Le coffre-fort électronique semble alors inévitable.
Passage en force
Malgré les bienfaits incontestés de la dématérialisation, on peut malgré tout se demander si cette modification de la loi n’est pas un peu prématurée. Surtout du côté des petites entreprises qui n'auront pas forcément les moyens de passer par un prestataire de service, sans compter que bon nombre risquent de se montrer réfractaires à ce système, en raison du surcoût d'une impression à domicile et de la peur de la perte des données avec le temps. In fine, on risque de voir augmenter le nombre de bulletins de paie imprimés au bureau et envoyés par mail, ce qui va créer de nouveaux conflits quant à la légitimité des documents.
Enfin, ce passage forcé à la dématérialisation met en exergue deux éléments :
- primo, le fait que la France soit très en retard en matière de dématérialisation. Une étude Solvay révèle que le taux de dématérialisation est seulement de 15 % en France, contre 95 % en Allemagne, 73% en Grande-Bretagne, 57% en Italie et 54 % en Belgique. Les freins à la dématérialisation sont principalement liés à l’inégalité des salariés devant les outils informatiques et dans l’accès à internet. Quant aux facteurs de réussite, ils résident dans la recherche par l’entreprise d’une réduction de coûts et la réponse aux attentes des jeunes collaborateurs.
- secundo, le fait que le bulletin de paie reste un usine à gaz. En France, il possède 40 lignes contre 15 en Allemagne, 14 aux Etats-Unis et 12 au Japon. Et sa production et gestion coûtent cher, trop cher.
C’est donc dans une volonté de redonner du sens au bulletin de paie et de rendre plus compréhensible les fondements du système français de solidarité, que le gouvernement a décidé de donner nouvel élan à la dématérialisation, avant peut-être une simplification pure et dure du document lui-même. Mais cela est une autre histoire.