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La preuve numérique au cœur des enquêtes pénales

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    Chaque action de la vie physique se duplique numériquement. Par exemple, les données issues d’une géolocalisation permettent de connaître la localisation et les déplacements d'un suspect (Freepik).
  • Aveu, test génétique, témoignage... En procédure pénale, plusieurs preuves peuvent être collectées afin de démontrer la culpabilité d’un suspect. Parmi elles, la preuve numérique occupe une place centrale, à l’aune de la numérisation de nos sociétés.

    enlightenedRETROUVEZ CET ARTICLE ET PLUS ENCORE DANS NOTRE GUIDE PRATIQUE : DROIT DE L'INFORMATION, 6E ÉDITION
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    alice_mornet_enquetes_penales_preuve_numerique.pngS'il apparaît difficile de définir la preuve numérique, il est en revanche certain qu’elle peut être recueillie au moyen des techniques d’enquête numériques. Reposant sur l’exploitation des réseaux ou des appareils y étant connectés, celles-ci ne cessent de s’étendre. Sans prétendre à l’exhaustivité, peuvent être mentionnés les écoutes téléphoniques, les perquisitions informatiques, les géolocalisations ou encore le recours aux drones.

    L’intérêt pénal de la preuve numérique explique cette extension, également portée par les progrès techniques. Chacun, aujourd’hui, dispose d’un smartphone et/ou d’un ordinateur, connectés à internet, grâce auxquels il communique, navigue, crée, achète... Autrement dit, chaque action de la vie physique se duplique numériquement.

    Les milliards de données générées suscitent la convoitise des enquêteurs en ce qu’elles dessinent un portrait parfait du suspect. Par exemple, les données issues d’une géolocalisation leur permettront de connaître sa localisation et ses déplacements ; celles issues de son historique de navigation, ses goûts et centres d’intérêt; celles issues de ses fadettes téléphoniques, ses contacts et leurs fréquences.

    Malgré cet intérêt, la preuve numérique se révèle fuyante. Intrinsèquement technique, sa définition apparaît difficile, tout comme la construction d’un régime juridique cohérent. Il convient donc de préciser ce qu’elle recouvre avant de présenter son régime procédural.

    Lire aussi : 36 tribunaux judiciaires ont déjà déployé la procédure pénale numérique

    Preuve numérique : une définition précisée

    S’il n’existe aucune définition légale ou doctrinale unanime de la preuve numérique, il est possible de décomposer ses éléments pour tenter de l’appréhender. D’une part, la "preuve" peut être définie comme le "moyen permettant d’affirmer l’existence ou la non-existence d’un fait" (R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Cujas, 1979, p. 151.).

    D’autre part, l’adjectif "numérique" renvoie à "la représentation de l’information ou de grandeur physiques (images, sons) par un nombre fini de valeurs discrètes, le plus souvent représentées de manière binaire par une suite de 0 et de 1" (Conseil d’État, Le numérique et les droits fondamentaux, La documentation française, 2014, p. 9.).

    Partant, toute suite de chiffres ou de nombres démontrant la véracité d’un fait semble pouvoir constituer une preuve numérique. Une telle définition la rapproche alors d’une autre notion dont les contours sont plus nets : la donnée.

    La synonymie entre la donnée et la preuve numérique se révèle à l’étude des dispositions du code de procédure pénale relatives aux techniques d’enquête numériques. Par exemple, selon l’article 57-1 de ce code, une perquisition informatique a vocation à recueillir les "données intéressant l’enquête".

    De même, d’après l’article 230-8, Une géolocalisation doit assurer la collecte de "données de localisation". Toutefois, cette seule synonymie ne suffit pas et certaines précisions doivent être apportées quant à la nature des données concernées.

    D’abord, il convient de noter qu’il s’agit de données à caractère personnel en ce qu’elles se rapportent à une personne identifiée ou identifiable. Ensuite, il faut souligner leur grande diversité. En effet, alors qu’une géolocalisation assure le recueil de données de localisation, une interception de communication permet de découvrir le contenu d’un échange. Enfin, il faut bien comprendre que les données en cause ne présentent pas la même sensibilité.

    Lire aussi : Signature électronique : quelles conditions pour l'utiliser comme preuve ?

    Il est possible de distinguer trois catégories dégagées, progressivement, par les juges (À ce sujet, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est particulièrement riche : CJUE, 2 oct. 2018, Ministerio Fiscal, C-207/16; CJUE, 21 déc. 2016, Tele2 Sverige AB, C-203/15, C-698/15; CJUE, 6 oct. 2020, La Quadrature du Net, C-511/18, C-512/18, C-520/18.) et le législateur (Art. L.34-1, Code des postes et descommunications.) :

    • les données d’identité, renvoyant aux éléments d’identification ou aux instruments de paiement
    • les données de trafic et de localisation, recouvrant, par exemple, les coordonnées satellites ou la source et la destination d’un message
    • les données de contenu qui renvoient aux messages transmis

    Fondée sur le degré d’intimité de la donnée, cette catégorisation a été dégagée à propos des réquisitions judiciaires adressées aux opérateurs de communications électroniques. Elle pourrait désormais être généralisée et servir de base à l’édification d’un encadrement cohérent des techniques d’enquête numériques. 

    Un régime en construction  

    En portant sur des données à caractère personnel, les techniques d’enquête destinées à collecter la preuve numérique fragilisent les droits fondamentaux des suspects. De ce fait, le Code de procédure pénale les soumet à une trilogie de garanties :  

    • premièrement, une exigence tenant à la gravité de l’infraction suspectée est souvent imposée. Ainsi, les géolocalisations (Art. 230-32, Code de procédure pénale (CPP) ou les réquisitions judiciaires portant sur des données de trafic (Art. 60-1-2, CPP) ne peuvent être mises en œuvre que si l’infraction est punie d’au moins trois ans d’emprisonnement. Certaines techniques, en revanche, échappent à toute exigence de gravité, à l’image des perquisitions informatiques (Art. 57-1, CPP)
    • deuxièmement, la durée de la mesure est parfois limitée. Par exemple, les géolocalisations ne peuvent, en principe, excéder huit jours (Art. 230-33, CPP). De même, l’interception de correspondances (Art. 706-95, CPP. Durant l’instruction, cette mesure est limitée à quatre mois, renouvelables dans la limite d’un an ou, si l’infraction relève de la criminalité organisée, de deux ans : Art. 100-2, CPP) et l’usage des drones (durant l’instruction, le recours à ce dispositif est autorisé pour quatre mois, renouvelables dans la limite de deux ans : Art. 230-48, CPP) sont limités à un mois, renouvelable une fois
    • troisièmement, le recours aux techniques d’enquête numériques est majoritairement soumis à une autorisation. Le procureur de la République et le juge des libertés et de la détention se partagent cette tâche. Par exemple, alors que le premier autorise l’usage d’un drone (Art. 230-48, CPP), le second intervient s’agissant des opérations de sonorisation (Art. 706-95-12, CPP). L’intensité des garanties fluctue donc selon la mesure, sans qu’une cohérence d’ensemble apparaisse spontanément. 

    Lire aussi : Conférences en vidéo : penser juridique - partie 1 

    Toutefois, certains éléments permettent d’expliquer ces variations. D’une part, les techniques d’enquête soumises à une condition de durée sont essentiellement celles qui consistent à intercepter, en temps réel, un flux de données et non pas seulement à recueillir des données stockées. D’autre part, dès lors que la mesure porte sur des données de contenu, l’exigence de gravité est imposée.  

    S’agissant de la qualité de l’organe d’autorisation, en revanche, la logique semble introuvable. En effet, l’usage des drones, consistant à intercepter des données de contenu, est subordonné à l’autorisation du procureur de la République (Art. 230-48, CPP). Parallèlement, les géolocalisations supérieures à huit jours nécessitent celle du juge des libertés et de la détention, alors qu’elles portent sur des données moins sensibles (Art. 230-33, CPP).  

    Difficilement explicables, ces différences sont de surcroît contraires à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui exige, lorsque sont concernées les données de trafic, de localisation ou de contenu, l’intervention d’une autorité indépendante et impartiale, qualités que ne présente pas le ministère public français  (CJUE, 5 avr. 2022, G.D. c/ Commissioner of An Garda Síochána, C-140/20).  

    Le régime juridique de la preuve numérique se construit, mais doit être abouti. Pour ce faire, le législateur doit observer la nature de la donnée et la temporalité de la technique d’enquête, seuls critères permettant de mesurer la gravité de l’ingérence portée dans les droits fondamentaux (Pour une proposition de régime : A. MORNET, "Vers un droit commun de la preuve numérique ?", Lexbase pénal, n° 57, févr. 2023).

    Alice Mornet
    [Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles - Responsable pédagogique de la Licence professionnelle sécurité des biens et des personnes Avignon Université]

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