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Face à la vague IA, les documentalistes juridiques entre attraction et attentisme

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    "Les documentalistes juridiques ont déjà survécu à plusieurs vagues technologiques", explique Emmanuel Barthe, documentaliste juridique et auteur du blog Precisement.org. (Freepik Premium)
  • L’information juridique n’échappe pas à la "hype" IA et les promesses des outils proposés par les éditeurs font saliver les documentalistes et les veilleurs du domaine. Des voix s’élèvent également pour souligner les limites de l’intelligence artificielle appliquée à la documentation juridique.

     archimag_384couv_bd.jpgenlightened CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°384 : Secteur public : comment l’administration pilote sa digitalisation

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    "En plusieurs décennies, notre métier a connu une avalanche de révolutions technologiques !" C’est ainsi que s’exprimait une documentaliste juridique lors d’une rencontre Juriconnexion, qui s’est tenue au mois de mars dernier à Paris, sur le thème de l’intelligence artificielle dans l’information juridique. De fait, la profession est passée de volumineux ouvrages de doctrine juridique aux bases de données, en passant par les logiciels de gestion de documents juridiques. Sans oublier les moteurs de recherche spécialisés et les outils de veille dédiés au droit.

    beatriz_chatain-veille-juridique.jpgPour Beatriz Chatain, directrice du KM chez CMS Bureau Francis Lefebvre et vice-présidente de Juriconnexion, l’intelligence artificielle est désormais bien au rendez-vous de l’information juridique et ses apports ne sont guère contestables : "l’IA est particulièrement utile pour des recherches précises, où les mots clés peuvent être limitants, ou bien pour identifier des sources avec Perplexity AI, par exemple". Selon elle, les outils des éditeurs sont utiles, car les sources sont bien connues. "Ils peuvent faire gagner du temps", poursuit Beatriz Chatain. "La vérification de la pertinence des sources est plus simple lorsque l’on connaît le fonds. Grâce aux “agents” de Copilot et à l’intégration d’autres outils Microsoft, l’orchestration (exécution automatisée des tâches complexes) devient possible. Cela suppose de disposer d’autres ressources financières et humaines pour la gestion de la veille".

    Et ses atouts ne se limitent pas à ces opérations spécifiques : "l’IA permet également d’utiliser son expertise pour évoluer vers d’autres rôles (Legal ops, chef de projet juridique, etc.) ou de se former à de nouvelles tâches indispensables, comme à la formation à l’IA, par exemple."

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    "Avez-vous testé quelque chose de probant à ce sujet ?"

    jean_gasnault-documentaliste-juridique.jpgDe son côté, le président de Droit.org et administrateur de Juriconnexion Jean Gasnault se montre prudent avec la transformation promise par l’IA : "en dehors de mettre du bazar dans les budgets documentaires ? Difficile à dire ! Il y a les promesses de l’IA sur l’interaction informations externes et rédaction de documents internes, mais il est trop tôt pour dire si elles seront tenues. Qu’apportent réellement les produits intégrant le plus d’IA dans la recherche et la gestion des résultats, comme Doctrine, Dalloz ou Lexbase ? Peut-on programmer un prompt pour qu’il se répète ? Peut-on exploiter des résultats sous la forme d’un flux RSS ? Avez-vous testé quelque chose de probant à ce sujet ? Cela dit, un bot (comme ceux de Dalloz, Lexbase ou Mistral AI) permet une bonne exploration de l’univers lexical et normatif pour programmer une veille thématique dans un domaine de droit mal connu."

    Un point de vue attentiste qui rejoint celui d’Emmanuel Barthe, documentaliste juridique et auteur du blog Precisement.org : "les documentalistes juridiques ont déjà survécu à plusieurs vagues technologiques. On automatise le raisonnement, mais on continue aussi de faire appel à des sources non numérisées et qui ne le seront pas de sitôt, car les géants de l’IA (les grands LLM) ne s’intéressent guère, à ce jour, au domaine juridique. Les cabinets qui feront le pari de conserver ou de numériser leurs ressources papier disposeront d’un avantage considérable."

    Une chose est sûre, la mise à niveau des veilleurs et documentalistes juridiques s’avère indispensable pour la prise en main des nouveaux outils qui arrivent régulièrement sur le marché. "Mais il faut former tout le monde, et avant tout les décideurs", estime Jean Gasnault. "Cela optimisera les chances de tout projet de valorisation du savoir-faire par l’IA. Le dialogue des acteurs et la recherche de convergences à partir de différentes expériences mettent en évidence les cas d’usage qui serviront à tester les ébauches successives du produit espéré. Cette formation élargie est une garantie pour aller du rêve à la réalité."

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    Un gain de temps considérable

    De leur côté, les éditeurs de logiciels se sont, eux aussi, approprié l’IA pour l’intégrer dans leurs solutions. "L’intelligence artificielle révolutionne totalement les métiers de l’information et de la gestion documentaire", constate PMB Services. "Que ce soit pour générer des textes ou des images, faciliter les recherches ou encore traduire des documents dans d’autres langues, elle oblige les éditeurs à s’emparer de ces technologies".

    florent_tetart_pmb_services-enquete-veille-juridique.jpgPour Florent Tétart, responsable de l’innovation chez cet éditeur, "l’IA permet, par exemple, de trouver très rapidement une information située dans la doctrine à partir d’une question posée en langage naturel. Elle peut également y associer la jurisprudence et la réglementation en cours. Cela représente un gain de temps considérable. Dans le domaine de la veille pure, l’IA peut filtrer la collecte via un prompt. Grâce aux opérateurs booléens, le prompt sélectionne très précisément les informations les plus précises et peut être mis en production à un rythme quotidien".

    Sous le capot, l’éditeur utilise des modèles libres, comme ceux de la pépite française Mistral qui sont jugés "très performants". De différentes tailles, ces modèles sont mis à disposition sur le site de Mistral et sur la plateforme de partage de modèles Hugging Face, qui propose plusieurs milliers de modèles spécialisés dans les domaines du droit, de la médecine, etc.

    Lire aussi : L’IA générative au service de la veille juridique

    Des interactions en langage naturel

    D’autres acteurs bien connus du domaine ont investi le terrain de l’IA depuis plusieurs années déjà. En 2023, l’éditeur Lefebvre Sarrut dévoilait GenIA-L, une IA générative intégrée à des bases de données capable de réaliser des interactions en langage naturel avec les utilisateurs et de proposer des recommandations contextualisées. Grâce à des mises à jour régulières, l’outil apporte des arguments de doctrine administrative "pour et contre", ainsi que des conseils et explications juridiques détaillés.

    L’an dernier, c’était au tour de LexisNexis de lancer Lexis+ AI France, une solution capable de générer des résultats qui s’appuient sur l’ensemble du contenu juridique de LexisNexis en fournissant les liens directs vers les sources citées dans ses réponses. Sur le modèle des IA grand public, il suffit d’adresser une instruction à Lexis+AI France : "rédige-moi une lettre dénonçant la prorogation tacite d’un engagement de conservation…". L’outil édite alors un courrier accompagné des références nécessaires.

    Autant de promesses qui posent l’inévitable question de la menace de l’IA sur les métiers de l’information juridique. "Juriconnexion a mené à bien quatre événements sur le sujet pour répondre à chaque fois par la négative", rappelle Jean Gasnault. "Les documentalistes - qui ne sont plus vraiment des documentalistes - sont probablement les seuls qui pourront répondre aux autres questions posées par l’IA. Parce qu’ils veillent à l’évolution de la transformation numérique et ont les moyens de vérifier ce qui sera proposé à l’avenir. La "hype" ne passe pas par eux."

    Un point de vue qui rejoint celui d’Emmanuel Barthe : "seule une partie de nos métiers sera affectée par l’intelligence artificielle. L’IA va d’abord concerner les juristes et le droit pur".

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    La photographie possède un pouvoir fascinant : celui de capturer un instant et de le figer pour l’éternité. Elle raconte des histoires, qu’elles soient personnelles ou collectives, qui traversent le temps et façonnent notre passé, notre présent et notre futur. C’est pourquoi les albums de famille jouent un rôle si important dans la construction de nos souvenirs. Mais avec l’avènement de l’intelligence artificielle générative, capable de créer des images de plus en plus proches de la réalité, une question se pose : comment cette technologie va-t-elle influencer notre mythologie familiale ? Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie, explore depuis longtemps nos relations avec les technologies. En cherchant à recréer une photographie de son enfance, il s’est intéressé aux liens entre mémoire, photographie et intelligence artificielle. Il revient sur l’origine de son livre "Le jour où j’ai tué mon frère - Quand l’IA fabrique la photographie de nos souvenirs", publié aux Éditions Lamaindonne.
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