Jean-Paul Amoros est président de CDO Alliance (chief digital officer), une association qui aide les entreprises à réussir leur mutation digitale par le benchmark des meilleures pratiques stratégiques, managériales et commerciales ; il est aussi vice-président du Crip (Club des responsables d’infrastructure et de production).
Quelles sont les activités de CDO Alliance ?
Cette association rassemble tous les acteurs de la transformation numérique dans l’entreprise dont des chief digital officers. CDO Alliance est née de la vision de personnes plutôt issues du monde des technologies qui constent la "commoditisation" des technologies et un déplacement de la valeur ajouté vers les métiers. En 2007, nous avions déjà créé le Crip (Club des responsables d’infrastructure et de production) qui regroupe des experts dans l’univers des technologies et infrastructures informatiques sur la base d’un modèle de club fermé d’entreprises qui partagent leurs retours d’expérience ; CDO Alliance est bâtie sur ce même ADN.
La différence, c’est que CDO Alliance est plutôt destiné aux acteurs métier qui utilisent le digital et moins ouvert aux informaticiens. Les adhérents sont des utilisateurs et non pas des fournisseurs. Tous les mois, nous organiserons un colloque autour d’intervenants, nous en avons déjà tenu deux, l’un avec Henri Verdier, directeur d'Etalab et administrateur général des données, sur l’open data et l’autre avec François Bourdoncle, cofondateur d'Exalead, aujourd'hui filiale de Dassault Systèmes, et président de FB&Cie. Notre volonté est de faire monter en compétence les entreprises dans le monde du digital.
CDO Alliance est aussi l’occasion de mettre en relation des dirigeants venant de secteurs différents.
Qu’est-ce qu’un chief digital officer ?
Le chief digital officer (CDO) est l’acteur de la transformation numérique de l’entreprise, en général nommé par le PDG. Il est bien souvent membre du comité exécutif. Il n’est d’ailleurs pas le seul acteur. La transformation est l’affaire de tous. Les directions de la relation client, les ressources humaines, la DSI sont des moteurs majeurs de cette transformation. Une de ses missions est de s’assurer de la diffusion de cette nouvelle culture numérique au sein de l’entreprise.
Qui occupe la fonction de CDO dans l’entreprise : le DSI ? le DRH ? le marketing ?
Sans faire de généralité, on constate que les CDO sont davantage issus des directions métier (marketing…), plutôt que des fonctions plus transverses de l’entreprise (RH, SI). Et en général ils ont plutôt une grande connaissance du business et une grande connaissance de l’écosystème dans lequel l’entreprise évolue. Il ne s’agit pas d’avoir une approche produit ; il s’agit d’avoir une approche écosystème et service rendu au client ou à l’usager : on parle en général de user experience.
Le CDO doit éclairer son comité de direction sur les enjeux de l’écosystème dans lequel l’entreprise évolue, mais aussi sur les partenaires avec lesquels elle peut s’associer. Le CDO va plutôt fédérer les initiatives de la transformation numérique au sein de l’entreprise pour que tout le monde monte en régime et que toutes les business units montent en maturité.
Mais au-delà d’être un catalyseur, il peut dans certaines entreprises porter aussi une activité business digitale, comme par exemple la vente directe par internet de produits là où l’entreprise n’aurait par exemple pas de canaux de distribution traditionnels.
A vous écouter, toutes ces actions relèvent quasiment de la direction générale…
Oui, vous avez raison : la transformation digitale ne peut se faire que si l’impulsion vient de la direction générale. Un CDO est là pour éclairer l’impact du digital sur la stratégie de l’entreprise. Le digital devient un « enabler » pour le business de l’entreprise.
Quelle sera votre prochaine action concrète ?
CDO Alliance va prochainement organiser une série de hackathons sur le thème du citoyen dans la ville. Nous disposons de données en open data et nous travaillons avec la mission Etalab pour exploiter ces données. Nous les mettrons à disposition des entreprises. Nous espérons développer des applications utiles aux citoyens : trouver une pharmacie de garde ; aider dans les transports, signaler des dégradations…
Le prochain hackathon sera un hackathon nouvelle formule qui sera co-organisé avec l’association « femmes mobiles », qui vient d’être créée pour promouvoir la participation des femmes sur les sujets numériques et du big data. Pas de nuit sur place, ni bière, ni pizza, on y mangera sainement, et différentes compétences seront présentes : développeurs bien sûr, mais aussi marketing, financiers, juristes, sociologues, philosophes. On y pratique l’intelligence collective en temps réel. Le but est de travailler ensemble, pas de compétition. Des conférenciers, universitaires, acteurs de la nouvelles économie, journalistes, etc. éclairent aussi la journée. En préalable au hackathon, se déroulera une première matinée de brainstroming et d’idéation, ouverte aux candidatures des entreprises qui souhaitent se joindre à l’opération.
Tous les secteurs de l’économie sont-ils concernés par cette transformation digitale ?
Oui, l’industrie traditionnelle et les entreprises de services rêvent d’aller vers le numérique, mais les entreprises nativement digitales rêvent de leur côté d’entrer dans l’industrie et l’économie réelle, comme par exemple Elon Musk, propriétaire de Paypal (revendu à Ebay) qui a créé ensuite SpaceX en 2002, puis cofondé Telsa et Hyperloop.
Y a-t-il des niveaux de maturité différents selon les entreprises ?
Il y a différents types de transformation digitale, que nous avons appelés quick win, change the rules et change the game. Nous analysons les retours d’expérience que nous partageons avec nos adhérents sur cette échelle. Et les entreprises qui vont vers le digital peuvent mettre en place des projets sur ces trois domaines. Si l’on prend le business d’un stade qui peut servir à organiser différents types d’événement (concert, match…) et que l’on souhaite digitaliser cette activité, un premier stade de type quick win serait d’équiper le stade en wifi pour que les participants puissent disposer d’accès à internet.
Le niveau change the rules serait par exemple de proposer aux participants de pouvoir visualiser l’événement sur leur smartphone suivant différentes caméras et par exemple avoir une fonction replay pour revoir une action de jeu. Enfin le niveau change the game serait pour un stade de disposer d’une base de clients et devenir lui-même opérateur d’événement en ayant une très bonne connaissance du type d’événement qui permettra de maximiser le remplissage d’un stade. Pour faire un parallèle, c’est Netflix qui après avoir diffusé du contenu se met à faire des séries télé sur la base de sa connaissance des attentes de ses clients.
Existe-t-il d’autres éléments caractéristiques du passage au monde digital ?
L’autre élément qui permet d’identifier les entreprises qui se sont engagées dans la transformation numérique est la démarche de human centricity, soit se centrer sur l’humain. Nous avons identifié sept domaines d’expérience utilisateur centrés sur l’humain, soit : l’humain dans sa ville et son domicile (smartcity, smarthome), l’entertainment ou domaine de l’émotion (stades connnectés...), l’humain en déplacement (transport, hébergement…), supply chain (Amazon…), la gestion des actifs (assurance, banques), la santé et bien-être et, enfin, l’humain citoyen ou en général le domaine non commercial (enseignement…).
Donc sur cette base toutes les entreprises sont engagées dans la transformation numérique, la question principale est je pense de ne pas rater les transformations de type change the game qui doivent être en visibilité de la direction générale, et faire attention que la transformation digitale ne se limite pas seulement aux quick wins et change the rules qui sont par ailleurs aussi nécessaires.