L’image du lobbyiste, type "House of cards", utilisant des réseaux occultes pour manipuler des décisions publiques est un mythe bien éloigné de la réalité. Les lobbyistes modernes font partie intégrante du processus législatif, agissent dans un cadre ou la transparence prime, et s’appuient sur des méthodologies de communication structurées et éprouvées.
Les entreprises développant des stratégies de lobbying ont des objectifs très variés allant de la protection de leur modèle économique au respect des règles de concurrence par leurs concurrents. Leurs méthodes de communication varient en fonction de ces objectifs, mais la méthodologie schématisée en 7 points dans la figure 1 résume l’approche générale pour le développement d’une campagne d’influence.
1 - Etat des lieux
La première étape est un état des lieux du débat politique, c’est la phase de découverte (points 1,2 et 3). Concrètement, il est important d’identifier l’origine de l’idée et le raisonnement de l’intervention publique, les options techniques, technologiques et économiques disponibles pour traiter la problématique, ainsi que la perception du débat, de l’entreprise et de ses adversaires par l’opinion publique et les médias.
L’entreprise devra aussi identifier les acteurs les plus influents du débat et déterminer une cartographie de leurs positions respectives. Ces acteurs peuvent être répertoriés en fonction de leur position connue, de leur degré d’influence, de leur proximité avec l’entreprise ou même de la cause défendue.
contribution des acteurs
Cette étape permet un meilleur positionnement de l’entreprise. Chaque type d’acteur, par le biais d’alliances, peut contribuer à sa façon à une campagne. Les clients peuvent être utiles pour démontrer l’importance d’un produit ou d’un service alors que la communauté scientifique permet d’avancer des arguments d’autorité.
La représentation classique de cette cartographie se présente comme dans la figure 2.
2 - Définition des objectifs, des messages et des outils de communication
Une fois que l’entreprise a une vision claire du débat dans son ensemble, la phase de définition des objectifs, des messages et des outils de communication (4 et 5) peut commencer. Il est important de définir des objectifs réalistes dans le cadre d’un débat impliquant une multitude de parties prenantes aux positions opposées. Nier l’existence d’un problème ou rejeter toute forme d’intervention publique est souvent inacceptable et ne permet pas d’entamer le dialogue nécessaire à une campagne d’influence.
processus d’éducation
Sur la base de ses objectifs, l’entreprise devra développer des messages clairs, simples et adaptés aux différents publics concernés. Un principe essentiel de l’influence est qu’elle est plus efficace lorsqu’elle passe par un processus d’éducation que par un processus d’imposition. Il convient donc de privilégier les messages et formats qui amènent les publics cibles à développer « par eux-mêmes » une opinion aussi proche que possible des objectifs fixés.
Des outils de communication doivent être créés pour
véhiculer ces messages. Dans le cadre d’une campagne d’influence le document de base est le « position paper ». Il détaille la position d’une organisation et est généralement composé de deux parties. D’une part, une introduction simple et concise présentant la position de l’organisation et articulant l’argumentaire général utilisé avec les parties prenantes. D’autre part, une présentation détaillée des options préconisées par l’auteur et comportant, idéalement, des propositions de modification concrètes à la proposition législative discutée.
3- Engagement
Une fois les positions et outils définis l’organisation va engager un dialogue avec l’ensemble des acteurs du débat. C’est la phase d’engagement (6 et 7).
Le cœur d’une campagne d’influence est évidemment la communication avec les institutions politiques. Cette dernière varie en fonction de la nature de celles-ci (exécutives, législatives ou réglementaires) et des traditions culturelles et politiques du pays concerné. Cependant il existe des principes de base :
- Comprendre les capacités d’assimilation et d’analyse des récipiendaires afin d’adapter le message a leurs capacités. Un gouvernement n’a pas la même capacité technique d’assimilation qu’un assistant parlementaire. Un rapport technique de 400 pages pourra être pris en compte par une administration, pas par un parlementaire isolé.
- Se concentrer sur les 80% des acteurs qui ont une position indécise et ignorer les 20% qui sont déjà acquis à votre cause ou qui en sont de farouches adversaires. Ainsi il est inutile pour l’industrie nucléaire d’essayer de convaincre les Verts de ses mérites.
- Connaître l’agenda décisionnaire, les procédures et les opportunités de dialogue qui en découlent. L’adoption de décisions publiques respecte une procédure légale qui peut être utilisée par le lobbyiste, tout comme un avocat pénaliste le ferait, pour gagner sur la forme. Par ailleurs, les institutions politiques ont parfois intégré à ces procédures des mécanismes de consultation publique qu’il s’agira d’exploiter.
soutien populaire
Pour faire prévaloir un point de vue au niveau politique, l’utilisation de tous les moyens de communication à disposition est cruciale. Outre les médias classiques dont la force peut largement dépasser toute argumentation logique et qu’il conviendra d’impliquer au maximum, le web, les médias sociaux et l’utilisation de pétitions permettent d’impliquer un public large dans certains débats et d’apporter un soutien populaire de poids à une campagne. Twitter en particulier a vraiment révolutionné le monde de l’influence.
Ce soutien populaire est aussi démontrable par le biais de manifestations. Bien évidemment, les entreprises ne peuvent pas directement les organiser, mais un dialogue intelligent avec leur syndicats ou partenaires peut quelquefois leurs permettre d’utiliser les manifestations comme moyen d’expression et de pression vis-à-vis du monde politique et réglementaire. Les manifestations d’agriculteurs sont un bon exemple de l’utilisation d’images frappantes par des groupes relativement restreint d’individus. Les syndicats d’EDF ou de la SNCF ont aussi joué un rôle important dans la relation de ces entreprises avec la tutelle publique au niveau national et européen, quelquefois sans doute en bonne intelligence avec la direction de ces entreprises.
Enfin, les PR stunts, sont des actions marquantes permettant d’attirer l’attention d’un public sur un sujet donné ou de créer une image qui pourra être réutilisée par la suite. Le coté impressionnant ou émotionnel de ces actions déterminent leur succès. Il ne s’agit pas ici d’éduquer et d’arguer du bien-fondé technique d’une position, mais plutôt de jouer sur l’émotion et de se saisir de l’opinion publique. Les ONG, Greenpeace en particulier, sont les grandes championnes de ces actions. En enchaînant leurs membres à toutes sortes d’objets, elles arrivent à attirer efficacement l’attention là où elles le souhaitent et créent une image réutilisable. Mais ce concept n’est pas étranger aux entreprises ou aux fédérations professionnelles : on se souvient ainsi des piscines de lait installées devant la Commission européenne par l’industrie laitière afin d’attirer son attention sur la chute des cours.
vers un système plus ouvert
Les outils de l’influence sont très divers et évoluent avec notre société et nos moyens de communication et ne seront donc pas tous mis en œuvre dans une campagne. Par ailleurs, l’accroissement de la transparence des mécanismes de décision et la possibilité pour le grand public d’entrer en contact directement avec les législateurs, notamment via les réseaux sociaux, accentuent l’érosion du fameux lobbying de réseau vers un système plus ouvert ou chacun peut avoir une influence directe sur la décision publique. Dans ce contexte, une approche structurée et méthodologique de l’influence n’a jamais été aussi importante.
Philippe Blanchard
Managing Partner, Bruxelles
Brunswick Group
Co-auteur de “Influentia. La référence des stratégies d'influence”, Editions Lavauzelle, 2015
Twitter : @BrunswickReview