Sommaire du dossier :
- Expo archives : demandez le programme
- Ariane James-Sarazin : "Une exposition n'est pas un travail universitaire"
- Matériel d'exposition pour tous et à tous les prix
Il faut des mois, voire davantage, pour mener à bien une exposition. Des budgets parfois importants sont engagés, sans compter la mobilisation des agents. Alors, autant bien se préparer - une norme Afnor apporte un cadre -, en veillant à bien choisir son matériel d’exposition.
Il y a deux ans, l'Hôtel de Soubise des Archives nationales a accueilli une remarquable exposition consacrée au monde du renseignement et de l'espionnage. Des documents inédits et des objets exposés pour la première fois furent présentés au public.
Pour l'occasion, les Archives nationales ont puisé dans leurs propres fonds. Mais elles ont également fait appel à une trentaine d'institutions partenaires pour organiser l'exposition la plus complète possible.
Autant le dire tout de suite : il aura fallu du temps pour réunir des centaines de pièces et les exposer dans une scénographie originale. Surtout lorsqu'il s'est agi de convaincre la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure).
Les archivistes le savent, organiser une exposition est un défi enthousiasmant, mais cela se prépare longtemps à l'avance.
« Au moins un an pour travailler avec un délai confortable, estime Virginie Jourdain, responsable de la médiation culturelle au sein des Archives départementales de Seine-Maritime (AD 76) ; douze mois ne sont pas de trop pour réaliser un rétroplanning, constituer une équipe, évaluer un budget, lancer un ou plusieurs appels d'offres, réaliser un état exhaustif des fonds, trouver et monter du matériel d'exposition, communiquer... Il faut également convaincre la personne décisionnaire ! »
un thème d'exposition s'impose parfois de lui-même
Les AD 76 ont récemment présenté une exposition baptisée « Crimes et châtiments en Normandie, 1498-1939 » qui a rapidement trouvé son public. Le thème, il est vrai, suscite la curiosité.
« Le choix d'un thème s'impose parfois de lui-même lorsqu'il s'agit d'une commémoration comme la Première Guerre mondiale, par exemple. Des thèmes nous sont également demandés par le département, l'opéra de Rouen ou l'université avec laquelle nous avons organisé une exposition consacrée aux droits des femmes et une autre intitulée “Corneille et nous” », explique Virginie Jourdain.
L'étape suivante couvre la partie organisationnelle à proprement parler. Celle-ci est encadrée par un document de référence : la norme Afnor NF Z40-010 de juin 2002, « Prescriptions de conservation des documents graphiques et photographiques dans le cadre d'une exposition ».
Y sont recensées toutes les opérations incontournables : procédures de prêt, assurances, conditions d'exposition, mobilier, éclairage... Son ambition est donc large et vise à la quasi-exhaustivité d'autant plus qu'elle s'adresse aux services d'archives, mais aussi aux bibliothèques et aux musées : « Elle s'applique à la période d'exposition proprement dite ainsi qu'à l'ensemble des manipulations, traitements, préparatifs et transports précédant et suivant l'exposition », explique l'Afnor.
Pensée par et pour les professionnels du document, la norme NF Z 40-010 a été réalisée par une commission réunissant les principales institutions françaises dédiées au patrimoine : Archives de France, Centre historique des Archives nationales, Bibliothèque nationale de France, Musées de France ainsi que des représentants des archives départementales.
le dossier scientifique
Véritable colonne vertébrale de toute exposition, le dossier scientifique joue le rôle de boussole tout au long de la préparation de l'exposition. Celui-ci est généralement mis au point par un commissaire d'exposition et une équipe scientifique qui fixent un certain nombre d'étapes : le choix du sujet, les recherches bibliographiques, la prise de contact avec des spécialistes, la mise au point d'un scénario.
Une fois le thème de l'exposition arrêté, il convient de trouver un titre et un visuel. Travail plus ardu qu'il n'y paraît !
« Le titre doit être accrocheur, au bon sens du terme : il doit éviter la banalité comme la vulgarité, allier concision et pouvoir d'évocation (quitte à lui adjoindre un sous-titre à caractère plus explicatif), susciter la curiosité du public en jouant sur l'émotion, le caractère insolite ou extraordinaire, voir l'humour. C'est un art difficile, de même que celui du choix du visuel qui doit donner le ton du projet », peut-on lire dans le célèbre Abrégé d'archivistique publié par l'Association des archivistes français.
Parmi les titres d'exposition des douze derniers mois, le défi de la titraille a été relevé avec un certain talent : « Présumées coupables, les procès faits aux femmes » (Archives nationales), « Tours et détours, histoire de La Défense 1883-1989 » (Archives départementales des Hauts-de-Seine), « Entre les cordes » (Archives municipales de Saint-Ouen), « Une expérience du chaos, destructions, spoliations et sauvetage d'archives (1789-1945) » (Archives nationales)...
une exposition à... 3 000 euros !
L'épineuse question du budget donne souvent du fil à retordre aux archivistes. Dans une importante commune de Seine Saint-Denis, une archiviste a dû se contenter d'une enveloppe budgétaire de... 3 000 euros.
« Avec une telle somme, j'ai fait avec les moyens du bord et assuré moi-même des missions de gardiennage ! J'ai également utilisé les panneaux qui servent habituellement à l'affichage électoral. Et la quasi-intégralité du budget a été consacrée à l'achat de petit matériel et à l'impression de documents ».
Cette exposition a peu coûté aux contribuables. Mais elle a reçu un bon accueil de la part du public. Des citoyens ont même pris conscience à cette occasion qu'il existait un service d'archives dans leur ville et que celui-ci hébergeait de très intéressants fonds photographiques.
Résultat : « Le service d'archives a gagné en visibilité et j'ai pu bénéficier d'une enveloppe de 5 000 euros pour une autre exposition ! Le maire s'est en effet rendu compte que les visiteurs sont également des électeurs. J'ai alors compris que le visiteur-électeur était un argument très sensible pour un élu souhaitant se faire réélire », explique cette archiviste qui souhaite garder l'anonymat.
Pour les services d'archives qui bénéficient d'une enveloppe plus généreuse, il convient de voir les choses en large : « La réalisation matérielle des expositions temporaires représente un budget non négligeable, explique Romain Joulia, conservateur du patrimoine ; ces dépenses devant être anticipées dans le cadre des calendriers budgétaires des collectivités, il est important de prendre en compte tous les coûts potentiels liés à une telle initiative. Ensuite, la scénographie peut représenter un poste important. A minima, il est bon de prévoir quelques crédits pour l'encadrement des documents à exposer. Les panneaux explicatifs à destination du public et autres cartels supposent des frais de maquettage et d'impression tout comme l'édition d'un catalogue ou d'un livret. Enfin, il faut prévoir d'éventuelles déclinaisons de l'exposition physique susceptibles de s'y substituer en cas d'arbitrages financiers défavorables (comme l'exposition virtuelle), voire de la prolonger et de permettre sa présentation en d'autres lieux (comme l'exposition itinérante) ».
une assurance « clou à clou »
À eux seuls, les services d'archives ne disposent parfois pas de tous les documents qu'ils souhaiteraient exposer. Des demandes de prêt doivent alors être adressées à d'autres institutions. Cela passe par une lettre d'intention qui précise le nombre et la nature des documents souhaités ainsi que la durée du prêt.
Du côté du prêteur, la demande fait l'objet d'un examen attentif : les documents demandés peuvent-ils être communiqués à la lumière de leur état physique, de leur valeur et des conditions d'exposition ? Le cas échéant, un contrat de prêt assorti d'un certificat d'assurance est signé entre les deux établissements : cette assurance est dite « clou à clou », c'est-à-dire qu'elle couvre le prêt et le transport aller-retour.
Les Archives départementales de Seine-Maritime font parfois appel à d'autres institutions : « S'il manque des documents, nous nous adressons à des services d'archives, des bibliothèques ou des musées en France et même en Europe, précise Virginie Jourdain ; 95 % des documents que nous exposons sont des pièces originales. Seuls les documents les plus fragiles font l'objet d'une reproduction. Dans tous les cas, nous interrogeons la restauratrice pour savoir si un document peut être exposé ou pas : le document ne doit surtout pas souffrir ! »
Le problème de la sécurité ne doit pas être sous-estimé. Certains services d'archives mettent en place un dispositif de gardiennage ou de vidéosurveillance 24 heures sur 24. Inévitablement, cela a un impact sur le coût final de l'exposition.
« monter une exposition virtuelle est tout autant difficile »
Du côté du web, les services d’archives se donnent aussi du mal pour monter des expositions virtuelles attrayantes. Isabelle Dion, conservatrice aux Archives nationales d’Outre-Mer (Anom) insistent : « Monter une exposition virtuelle, c’est aussi compliqué et chronophage que monter une exposition physique ».
Lorsque l’on visite le site des Anom, on comprend vite pourquoi la conservatrice souligne toute la difficulté de créer une exposition virtuelle. Les six expositions présentées sont toutes riches en documents et en texte, bien souvent retranscrits, et proposent même des petites vidéos introductives en avant-propos.
un coût financier tout aussi important
Parce que les Anom sont un service à compétence nationale, elles bénéficient d’un plus large budget qui leur permet de faire appel à des prestataires. « Au service d’archives, nous nous occupons de la partie documentaire, puis la mise en ligne et tout le côté informatique sont pris en main par des prestataires », indique Isabelle Dion.
Pour une exposition, le service confie le projet à une seule personne qui se charge de la recherche documentaire. Ensuite, un prestataire externe élabore, en collaboration avec les Anom, une charte graphique ; cela représente un coût de près de 50 000 euros.
Si monter une exposition physique prend un an, il n'en faut pas moins pour une exposition virtuelle. « Entre le moment où je commence à travailler sur le sujet de l'exposition et celui de sa mise en ligne finale, il se passe de un an à dix-huit mois », estime Isabelle Dion.
Pour les Archives départementales de Saône-et-Loire (AD71), le calendrier est très différent. « La mise en ligne peut être assez rapide, il faut compter un mois ; si on tient compte de la numérisation qui se fait en interne, alors il nous faut trois mois », assure Cécile Mariotte, attachée territoriale de conservation du patrimoine.
un public un peu différent
Cette rapidité repose sur le fait que les AD71 gèrent elles-mêmes la mise en ligne de leurs expositions, ceci avec le CMS (système de gestion de contenu) en place pour leur site.
« Notre CMS, du nom d'Archotech, nous donne la possibilité de mettre assez facilement en ligne sous forme d’exposition virtuelle des documents de nos collections. On fait une sélection de documents qui vient s’intégrer dans l’outil de gestion, puis on paramètre un diaporama que l'on peut faire évoluer ».
Qu'elles durent trois mois ou un an, les expositions virtuelles ont toujours plus de succès que les expositions physiques. D'après les statistiques de leur back-office, les AD71 constatent que certaines expositions dépassent les 2 000 visiteurs.
Concernant les Anom, Isabelle Dion explique : « Lorsque nous ouvrions des expositions dans nos locaux, il y avait beaucoup de monde le jour de l’inauguration, mais après plus personne ! À l'évidence, davantage de monde profite de nos expositions virtuelles, d'ailleurs nous recevons des retours positifs ».
Même remarque de la part de Cécile Mariotte : « On obtient une diffusion vraiment intéressante ; de plus, on atteint un public un peu différent de celui des salles de lecture. Je pense que la différence se trouve dans l’âge des visiteurs. Il y a encore pas mal de personnes qui se disent que les archives ne sont pas pour elles, que les expositions des services d’archives sont réservées à des personnes érudites ou choisies. Sur internet en revanche, ce cliché n’opère pas, on accède tout de suite au contenu sans être freiné par ces a priori ».
priorité au virtuel
L’idée assez répandue que les expositions virtuelles disponibles sur le web sont d'anciennes expositions montées en salle est de moins en moins vraie. Bien sûr, certaines qui ont connu un succès auprès des lecteurs en salle sont mises en ligne. C'est le cas de l’exposition « Communiquer pour résister » des AD71.
Cependant, Cécile Mariotte le confirme : « Généralement, nous créons une exposition virtuelle en priorité, au fil des numérisations qui sont effectuées assez régulièrement ou bien des événements. Par exemple, en ce moment, nous sommes en pleins travaux, nous réfléchissons à une exposition en relation avec le bâtiment, le chantier et que nous mettrons en ligne lors de l’inauguration ».
Pour les Anom, la même logique est suivie : « Les expositions que l’on découvre sur le site sont exclusivement réservées au web ». D'ailleurs, pour certaines, il ne peut pas en être autrement. C'est le cas de l’exposition « Les abolitions de l’esclavage » où les vidéos ont été réalisées par des étudiants de l’Ina ; ce partenariat n’aurait pas pu voir le jour si l’exposition avait eu lieu en salle.