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Partie I - Appliquer les règles du droit d’auteur
Les salariés restent propriétaires de leurs œuvres
Contrairement à une idée reçue tenace, un salarié n’est pas dépossédé de ses droits d’auteur sur les œuvres qu’il crée dans le cadre de son travail (article L.111-1 al.3 du Code de la propriété intellectuelle). Le salarié étant par définition rémunéré, on croit qu’il a cédé « ses » droits d’exploitation à l’employeur qui l’a payé.
Or, même dans le cadre d’un contrat d’édition, l’éditeur n’est autorisé à exploiter l’œuvre que pour les utilisations prévues au contrat, en général la publication de l’œuvre pour une édition papier, voire numérique.
Cette notion de périmètre d’exploitation est essentielle : un cessionnaire de droits d’exploitation ne dispose que d’une tranche d’exploitation de l’œuvre ; toutes les autres exploitations restent la propriété de l’auteur qui peut les céder à d’autres à tout moment.
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Solution confirmée par l’affaire du Figaro (Cour d’appel de Paris, 10 mai 2000) : la cour a constaté que le salaire versé aux journalistes du quotidien rémunérait uniquement la reproduction de leurs œuvres dans la version papier du journal ; toute autre utilisation — en l’espèce, la reproduction dans une base d’archives de presse — étant hors périmètre d’exploitation, et supposant une nouvelle cession de droits.
La cession globale d’œuvres futures nulle
Des employeurs croient trouver la parade en intégrant dans les contrats de travail une clause de cession de droits d’auteur à l’employeur pour toutes les œuvres à créer par un salarié dans le cadre de son emploi. Ces clauses sont nulles et de nul effet puisque contraires à l’article L.131-1 CPI.
« La cession globale des œuvres futures est nulle » : un auteur ne peut céder l’ensemble de ses œuvres à venir. Or, par définition, au moment où le salarié signe son contrat de travail, il n’a encore créé aucune œuvre pour son employeur.
La jurisprudence du Figaro règle-t-elle tous les problèmes ?
Aux termes de l’arrêt du Figaro, il est acquis que si le salarié auteur n’est pas dépossédé de tous ses droits, il est logique qu’en échange de son salaire il cède un périmètre d’exploitation sur les œuvres qu’il a réalisées dans l’exercice de ses fonctions.
La solution serait que l’auteur cède à son employeur un périmètre d’exploitation défini par les besoins de l’entreprise sur les œuvres qu’il crée au travail. Étant rémunéré par son salaire, les choses sont équilibrées. Mais ce n’est pas si simple…
Partie II - Les écueils du système
En creusant la solution du Figaro, on s’aperçoit qu’elle ne résout pas toutes les questions posées.
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Quel périmètre d’exploitation ?
Toute cession de droits d’exploitation suppose que soient précisées certaines mentions, à défaut de quoi la cession est nulle (article L.131-3 al. 1er CPI) : il faut notamment préciser l’étendue, le lieu et la durée de l’exploitation, c’est-à-dire le périmètre d’exploitation.
- Étendue de l’exploitation
L’étendue de l’exploitation correspond aux activités de l’employeur pour lesquelles le salarié créera des œuvres (rédaction de brèves, synthèses documentaires, photographies, vidéos, etc.). Trop souvent, les missions des salariés sont laissées dans un flou artistique empêchant une application claire du droit d’auteur. Il importe donc de lever ces ambiguïtés.
- Durée d’exploitation
En principe, la question de la durée de cession des droits ne se posera pas tant que le salarié travaille dans l’entreprise. Elle deviendra cruciale au moment de son départ, quelle qu’en soit la cause, a fortiori si son départ est contentieux : il pourrait attaquer son employeur pour contrefaçon si les choses n’avaient pas été cadrées. Mais dans tous les cas de figure, il faut régler les diverses facettes de cette question.
Lorsqu’un salarié quitte son employeur, quel sort va-t-on réserver à ses œuvres ?
- autorise-t-il son employeur à continuer à les exploiter ? Et sur quelle durée ? Pour quels usages ? (uniquement en interne ? Publication et commercialisation possibles ? Quelle rémunération dans ce dernier cas ?)
- au contraire, lui interdit-il toute exploitation à partir du moment où il quitte l’entreprise ?
Aucun de ces choix ne peut être implicite puisque la durée d’exploitation doit être impérativement mentionnée dans l’acte de cession sous peine de nullité de la cession (L.131-3 al. 1er CPI).
L’obligation d’un acte de cession écrit
Depuis la loi du 7 juillet 2016, l’article L.131-2 al.2 CPI dispose : « Les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit. »
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Conséquence : même pendant que le salarié travaille chez l’employeur, il faudrait que soient aménagés des actes de cession par lesquels les salariés auteurs cèdent les œuvres qui leur seront commandées, ou — autre hypothèse — rétrocèdent l’ensemble des œuvres qu’ils ont créées sur une période donnée (chaque fin de mois, par exemple).
L’identification des œuvres cédées
On l’a vu précédemment, un acte de cession doit clairement identifier les œuvres cédées. Cet impératif peut prendre des proportions vertigineuses lorsque le salarié quitte l’employeur.
Partie III - Préconisations
Périmètre d’exploitation
- Étendue intellectuelle
Définir le plus précisément possible les tâches et missions auxquelles le salarié est associé et quelles créations l’auteur est amené à réaliser. Précisions à consigner dans le profil de poste ou la fiche des missions du salarié. Faire référence, voire annexer cette fiche/profil aux actes de cession.
- Continuation et durée d’exploitation après départ
Mentionner dans l’acte de cession si l’auteur laisse la jouissance sur ses œuvres à l’employeur, pour quel(s) usage(s) et pour quelle durée.
Acte écrit obligatoire
Deux cas de figure :
- Œuvres réalisées sur commandes ponctuelles de l’employeur
Exemples : site intranet, rapport interne ponctuel, reportage photo, réalisation d’une vidéo.
> Rédiger une lettre de mission confiant la réalisation ponctuelle de l’œuvre, la décrivant assez précisément (comme dans un contrat d’édition) et incluant la cession des droits d’exploitation conforme à l’article L.131-3 al 1er CPI. Cette lettre sera contresignée par le ou les salariés auteurs et vaudra de ce fait cession écrite de droits d’exploitation.
N. B. La loi interdit la cession d’œuvres globale ET future. Il n’y a pas cession globale et future pour la commande d’une ou plusieurs œuvres clairement désignées. C’est le cas des commandes d’éditeurs à des auteurs pour une œuvre encore à créer, décrite en détail dans le contrat d’édition.
- Œuvres réalisées au fil de l’eau dans les missions du salarié
Exemples : résumés documentaires, synthèses, photos, infographies…
> Établir un acte de rétrocession mensuel, récapitulant les œuvres réalisées dans la période écoulée, incluant les mêmes mentions que ci-dessus. Il sera signé par le ou les auteurs concernés.
N. B. À défaut d’être identifiées dans l’acte mensuel (difficile par exemple pour des résumés documentaires réalisés en nombre ou pour un photographe qui produit beaucoup), il faudra que les œuvres soient identifiables à tout moment : par exemple, mentionner les auteurs des résumés et la date de leurs créations dans le logiciel documentaire, permettant à tout moment d’identifier quel auteur a réalisé quelles œuvres sur une période donnée.
Identification des œuvres cédées
Nous venons d’évoquer cette obligation ci-dessus. Au départ du salarié, il faudra soit annexer la liste de toutes les œuvres qu’il a créées au cours du contrat de travail (œuvres identifiées), soit, pour une production trop volumineuse, trouver la bonne formulation pour donner la possibilité de déterminer quelles œuvres sont visées (œuvres identifiables).
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A retenir
Le salarié auteur reste propriétaire des œuvres réalisées pour son employeur. Mais il lui cède logiquement une part de ses droits d’exploitation en contrepartie de son salaire. Toute la question est de définir quel périmètre est cédé, pour quel lieu et pour quelle durée.
La question peut s’aggraver au départ du salarié si le sort de ses œuvres au sein de l’entreprise n’est pas défini. Il est impossible de laisser ces questions dans le flou et il convient de contractualiser ces questions par écrit pour être conforme au Code de la propriété intellectuelle.
Cadre légal
Code de la propriété intellectuelle : Articles L.111-1 al. 3, L.122-4 (principe d’accord de l’auteur pour exploiter son œuvre), L.131-1 (interdiction de la cession globale des œuvres futures), L.131-2 al.2 (cession de droits d’auteur constatée par écrit), L.131-3 al 1er (conditions de validité des actes de cession, notamment mention du périmètre d’exploitation).