CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°379
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À plus de 10 000 kilomètres de la France, Singapour a longtemps fait figure de "tigre asiatique". Une cité-État d’environ 730 km2 (trois fois plus petite que le Luxembourg) capable de terrasser ses concurrents grâce à son économie particulièrement dynamique.
Mais la singularité de Singapour ne repose pas uniquement sur ses performances industrielles et financières. Peu après son indépendance en 1965, Singapour s’est dotée d’un service d’archives nationales destiné à préserver une mémoire en train de naître. Notamment son patrimoine audiovisuel, qui fait l’objet depuis 2023 d’un important chantier de numérisation réalisé par la société française Vectracom (Groupe Memorist).
Au menu, la numérisation de programmes télévisés nationaux comprenant plus de 250 heures de contenus. "Le projet consiste à numériser 700 bandes 2 pouces", explique Martin Laguarigue de Survilliers, directeur général de Vectracom. "Ces bandes sont constituées de programmes télévisés éducatifs, dont la majorité a été produite entre 1963 et 1983. On y trouve, par exemple, des cours filmés de mathématiques et de sciences".
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Singapour a investi dans ces programmes éducatifs : sa réussite économique repose sur la valorisation de la connaissance et la volonté de sauvegarder ces archives s’inscrit dans la même logique.
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Appel d’offres international
Premier format audiovisuel pour la diffusion télévisée à partir des années 1950, la bande 2 pouces a été exploitée jusqu’aux années 1980. Faute de matériel approprié, il est aujourd’hui devenu impossible pour les archives singapouriennes de visionner ces documents et seuls quelques prestataires sont en mesure de restaurer et de numériser ces bandes.
Après avoir recherché en vain des prestataires en Asie, les archivistes singapouriens ont porté leur choix sur Vectracom au terme d’un appel d’offres international.
"Nous leur avons expliqué qu’il était plus judicieux et trois fois moins coûteux de transporter leurs bandes jusqu’en France pour que nous les traitions ici, plutôt que de déplacer notre machine jusqu’à Singapour", précise Martin Laguarigue de Survilliers. "Nous avons également convaincu les Archives nationales de Singapour de notre savoir-faire grâce à la numérisation de masse que nous avons réalisée pour l’Institut national de l’Audiovisuel en France, mais aussi grâce à des projets conduits en Arabie Saoudite et en Tunisie. Nous sommes parmi les très rares prestataires dans le monde à disposer d’une machine capable de traiter des bandes 2 pouces" (depuis le début des années 2000, Vectracom a procédé à plusieurs campagnes de numérisation pour le compte de l’Ina : 24 000 bobines film de 16 mm par Télécinéma, 90 000 bandes audio 6.25, 490 000 cassettes vidéos Béta Sp & Beta SX, 150 000 cassettes vidéos DVCPRO)
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7 tonnes de bandes magnétiques
Ce sont près de 7 tonnes de bandes magnétiques qui sont arrivées par container maritime jusqu’au Havre, au terme de cinq semaines de traversée. À leur arrivée, les techniciens de Vectracom ont été étonnés de la qualité de conservation de ce patrimoine.
Il leur arrive en effet de consacrer beaucoup de temps à nettoyer des fonds particulièrement dégradés. Mais avant d’être numérisées à proprement parler, les bandes ont fait l’objet d’un inventaire. Chaque bande reçoit un code-barre et les informations fournies par les Archives de Singapour sont reprises dans une base de données : titre des émissions, durée estimée, etc.
Savoir-faire minutieux
Les bandes sont ensuite assainies selon une méthode surprenante : elles sont chauffées au four pendant 24 heures à une température de 54 degrés. Quelques rafistolages ont également été réalisés, comme la remise en état mécanique de la bobine. "C’est l’un de nos meilleurs techniciens, habitué à ce type de support, qui travaille sur ce chantier à temps plein, aidé ponctuellement par d’autres techniciens", explique Martin Laguarigue de Survilliers. "Non seulement les machines sont rares, mais les techniciens capables de maintenir ces appareils en état de fonctionnement sont peu nombreux. Par ailleurs, il faut aussi mettre la main sur des pièces mécaniques parfois difficiles à trouver".
À la recherche d’un signal magnétique
La phase de numérisation à proprement parler commence par la recherche d’un signal magnétique, une opération qui nécessite parfois de lire la bande à plusieurs reprises. Un travail de stabilisation de l’image est alors entrepris pour parvenir à la meilleure qualité possible. "C’est un savoir-faire assez complexe", reconnaît-on chez Vectracom.
Au terme de toutes ces opérations, deux fichiers numériques distincts sont produits : un fichier de conservation non compressé (environ 100 gigaoctets pour une heure de vidéo) et un fichier compressé (environ 1,5 gigaoctet pour une heure de vidéo) destiné à la consultation et à la diffusion.
Le premier fera office de support de référence qui pourra éventuellement faire l’objet de traitements supplémentaires en cas d’apparition de nouvelles technologies ; le second sera utilisé à des fins de consultation via les bases de données de la Bibliothèque nationale de Singapour. Les fichiers compressés sont également envoyés à Singapour au fil de leur production pour que les archivistes singapouriens procèdent à un contrôle de leur qualité.
Retour à Singapour
Lancé au mois de novembre 2023, ce chantier est aujourd’hui en passe d’être achevé. Les bandes s’apprêtent à être chargées au Havre dans des containers pour reprendre la mer en direction de l’Asie. Après un an d’opérations, les Archives de Singapour peuvent se réjouir : alors qu’elles s’attendaient à un taux d’échec de 20 % en raison de la dégradation du signal magnétique, ce taux est finalement inférieur à 10 %.
Bonne nouvelle pour les habitants de la cité-État, ce patrimoine audiovisuel numérisé devrait être mis à disposition des chercheurs dans les mois qui viennent.