Christian Harbulot est directeur de l’École de guerre économique (Paris). Ses travaux portent sur les multiples enjeux liés au management de l’information : guerre informationnelle, stratégies d’influence, production et utilisation des connaissances.
Archimag. Quelles sont les nouvelles formes de la guerre de l’informationi et qui en sont les acteurs ?
« cette guerre présente, de mon point de vue,deux aspects. Le premier concerne la guerre du contenant, c’est-à-dire les attaques dirigées contre les réseaux et les outils informatiques sous forme d’intrusions, de virusi et de piratage… L’autre versant concerne la guerre du contenu, c’est-à-dire la manière d’utiliser les connaissances et l’information comme arme offensive par rapport à un adversaire. Internet">i donne une autre dimension à cette confrontation, qui a toujours existé sous forme de rumeurs, de désinformation ou de leurres. Avec les technologies de l’information est apparue une renaissance de l’art de la rhétorique donnant à quiconque, individu ou groupe constitué, la possibilité de prendre la parole sur un sujet donné ; parfois, pour la diriger contre une personne, une structure, une entreprise, un État, voire une organisation internationale.
Avez-vous un exemple concret de guerre de l’information ?
Une entreprise belge dans le secteur de l’environnement a subi une intrusion informatique qui, contrairement à d’autres, n’était pas destinée à détruire des fichiers informatiques, mais visait à installer un lien pointant vers un site pédophile. Le but de cette opération était de nuire à la réputation de cette entreprise en désignant à la justice et aux médias une dizaine de cadres dirigeants en les accusant de pédophilie. Parce qu’elle a bien réagi, cette entreprise a pu éviter de voir sa réputation salie par de telles accusations. Cette attaque est typique du durcissement de la compétition économique où tous les coups sont permis pour écarter les concurrents.
Vous déplorez le désintérêt de la France face « aux enjeux de puissance » dans le domaine de l’information. La situation est-elle à ce point préoccupante ?
Je constate que le pouvoir politique s’intéresse beaucoup à la guerre de l’information lorsqu’il est question d’une campagne électorale et beaucoup moins lorsqu’il est question d’enjeux de puissance. Pendant les campagnes électorales, on assiste à beaucoup d’actions informationnelles sur le net, soit pourfaire de la propagande politique, soit pour déstabiliser l’adversaire. En revanche, lorsque les hommes politiques accèdent au pouvoir, ils ne font pas preuve du même talent pour diriger une puissance. Il y a un énormei problème en France : nous n’avons pas encore pris en compte l’importance et l’impact de cette guerre de l’information dans la vie économique. J’irais même plus loin : cette dimension n’a pas été prise en compte non plus dans les affaires diplomatiques et militaires. Voyez les crises informationnelles subies par la France à l’occasion de ses opérations extérieures au Rwanda, en Côte d’Ivoire ou en Afghanistan… Nous ne possédons pas encore d’organisation cohérente pour contrer les attaques informationnelles. Il faut ajouter à cela qu’une partie de ces attaques ne tombe pas sous le coup de la loi.
Existe-t-il des blocages culturels pour expliquer la cécité des Français aux enjeux du management de l’information?
Très sincèrement, je ne comprends pas pourquoi les hommes politiques sont incapables d’utiliser internet pour préserver les intérêts de puissance de la France alors qu’ils l’utilisent pour déstabiliser un adversaire pendant une élection.