Napoléon, bien conscient que les archives de l’Ancien et du Nouveau Régime constituaient la base de la mémoire nationale, dans l’effort de reconstruction de la France auquel il s’était attaché personnellement, avait apporté un soin particulier à leur organisation et à leur installation dans un palais historique, l’hôtel Soubise. Au siècle de l’Histoire, celui de Louis-Philippe et de Michelet, leur rôle ne cessa de grandir comme la base indispensable de toute écriture du passé, et justifia la création de l’école nationale des Chartes. La maison parisienne devint la tête d’un réseau national, couvrant les départements, les communes, plus tard les régions. Une doctrine s’est élaborée peu à peu pour la collecte, le tri et les éliminations, l’inventaire et la communication au public, en prenant en compte les derniers développements des techniques modernes, tel l’archivage numérique. Le recrutement des conservateurs et l’action d’un corps d’inspecteurs généraux spécialisés permettaient l’application de cette doctrine, reconnue à travers le monde pour sa rigueur et sa spécificité, comme l’a prouvé le succès des congrès et des stages internationaux.
En 1793, Armand Gaston Camus était nommé archiviste de la République, un titre qui marquait l’importance nationale de sa tâche. La mémoire, gage d’identité, justifia en 1897 la création d’une direction des Archives de France et c’est par la volonté d’André Malraux qu’elle fut intégrée en 1959 dans la Culture, ce grand ministère gaullien dont nous avons fêté l’année dernière le cinquantième anniversaire. Je me souviens personnellement de l’intérêt qu’il portait aux archives, du temps où son ami André Chamson était à leur tête. Le choix même de Chamson, résistant, écrivain, membre de l’Académie française, était la marque de l’importance reconnue à cette responsabilité culturelle de premier plan et l’on peut rappeler également l’intérêt que le général de Gaulle portait à la bonne conservation de ses archives, base de ses Mémoires de guerre (2500 cartons), suivi par les présidents Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand.
Les archives, si elles sont bien une partie de notre patrimoine, au même titre que les monuments historiques ou les collections des musées, sont pourtant d’une nature différente parce qu’elles ne sont pas seulement vouées à offrir des documents à la consultation des lecteurs ou à organiser des expositions historiques, mais à engranger par obligation légale les témoignages des activités des administrations auxquelles elles apportent leur concours pour l’accomplissement de leurs tâches. « Les archives sont l’arsenal de l’Administration avant d’être le grenier de l’Histoire », écrivait Charles Braibant, un autre grand directeur des Archives de France. La prise en charge des archives privées, celles des sociétés, des associations, des syndicats, des particuliers…, selon des normes aussi rigoureuses que pour les archives publiques, permet d’assurer dans le même temps la mémoire des entreprises et des familles. Le fait même que la direction des Archives ait appartenu autrefois au ministère d’État, sous le Second Empire, puis à celui de l’Instruction publique – et l’on a parfois envisagé leur affectation au ministère de l’Intérieur – prouve à l’évidence la vocation si particulière de cette maison.
Réduire la « direction » à un « service », dépendant d’une direction générale des Patrimoines, c’est donc diminuer son statut et méconnaître sa spécificité, c’est amoindrir singulièrement son autorité et sa réputation, sur le territoire national comme à l’étranger. Au moins, est-il capital d’insister sur le caractère « interministériel » de ce « service ». Il paraît évidemment nécessaire de maintenir l’équilibre administratif entre les archives et les bibliothèques, à l’heure où l’établissement public de la Bibliothèque nationale de France est dirigé, lui, par un président.
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