Le chimiste multinational Rhodia membre du Groupe Solvay a entrepris de dématérialiser ses factures. Au-delà de leur numérisation, ce sont les processus qu’il a fallu revisiter. Au bout du compte, la rationalisation attendue est largement au rendez-vous.
1- un enjeu d’optimisation
Présent sur tous les continents à l’exception de l’Afrique, Rhodia a créé en 2010 Rhodia Business Services (RBS). Cette structure interne a pour objet d’optimiser la gestion administrative du groupe en mutualisant ses différentes fonctions supports : service clients, approvisionnements, ressources humaines, comptabilité, “credit management”, “costing”.
Dans ce contexte, le système d’information en place, déjà très homogène, est un atout : basé sur le progiciel de gestion intégré SAP, le Rhodia Core System (RCS) est utilisé par 95 % des filiales. RBS et RCS sont les deux piliers de la politique de restructuration engagée. En 2003, le groupe a connu une situation économique très difficile. Cela doit rester un lointain souvenir.
2- le projet de dématérialisation
S’il est un point qui ne doit pas bloquer dans le RBS, c’est bien celui de la gestion des factures. 700 000 factures sont à traiter chaque année ! Pour Yves Bosne, directeur mondial des comptabilités, travaillant depuis Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le défi est quotidien. L’optimisation passe par la dématérialisation.
Les sites états-uniens de Rhodia se montrent précurseurs. Déjà, ils pratiquaient le scanning de la comptabilité fournisseurs, soit les relevés de banque, les courriers et, bien sûr, à 90 %, les factures. Mais, en l’absence de reconnaissance optique de caractères (OCR), seul un traitement de l’image à l’écran était opéré. Leur manquait aussi un workflow formalisant les opérations à effectuer sur ces documents.
Le pas de l’OCR doit être franchi en déployant le nouveau Rhodia Core System sur tout le continent américain. L’appel d’offres pour une solution de dématérialisation destinée à gérer le traitement des factures de leur réception à leur règlement est lancé en 2007. L’éditeur Readsoft est préféré à ses deux concurrents présents dans la “short list”. On mise sur les qualités techniques de ses produits et sa capacité de développement - lourde tâche, il faudra s’interfacer avec SAP, ceci dans un contexte international.
Mais d’abord, fin 2007, Rhodia décide de s’attaquer à la formalisation des processus comptables. Là, ce sont les Européens du groupe qui apportent leur expérience. Que fait-on lorsqu’un écart de prix est constaté entre une facture et une commande ? Les questions de ce type sont multiples, auxquelles les processus doivent répondre. En quelques mois, un référentiel commun des processus est créé.
Les Américains du groupe se lancent dans le paramétrage de la suite logicielle de Readsoft, en juin 2008, et enchaînent rapidement avec la mise en production. Cela leur vaudra une visite de leurs collègues européens, venus étudier leurs modes de fonctionnement. A leur tour, ceux-ci avancent dans leur projet et déploient une déclinaison de la solution américaine fin janvier 2009 en Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Unis et France.
3- les gains du processus dématérialisé
Une fois scannées, les factures sont enregistrées dans Verify et traitées dans SAP par Invoices Cockpit de Readsoft. Une première promesse est tenue : plus aucune facture papier ne circule entre les différentes entités du groupe. De plus, la traçabilité devient un fait. Auparavant, avec SAP seul, il était complexe de localiser une facture. “Maintenant, quand la facture est acquise, on sait ce qu’il lui arrive, décrit Yves Bosne, et on est apte à répondre rapidement à un fournisseur ou à un utilisateur interne”.
La traçabilité joue aussi pour les fournisseurs. La suite logicielle comprend un accès web, véritable portail leur permettant de suivre leurs factures. Un plus très apprécié non seulement de leurs comptables, mais aussi du “help desk”, le service de RBS chargé de répondre aux réclamations. Depuis la crise de 2008-2009, les fournisseurs ont beaucoup renforcé leurs fonctions de “credit management”. Les relances se font plus pressantes. Le portail aide à répondre rapidement, dans “une continuité naturelle”.
Mais toutes les factures n’ont pas besoin d’être dématérialisées. Certaines sont numériques depuis la source et entrent dans le système soit simplement par e-mail, en PDF, soit par échange de données informatisé (EDI) avec le module EDI Cockpit. L’EDI est fortement encouragé, en tout cas chez les gros fournisseurs, les petits étant incités à saisir leurs factures sur le portail.
Historiquement, Rhodia est client d’Accenture, entreprise de conseil en management, technologie et externalisation. Une partie du traitement des factures papier était prise en charge par la plateforme d’Accenture située à Prague. La dématérialisation a permis de réétudier les coûts et d’arbitrer en faveur d’une implantation moins onéreuse, à l’île Maurice.
4- la dématérialisation au quotidien
Rhodia a organisé la numérisation par continent, trois étant pour l’instant concernés. Le dernier en date est l’Amérique latine, avec un centre à Sao Paulo, au Brésil, ouvert en mars 2011. Pour l’Amérique du Nord, il s’agit de Cranbury, dans le New Jersey. Et Aubervilliers pour l’Europe, en attendant Singapour pour l’Asie.
A Aubervilliers, 210 000 à 250 000 factures par an sont réceptionnées. A leur arrivée, elles sont classées par entité de Rhodia et séparées par une feuille blanche en cas de pages multiples. Ces lots sont numérisés par deux scanners Fujitsu fi5650c. Toute une série de métadonnées est apposée, la plupart à l’aide de menus contextuels : code entité, code opérateur, numéro de lot, date, heure, nombre de factures dans le lot, nombre de pages.
Les documents papier peuvent alors rejoindre des boîtes d’archives. Un archiveur viendra les relever. Pour la France au moins, RBS est obligé de conserver un support papier, comme justificatif de TVA. Pour les factures envoyées via EDI sur sa plateforme certifiée, elle a le droit de s’en passer. Parallèlement, l’archivage électronique est assuré par une solution Rhodia basée sur Documentum d’EMC.
Une commande, une facture, une réception : ce sont les trois points contrôlés automatiquement par SAP. En cas de litige, un comptable porte un diagnostic, puis le workflow aiguille vers le bon intervenant : par exemple, un approvisionneur pour un problème d’écart de prix, l’auteur d’une commande pour un incident de réception. Cockpit assure la “supervision”, apportant sa validation, déclenchant un paiement pour telle date, etc.
Sur les factures, le taux de reconnaissance des champs atteint 70 %. Il reste donc un travail manuel à poursuivre, bien plus léger qu’auparavant. Le plus exigeant revient à la gestion des modèles de facture. Assez fréquemment, les fournisseurs modifient leurs factures (nouveau logo, champ déplacé, intitulé reformulé...). L’équipe comptable de RBS doit régulièrement “purger et régénérer” les modèles. Le directeur mondial des comptabilités le reconnaît : “C’est une maintenance importante”.
Les factures pour lesquelles l’OCR n’est pas suffisamment opérant passent entre les mains d’Accenture. A l’ïle Maurice, la productivité de ses opérateurs atteint 400 factures par jour et par homme. La prestation va jusqu’à l’analyse d’un problème par un comptable et le déclenchement d’une réponse, d’un workflow ou la déclaration d’un litige.
La solution de Readsoft inclut des tableaux de bord, délivre des statistiques d’utilisation. Les factures de telle usine posent un problème ? En cinq ou dix minutes, une extraction de données est lancée, toutes les factures en attente sont analysées et le point de blocage du flux est résolu. Au-delà de l’OCR, c’est la gestion des flux permise par la dématérialisation qui est appréciée.
5- trois conseils
Comptabilisé le plus complètement possible, en incluant licence, suivi fonctionnel et support, ainsi que le temps de l’équipe informatique interne, le projet de dématérialisation des factures revient à 450 000 euros pour la partie européenne de Rhodia. Yves Bosne déclare : “Le retour sur investissement est prévu sur 2,3 ans”. Les gains de productivité ont été atteints à la fois par une baisse du coût de traitement Accenture et une réduction des effectifs.
Reste qu’à ses yeux le gain le plus important provient de la qualité des processus installés. D’où son premier conseil : en amont dans le projet, décrire dans une charte fonctionnelle précise les processus que l’on veut obtenir. Deuxième conseil, inspiré dans son cas par la problématique d’intégration à SAP : disposer de l’accompagnement très actif d’une équipe informatique, ce qui a été une clef de succès chez Rhodia. Enfin, dernier conseil concernant le fournisseur : être très exigeant avec lui, surtout pour un projet d’envergure internationale.
+ repères Rhodia en bref Groupe industriel intervenant dans les métiers de la chimie. Structuré en 11 “global business units” regroupées en 5 pôles d’activité, ceci dans 65 pays. Chiffre d’affaires 2010 : 5,23 milliards d’euros. Effectif : environ 14 000 personnes dans le monde. Racheté par Solvay (6 milliards d’euros de chiffre d’affaires) en septembre 2011. |