droit : dématérialiser le bulletin de paie

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Voici les clés juridiques, techniques et pratiques pour mettre en place une fiche de paye numérique

S'il est un sujet particulièrement sensible en droit du travail, c’est bien celui du bulletin de paie (BP). Or, jusqu’en 2009, la loi réglementait essentiellement son contenu et non sa forme. L’employeur pouvait-il de ce fait, s’appuyer sur cet « espace de liberté » pour dématérialiser le BP ? Dans sa sagesse, le législateur a considéré que cette liberté devait être encadrée. C’est dans ces conditions que la loi du 12 mai 2009 est venue modifier l’article L. 3243-2 du code du travail en ouvrant la possibilité à l’employeur de dématérialiser le bulletin de paie. En pratique, comment mettre en oeuvre cette faculté ? Quelles contraintes juridiques, techniques et organisationnelles rencontre-on ? C’est l’ensemble de ces questions, que l’Atelier Dématérialisation de l’Adij, a évoqué lors de sa séance de travail du 18 février 2010.

juridiquement

accord du salarié

Le principe légal est simple et clair : La dématérialisation du BP est soumise à l’accord express du salarié, et cet accord est toujours réversible. Mais le texte légal comporte un mot problématique. Celui de « remise ». L’article 1369-9 du code civil, la définit ainsi : prendre connaissance du message et en accuser réception. Paradoxe : la procédure qui se veut « légère » se révèle plus lourde que dans le monde du papier, qui n’exige pas une telle démarche. Paradoxe justifié par la défiance naturelle que le grand-public éprouve à l’égard du support électronique. La loi pose une exigence de preuve renforcée qui s’inscrit dans le syndrome de « la preuve de la preuve » qui parcourt l’ensemble du régime de la preuve numérique.

intégrité des données

L’autre exigence légale concerne la garantie d’intégrité des données. L’expression est problématique. Car l’article 1316-1 du code civil évoque l’intégrité de l’écrit électronique et non celle des données. Un écrit « intègre » peut être défini comme celui qui n’a subi aucune altération. Faute d’une indication légale plus précise, c’est en ce sens qu’il paraît possible de définir une « donnée intègre ».

conservation

La loi impose à l’employeur de conserver cinq ans les BP, et recommande au salarié de les conserver sans limitation de durée. Or, la conservation intègre de l’écrit numérique est l’une des conditions essentielles de sa valeur probatoire. Le salarié se trouve ici confronté à un problème technique majeur : S’il accepte la remise du BP dématérialisé, il s’oblige à se doter personnellement de moyens de sa conservation. Ce qui pose deux difficultés : fiabilité des moyens et coût. Rappelons qu’en matière de factures électroniques, la loi exige que ce soit les fichiers natifs qui soient conservés, et non pas leur édition sur support papier. Or, à ce jour, l’offre grandpublic de coffre-fort électronique émerge à peine. Et de surcroît, elle ne propose pas systématiquement le service de la migration, c’est-à-dire de la conversion des fichiers en fonction de l’évolution des techniques, pour en garantir la lisibilité dans le temps.

techniquement

L’Afnor a suscité la création d’une commission de normalisation, chargée de réfléchir aux problèmes techniques posés par la dématérialisation du bulletin de paie.

création et mise en place du service

La commission cherche à donner des réponses concrètes aux praticiens soucieux de respecter les contraintes légales. Accord du salarié ? Un processus technique est envisagé, permettant au salarié de l’exprimer et de le rétracter. Intégrité des données ? En s’appuyant sur les fondamentaux de la preuve électronique édictés par le code civil, un processus est envisagé permettant l’identification de l’entreprise émettrice, de rendre le format non modifiable, et d’inclure des métadonnées normalisées. Modalités de la remise ? Sont prévus une transmission chiffrée, un dépôt dans un espace de stockage dédié au salarié – coffre-fort électronique –, et la sécurisation de l’accès à cet espace par un système d’authentification fortement sécurisé, etc.

conservation et accessibilité

Qui aura la charge de conserver le bulletin de paie électronique (BPE) ? Et sur quel support ? L’exemplaire salarié pourrait être conservé par l’employeur et à ses frais. Mais la solution n’est pas la panacée. Tout au long de sa vie professionnelle, le salarié pourra avoir plusieurs employeurs, ce qui constituera autant de lieux de conservation. Par ailleurs rien ne garantit la longévité… de l’employeur. Pour être fiable ce système implique par conséquent une collaboration étroite entre les opérateurs d’archivage et devra comporter un régime d’assurance en cas de perte. La commission réfléchit à une solution regroupant les données en un lieu unique, à partir duquel le salarié pourrait obtenir la communication de ses BPE. Mais pour ce faire, encore faut-il que l’interopérabilité des systèmes soit assurée.

pratiquement

L’expérience que mène le Groupe STS depuis plusieurs années sur ce sujet est positive et démontre une belle capacité à avoir anticipé sur les contraintes légales.

accord du salarié

Il passe par la recherche d’un « consentement éclairé » du salarié. Information des représentants du personnel. Lettre envoyée à chaque salarié pour lui demander son accord, lui expliquer les fondements juridiques du changement de support, et ses conséquences concrètes. Si le salarié refuse, remise systématique sur double support.

création du bulletin

Le logiciel qui édite les bulletins de paie génère un flux comportant les bulletins unitaires, sous format PDF accompagné d’un fichier de données complémentaires. Ces bulletins sont signés électroniquement par le biais d’un serveur qui en outre les horodate. L’identité de l’émetteur et l’intégrité du bulletin, sont ainsi garanties par le certificat serveur. Le système relève pour partie de l’auto certification. Mais rappelons que la loi n’interdit nullement l’autocertification et n’impose à aucun titre le recours à un tiers de confiance.

remise et conservation

Le BP est adressé dans la boîte aux lettres électronique ouverte au nom du salarié dans l’entreprise. Le bulletin est conservé en deux lieux : sur le serveur de l’entreprise et après scellement envoyé dans une enveloppe cryptée vers le coffre électronique personnel mis à la disposition du salarié sur un autre serveur de l’entreprise. Le serveur notifie dans le même temps au salarié cette opération.

accès au BP par le salarié

Le salarié accède à ses BPE en s’identifiant par un système de login-mot de passe. À ce stade, le bulletin se trouve à la fois dans l’enveloppe, qui permet d’assurer la remise exigée par la loi, et le coffre, qui en permet la conservation et l’accès sécurisé. Le coffre est accessible à la fois au salarié et à l’employeur, tandis que l’enveloppe joue le rôle d’une poste restante uniquement accessible au salarié. Pour satisfaire aux exigences légales, il semblerait nécessaire de séparer au maximum l’espace entreprise de l’espace salarié, afin que l’exemplaire du bulletin de l’employeur et celui du salarié soient clairement deux fichiers distincts, avec deux horodatages et deux modes d’accès différents. Ce schéma permettrait en outre de simplifier le processus lors du départ du salarié de l’entreprise.

 

à retenir

La loi autorise la remise du BP dématérialisé, sous réserve de l’accord – toujours révocable – du salarié. En théorie, la dématérialisation du bulletin de paie, présente des gains de temps et d’argent. En pratique, elle pose de vraies difficultés de mise en oeuvre, dues notamment au besoin d’une offre grand-public fiable de coffre-fort électronique, et de services associés, telle la migration, le tout à un prix acceptable. À l’heure où la dématérialisation des entreprises commence à peine, celle des particuliers est peut-être prématurée.

Les podcasts d'Archimag
Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.