Sommaire du dossier :
- Information professionnelle : je t'aime, moi non plus
- Entre BU et fournisseurs d'information, "les relations s'améliorent", selon Emmanuelle Sordet
- Information professionnelle : les éditeurs face au défi du numérique
- Information professionnelle : progrès du libre accès à l'étranger
- Agrégateurs de presse et agences d'abonnement : les attentes des clients ont changé
- Pierre-Carl Langlais : "Il est impératif de faire émerger un écosystème de libre accès !"
Le numérique a fait migrer l'information scientifique vers les revues électroniques, obligeant les éditeurs à s'adapter. Rencontre avec Elsevier et Wolters Kluwer, deux des grandes majors mondiales de l'édition professionnelle, qui s'expliquent sur leur stratégie et leur positionnement en matière d'open access.
Elsevier
Questions à Gemma Hersh, policy director d'Elsevier.
De quelle façon Elsevier s'est-il adapté à la révolution numérique ?
L’émergence d’internet a été un défi important pour Elsevier, modifiant les manières d’accéder au contenu scientifique. Nous avons répondu à ce défi en étant le premier éditeur à numériser, dès 1995, la totalité de son contenu, accessible sur ScienceDirect, la plus grande base de données d’articles scientifiques et médicaux au monde.
Plus récemment, de nouveaux business models ont émergé, comme l’open access. Nous les avons pleinement adoptés, permettant de faciliter l’accès à nos contenus comme jamais auparavant et de mettre à disposition des chercheurs des options supplémentaires pour publier leurs articles. Elsevier opère aujourd’hui une transition de son statut d’éditeur, devenant également un fournisseur de solutions d’information. Les chercheurs, les directeurs de recherche et les bibliothécaires, se trouvant dans un environnement exigeant et concurrentiel, ont besoin d'outils innovants.
Que répondez-vous aux boycotts récurrents contre votre politique en matière d'open access, jugée trop restrictive par une partie de la communauté scientifique ?
Nous prenons les critiques formulées à notre encontre au sérieux et tentons d'y répondre en écoutant les arguments, en tirant les leçons et en améliorant nos pratiques. Cependant, les critiques sont parfois fondées sur de la désinformation ou des malentendus. Notre communication n’ayant pas toujours été très ouverte par le passé, nous cherchons aujourd'hui à informer proactivement notre public.
Elsevier est le
troisième plus grand éditeur open access au monde et nous soutenons pleinement le Green et le Gold Open Access (1). Nous publions d'ailleurs plus de 450 revues entièrement en Gold Open Access et les 1 600 autres revues offrent à la fois des options Green et Gold Open Access.
Que pensez-vous du projet de loi sur le numérique, et plus précisément de l'article 17 qui prévoit le « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique » ?
Nous regrettons qu’un sujet aussi important que l’open access n’ait pas fait l’objet de travaux préparatoires avec tous les intéressés, ni d’une étude d’impact, comme cela a été le cas dans différents pays.
La version de l’article 17 retenue par l’Assemblée et soumise à l’examen du Sénat comporte une durée d’exploitation exclusive par l’éditeur extrêmement courte de six mois. Cette durée ne reflète pas le temps nécessaire pour récupérer l'investissement et pourrait porter atteinte à la capacité de survie de certaines revues. Aucun pays concurrent n’a adopté des dispositions comparables et le minimum retenu aux États-Unis, en Allemagne, en Espagne, en Italie est de 12 mois. Mettre en place en France une législation particulière placerait la recherche française dans une position de faiblesse en matière de publications et donc de visibilité. Quant aux revues francophones, elles se trouveraient face à un défi significatif.
Nous pensons que l’open access peut être une réussite s’il est mis en place de façon coordonnée et rationnelle avec les revues sur lesquelles repose partout dans le monde l’information scientifique.
Wolters Kluwer
Questions à Isabelle Bussel, directrice générale du pôle droit et réglementation de Wolters Kluwer.
La révolution numérique a-t-elle bouleversé la stratégie de Wolters Kluwer ?
La révolution numérique a bouleversé toute la chaîne de valeur de l’information. Pour s’y inscrire, Wolters Kluwer a affiné sa vision qui est aujourd’hui d’apporter des solutions d’information, de logiciel métier et de service pour sécuriser la prise de décision des professionnels et contribuer ainsi à leur succès.
Sur la dimension information, notre cœur de métier est d’acquérir de la connaissance, de la structurer, de l'analyser et de permettre aux professionnels de l’exploiter dans le cadre de leur propre mission. La valeur que nous apportons à nos clients est de sécuriser leurs prises de décision par la pertinence de l’information fournie et d’apporter des solutions qui augmentent l’efficacité de leur travail.
La révolution numérique a apporté de nouvelles possibilités pour accomplir cette mission : développer une plus grande réactivité et raccourcir les cycles de l’information, intégrer les offres logicielles et éditoriales et surtout permettre à chaque client de personnaliser les informations et sa démarche d’acquisition de connaissance.
La cession de votre pôle presse auprès du groupe ATC fait-elle partie de cette nouvelle stratégie ?
Notre stratégie est de nous concentrer sur les solutions de logiciels, de service et d’information dans tous les domaines du droit, avec pour objectif de sécuriser les décisions métier. La business unit presse de Wolters Kluwer France a vocation à se développer sur d’autres aspects, autour de l’information professionnelle et de « communautés métier ». Notre projet de cession participe de cette stratégie et devrait permettre de développer au mieux ces deux activités, au service des professionnels.
Que pensez-vous du projet de loi sur le numérique, et plus précisément de l'article 17 qui prévoit le « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique » ?
Wolters Kluwer considère qu’il ne suffit pas qu’un article soit de haute tenue scientifique et que son auteur soit par ailleurs sous contrat avec une institution publique pour être qualifié de « publication scientifique de la recherche publique ». Nous considérons qu’un article publié par Wolters Kluwer – avec rémunération de son auteur par Wolters Kluwer - est un article de la recherche privée. La doctrine juridique a toujours eu une part publique et une part privée, le numérique ne change rien à cela.
Ce que le numérique change, c’est la facilité d’exploitation et de réexploitation des contenus et informations. Wolters Kluwer soutient ce mouvement, notamment par sa participation à Open Law et au GFII, ainsi qu'aux initiatives d’open data permettant une meilleure mise à disposition et exploitation de la doctrine, pour développer un marché de l’information juridique plus fluide et plus proche des besoins des professionnels.
Seule la valorisation économique de ces contenus permettra les investissements nécessaires. Rendre gratuits les contenus des revues juridiques n’aura pour effet que de les faire disparaître, en privant les éditeurs des moyens d’investir et les auteurs d'une juste rémunération.
(1) Gold Open Access : les revues rendent leurs articles directement et immédiatement accessibles au public ; Green : libre accès par auto-archivage (source Wikipedia).