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Au sommaire :
- Dossier : Bibliothèques : quels enjeux en 2023 ?
- Bibliothèques municipales : un dynamisme perpétuel
- Bibliothèques départementales : convergence sociale, citoyenne et environnementale
- Bibliothèques universitaires : entre reprofilage des postes, décrochage des moyens et production de données
- Bibliothèques spécialisées : le cas spécifique du Collège de France
Avec la promulgation en 2021 de la loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique (Loi Robert), leur rôle est pour la première fois clairement reconnu.
« La mise en pratique des éléments posés par la Loi Robert fait partie de nos grands enjeux », déclare Hélène Brochard, présidente de l’Association des bibliothécaires de France (ABF). « Grâce à cette loi, nous disposons d’un texte législatif sur lequel nous appuyer et auquel nous pouvons donner corps. D’autant plus qu’il balaie de nombreuses thématiques : la garantie de l’égal accès à la lecture, à l’information et à l’éducation, le rôle de la bibliothèque dans l’éradication de l’illettrisme et la lutte contre l’illectronisme, etc. »
À l’occasion des deuxièmes Assises de la formation en bibliothèque territoriale, qui se sont tenues en novembre dernier, le ministère de la Culture a dévoilé un référentiel à destination des professionnels des bibliothèques, des élus, des services des ressources humaines, des acteurs de la formation, ou encore des associations.
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Ce document vise à décrire les compétences nécessaires à l’échelle d’une équipe ou d’un réseau et démontre bien leurs multiples casquettes. Ainsi, ce référentiel met en avant neuf grands domaines allant des « enjeux transversaux contemporains » en passant par l’ » administratif », les « lieux et espaces », ou encore « public, partenaires et communication ».
« Les Assises de la formation soulignent un taux de besoins qui ne sont pas toujours couverts selon les territoires et les typologies de bibliothèques dans toutes leurs diversités », explique Hélène Brochard. « Il y a une nécessité d’élargir les compétences sur le numérique, ou encore sur leur rôle dans les collectivités publiques de manière générale… »
Pour autant, faut-il que les professionnels des bibliothèques exacerbent davantage leur profil protéiforme ? « Notre métier évolue tout le temps et tant mieux ! », constate Maël Rannou, élève conservateur des bibliothèques territoriales à l’Institut national des études territoriales (Inet) et coauteur avec Stéphanie Khoury de l’ouvrage « Les bibliothèques de proximité ». « Mais nous ne pouvons pas faire tout et n’importe quoi. Par exemple, si nous devenons un lieu de service public de plus en plus fort face à la libéralisation extrême des services publics, nous ne pouvons pas, malgré tout, remplacer le personnel administratif ou les agents de la Caf… De plus, nous ne sommes pas préparés à affronter une misère sociale qui peut être dure dans certains cas. Il faut que les profils de bibliothécaires recrutés se diversifient et se complètent. »
À Brest, la ville compte huit médiathèques, dont une centrale. « Un réseau comme le nôtre dispose de professionnels spécialisés, en pointe et en veille sur des sujets particuliers, ainsi que d’autres aux compétences plus transversales, avec un socle de bases plus grand », témoigne Bénédicte Jarry, directrice du réseau des médiathèques de la ville de Brest.
Conquérir de nouveaux publics
Si la formation est une question centrale pour les bibliothèques, d’autres enjeux, comme l’accueil égal et libre des usagers, font figure de proue. « La loi Robert souligne la gratuité d’accès, mais nous plaidons pour la gratuité totale », indique Hélène Brochard. « Nous avons lancé une campagne dans ce sens qui se poursuivra cette année. »
Pendant la pandémie, les bibliothèques ont très vite rouvert leurs portes. Mais selon une enquête du ministère de la Culture d’avril 2022, les bibliothèques municipales et intercommunales enregistrent une baisse de fréquentation de 42 % par rapport à 2019.
« Les bibliothèques de quartiers ont retrouvé beaucoup plus vite leurs publics et leurs habitudes, qui pour certaines sont supérieurs à 2019 », reprend Bénédicte Jarry. « Mais les gros équipements, comme notre bibliothèque centrale, n’ont pas retrouvé l’activité d’avant Covid. Il nous reste du monde à aller chercher, c’est pourquoi nous développons de plus en plus la notion de partenariat pour interagir et conquérir de nouveaux publics. Par exemple, nous travaillons avec le réseau de transport public qui relaie gratuitement des campagnes de communication, ou encore avec le bailleur social Brest Métropole Habitat. »
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Pour Arnaud Le Mappian, directeur du réseau des bibliothèques de Montreuil, l’un des enjeux majeurs des bibliothèques en 2023 et au-delà réside dans leur place sur le web et les réseaux sociaux : « nous avons répondu à l’érosion de la demande en CD en mettant en place une instrumenthèque et une forte programmation musicale », explique-t-il. « Mais nous nous questionnons maintenant sur notre présence sur le web : comment se positionner par rapport aux plateformes de streaming et aux nouvelles façons de consommer la musique ? Cela représente l’un de nos axes de réflexion. »
Dans l’accueil des publics, les problématiques de l’inclusion et de la transition écologique sont bien ancrées dans le quotidien des bibliothèques qui orientent aussi leurs missions dans ce sens. En ce qui concerne les politiques documentaire et culturelle, les établissements se mettent au diapason des préoccupations sociétales.
Les questions de genre et de diversité y ont toute leur place. À Montreuil, la programmation culturelle dispose d’un budget conséquent. « Pour caricaturer, nous faisons un peu plus de médiation que de politique documentaire ! », explique Arnaud Le Mappian. « Nous sommes très poreux à toutes les questions d’écoféminismes ou encore à celles des droits et égalités culturels ».
Plaidoyer pour la bibliothèque
L’ABF note tout de même un point de vigilance à observer sur les risques de censure. À Toulouse, par exemple, mais aussi dans d’autres villes de France, des groupes de pression politiques ont conduit à la déprogrammation de lectures données par des drag-queens.
« Il faut que les bibliothécaires s’emparent des outils de la Loi Robert pour protéger le pluralisme des collections et des animations », insiste Hélène Brochard. « En tant que bibliothécaire, notre neutralité dans un service public se traduit par la construction d’outils, de charte documentaire ou de programmation culturelle. Ces derniers sont validés par nos tutelles et doivent nous protéger des subjectivités de points de vue. »
La loi Robert le rappelle : l’inclusion numérique n’est pas un petit sujet pour les bibliothèques. La digitalisation de certaines pratiques culturelles interroge, tout comme la lutte contre l’illectronisme.
« Au sortir de la pandémie et dans le cadre du Plan de relance, nous sommes plusieurs bibliothèques à avoir bénéficié de conseillers numériques », explique Bénédicte Jarry. « Nous arrivons à la fin d’un dispositif de deux ans très précieux qui nous a permis de déployer un accompagnement numérique de proximité dans les quartiers. Si le gouvernement a annoncé sa prolongation, il ne dispose pas d’un cadre financier avantageux. Il nous faut convaincre de le poursuivre. »
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Que ce soit au niveau du bâtiment, des pratiques des professionnels de la bibliothèque, des collections ou des actions de médiation, la transition écologique est également rentrée dans les pratiques.
« Fin 2022, nous avons mis en place la commission Bibliothèque verte au sein de l’association », confirme Hélène Brochard. « Elle est depuis très fortement sollicitée, que ce soit pour intervenir lors d’événements ou de journées d’étude ou pour de la formation. Nous sentons que ce sujet est prégnant et que tout le monde s’en empare. » D’autant plus qu’avec la crise énergétique, les budgets des bibliothèques peuvent être affectés par effet rebond.
« Catégorisées comme lieux essentiels pendant la pandémie, les bibliothèques ont été reléguées, lors de leur réouverture, à de simples lieux de mise à disposition de livres. Les élus n’ont rien compris à notre rôle et nos missions », déplore Maël Rannou. « C’est peut-être là, l’un des rôles des bibliothécaires : le plaidoyer. »